Sous l’une des serres, Bernadette compte méticuleusement les graines de persil géant d’Italie, avant de les répartir dans les mottes. Sous une autre, trois jardiniers accroupis récoltent la mâche, couteau en main. Un peu plus loin, dans les champs en contrebas, une petite troupe s’affaire à la récolte des feuilles d’épinards. Pendant ce temps-là, les abeilles bourdonnent entre les baies de Goji et les poivriers du Sichuan.

Leurs ruches écologiques surplombent les eaux de la Save, face au verger-maraîcher planté en agroforesterie. Ici Castillon-Savès, dans le Gers, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Toulouse ; ici « Terra ferma », l’un des 108 jardins du réseau national des Jardins de Cocagne ; ici sur la terre ferme, un havre de verdure dédié au maraîchage bio et à l’insertion par l’activité économique.

Ce petit paradis est certifié par Ecocert. Il s’étend sur huit hectares, dont trois en maraîchage. En tant que participant de l’opération nationale des paniers solidaires lancé par le réseau Cocagne, il permet non seulement à des familles à faibles revenus de bénéficier régulièrement d’un assortiment local de légumes bio à moindre prix — en moyenne trois euros au lieu de dix — mais il accompagne également cette action par des ateliers nutrition.

Des légumes bio à moindre coût

Depuis le lancement du programme en 2010, plus de 3 500 familles françaises aux revenus modestes ont ainsi acheté près de 125 000 paniers solidaires. « En 2016, sur nos 200 adhérents, dix pouvaient prétendre bénéficier de cette aide : elle a été attribuée aux salariés du jardin », indique Philémon Daubard, président de Terra ferma.

Dans le Gers, ce programme est soutenu par la MSA Midi-Pyrénées Sud. Le petit panier à dix euros, par exemple, reçoit quatre euros d’aide sur des fonds du réseau Cocagne et autant de la part de la MSA. Reste deux euros à payer pour le bénéficiaire. Des conventions de partenariat entre les Jardins de Cocagne et les caisses de MSA fixent les engagements.

Les prises en charge financières peuvent également porter sur le coût de la première adhésion, tout en maintenant un montant minimum d’un euro. Le prix du panier solidaire doit être compris entre 10 et 30 % de son prix de vente, sans jamais excéder quatre euros. Par ailleurs, les MSA sont invitées à proposer, au-delà des actions visant à faciliter l’accès au bien-être alimentaire dans le cadre de l’opération nationale, des actions collectives : ateliers de conseils en diététique, ateliers d’échanges de savoirs culinaires, sessions « Parcours confiance », actions de prévention santé, etc.

« J’accompagne le jardin Terra ferma depuis le début de son activité en juillet 2013, confie Marjorie Ortega, assistante sociale à la MSA Midi-Pyrénées Sud. Tous ses salariés sont affiliés au régime agricole. Nous avons toujours mis en place des actions dans le cadre de notre partenariat, notamment des sessions pour présenter la MSA, son service social, les droits et les devoirs en matière de protection sociale. Elles se déroulent sur une demi-journée et s’adressent à l’équipe encadrante et dès que de nouveaux jardiniers sont embauchés. »

Je suis content de retrouver la qualité des légumes que je mangeais il y a trente ans.

La MSA a saisi l’opportunité de l’opération nationale des paniers solidaires pour proposer, en outre, des ateliers nutrition « Alimentation et petits budgets », animés par l’association de santé, d’éducation et de prévention sur les territoires Midi-Pyrénées Sud (Asept MPS). En présence d’une diététicienne, ces huit séances se sont tenues entre octobre et décembre 2016. Elles ont permis aux bénéficiaires des paniers solidaires de préparer un repas complet de saison, de s’organiser pour mieux gérer leurs dépenses, de découvrir certains légumes ou de décrypter les étiquettes alimentaires.

« Désormais, je cuisine l’aubergine et la courgette, déclare, satisfait, Christian, salarié du Jardin de Cocagne gersois. Je réussis particulièrement la végétarienne au curry. Je suis content de retrouver la qualité des légumes que je mangeais il y a trente ans. » Parmi les objectifs médico-sociaux de l’opération des paniers solidaires, il faut citer la prévention des carences alimentaires. Mais le renforcement des liens sociaux est également visé. « Les participants des ateliers nutrition partageaient leurs repas et déjeunaient avec les encadrants une fois par mois, précise Marjorie Ortega. L’idée, pour 2017, serait de proposer à quelques participants de l’année dernière de transmettre à leur tour leurs savoirs à de nouveaux adhérents, avec l’appui de l’Asept MPS. »

L’assistante sociale envisage de cibler particulièrement les femmes bénéficiaires de minimas sociaux dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres autour du jardin. Regardons bien dans le panier, il y a encore de la place pour la solidarité.


Témoignages

De g. à d.: Marjorie Ortega, Philémon Daubard et Florence Royère.

Philémon Daubard, président de Terra Ferma

« Avec Isabelle Tinchon, la directrice, nous avons créé ce jardin en septembre 2012. L’activité a débuté en août 2013. Nous accueillons 18 salariés en contrat à durée déterminée d’insertion, de quatre à vingt-quatre mois. Nous sommes en tout cinq permanents, avec Florence Royère, conseillère en insertion professionnelle, Sophie Dupèbe, animatrice du réseau d’adhérents, et Ghislaine Wolszczak, encadrante technique du jardin. Les postulants sont envoyés par Pôle emploi, la Mission locale, le conseil départemental et Cap emploi. Nous veillons à garantir une mixité entre les hommes et les femmes, les âges (de 18 à 58 ans actuellement), les parcours, les problématiques… Mais le candidat doit répondre à deux critères : être volontaire et s’engager dans un projet professionnel. Nous ne sommes pas une agence d’intérim. En 2016, 63 % des salariés sortants ont poursuivi leur parcours vers une formation qualifiante ou un emploi. »

Florence Royère, conseillère en insertion professionnelle

« J’essaie de rencontrer les salariés au moins une fois tous les quinze jours, mais ils savent qu’ils peuvent venir me voir dès qu’ils en ont besoin. Nous faisons régulièrement le point sur les difficultés rencontrées au quotidien en lien avec le logement, les moyens de locomotion, le handicap, la langue, etc. Je les accompagne et les oriente vers les structures adéquates. Je peux également les adresser aux assistantes sociales de la MSA Midi-Pyrénées Sud, Aurélie Noail et Caroline Mesthé, ou à l’agent MSA référent sur notre secteur, Stéphane Meau, pour les démarches administratives. Comme le rappelle Philémon Daubard, nous sommes un tremplin dans leur parcours. Les salariés recrutés ne se destinent pas au maraîchage. D’ailleurs, nous n’exigeons pas d’expérience en la matière. Ils travaillent 26 heures par semaine, ce qui leur laisse du temps pour se consacrer à leur projet professionnel. Pendant la durée de leur contrat au Jardin de Cocagne, ils effectuent un ou plusieurs stages en ce sens. »

Bernadette et Christian, jardiniers et bénéficiaires de paniers solidaires.

Quand Bernadette, qui a longtemps travaillé dans le milieu hospitalier, visionne le film sur le Jardin de Cocagne projeté dans une salle de Pôle emploi, elle est tout de suite attirée par « l’été, les oiseaux et les abeilles » : la vie en plein air, quoi ! Passée cette vision bucolique, elle se retrouve confrontée à la réalité : « C’était très dur au début, mais j’ai résisté. Sincèrement, je ne pensais pas tenir. »

Christian, lui, a connu plusieurs métiers. Fils d’agriculteurs, détenteur d’un certificat d’aptitude professionnel agricole, il est tour à tour maçon, électronicien et chauffeur routier international. « Je ne pourrais pas travailler à l’usine, concède-t-il, l’œil malicieux. Ici, on ne fait jamais la même chose, ça me plaît : aujourd’hui, j’ai livré la Biocoop de L’Isle-Jourdain, puis j’ai ramassé et nettoyé les aillets, et j’ai continué avec les épinards. » Pour tous les deux, les ateliers nutrition ont été un bon moment. « Ça m’a permis de cuisiner différemment les légumes », explique Bernadette. Le fameux gâteau au chocolat et à la courgette aura notamment bien marqué les esprits.

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