« On est vraiment en recherche de soignants et c’est à bras ouverts que l’on vous accueille », prévient chaleureusement Jean-Louis Gatschiné, premier vice-président de la communauté de communes du Pays de Lure, en Haute-Saône, devant un parterre de futurs professionnels de la santé et du social réunis à la salle polyvalente le 31 janvier. L’élu ne s’en cache pas, les profils des futurs soignants et professionnels du social réunis devant lui suscitent son intérêt. Il aimerait – en tout bien tout honneur – aller un peu plus loin avec eux et pourquoi pas concrétiser… une installation dans son secteur. « L’important pour nous est la qualité de l’offre de soins qu’on peut fournir à nos administrés. Nous avons une population qui vieillit avec des pathologies importantes et parallèlement une population de soignants également vieillissante. »

Thierry Bordot, coorganisateur de la journée, président du Pays des Vosges saônoises et maire de Saint-Loup-sur-Semouse, une commune voisine, confirme : « Nous sommes face à une perspective de départs à la retraite massifs. 50 % à l’horizon 2020. C’est pour nous une grande interrogation et un phénomène inquiétant. » Le premier magistrat fait partie du comité des sages, instance composée d’élus et de professionnels du médico-social, chargé d’évaluer les propositions des étudiants qui ont planché sur l’avenir de la médecine rurale de proximité.

La journée s’inscrit dans un séminaire intégré à leur cursus et qui regroupe des futurs kinés, infirmiers, sages-femmes, psychologues, assistants de service sociale et internes en médecine générale pour apprendre à travailler ensemble. « J’ai trouvé ces futurs professionnels très réalistes par rapport aux problématiques de nos territoires ruraux, poursuit l’édile. J’ai particulièrement apprécié leur vision d’une médecine décloisonnée où les professionnels travaillent en réseau. » Il a un argument massue pour les faire venir. « Il y a du travail et une patientèle importante qui les attend. »

Jean-Louis Gatschiné a, lui, un argument très concret à faire valoir : le pôle de santé de Lure, dont les travaux ont démarré à la fin de l’année dernière.
Imaginez ! Côté pile, des professionnels de santé libéraux réunis dans une maison de santé pluridisciplinaire composée de généralistes, psychologues, diététiciens, orthoptiste, podologue et orthophoniste. Côté face, un centre de santé, structure associative cogérée par le centre hospitalier et la communauté de communes du Pays de Lure. L’équipe sera composée de deux généralistes, d’un cabinet d’infirmiers et d’une assistante sociale, tous salariés. Ce rêve de médecine de proximité est en train de sortir de terre sur un terrain situé à quelques mètres seulement de l’hôpital de la commune. Ajoutez à cela un accueil d’internes et de stagiaires facilité par la construction de studios avec kitchenettes qui leur seront réservés. De quoi motiver les plus allergiques à la médecine rurale.

« Le libéral, le salarié et l’hospitalier qui n’avaient pas forcément vocation à travailler ensemble sont réunis dans ce beau projet innovant », assure Pascal Mathis, directeur du groupe hospitalier intercommunal de la Haute-Saône, voisin du pôle de santé. « Nous sommes des facilitateurs mais nous ne gèrerons pas la structure », tient-il tout de suite à préciser.

« L’objectif du séminaire, confie Nadia Guillou de l’Asept (association santé, éducation et prévention sur les territoires), est de faire tomber les préjugés entre les différents métiers du médical et du social ainsi que sur leurs pratiques professionnelles en milieu rural. » Il semblerait que ça marche.

Vu l’ampleur du nombre de prétendants, la formule du speed meeting s’imposait. Dans sa formule à la sauce des Vosges saônoises, on reprend le concept de la rencontre minutée en l’adaptant au monde professionnel (ici sur le stand de la MSA et de l’Asept). – Photos : © Alexandre Roger/le Bimsa.

Ainsi, Léo et Flavien, respectivement 24 et 21 ans, étudiants infirmiers, ont apprécié le travail en groupe pluridisciplinaire : « Ça a permis de faire tomber beaucoup d’a priori sur les autres professions de santé. Le niveau de rémunération des kinés, qu’on pensait plus élevé, n’est pas tellement différent du nôtre en fin du compte, ou sur le champ d’actions des sages-femmes qui est plus étendu qu’on ne pensait. » Léo prévient : « Exercer à la campagne, pourquoi pas ? Mais pas à moins de trente minutes d’une grande ville. Mais le vrai questionnement  pour moi n’est pas entre une installation en ville ou en milieu rural, mais plutôt de choisir entre la France ou la Suisse. Au moins en début de carrière, quitte à revenir en France plus tard. » Un salaire doublé, voire triplé, est en effet plus que tentant pour des jeunes professionnels qui vivent dans cette zone frontalière. «  Entre 1 500 euros nets en France et 4 500 en Suisse, il n’y a pas photo. »

« Les gens se bagarrent pour défendre leur territoire et éviter la désertification médicale »

« Si l’Educ’tour a été organisé ici, ce n’est pas un hasard, prévient le Dr Didier Menu, de la MSA de Bourgogne et de Franche-Comté. Toute la bande vosgienne est en déclin démographique. Ce qui est remarquable ici, c’est que les gens se bagarrent pour défendre leur territoire et éviter la désertification médicale. »

C’est vrai que les structures étaient toutes là ou presque : de Maia, dispositif régional intervenant pour améliorer l’accueil, l’orientation, l’accompagnement et le soin des personnes atteintes de troubles cognitifs, à l’Anpaa, l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, en passant par l’Agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté et beaucoup d’autres acteurs locaux du secteur médico-social et de la santé, comme la MSA et l’Asept, à l’origine de cet Educ’Tour organisé dans le cadre du Contrat local de santé (CLS) du Pays des Vosges saônoises. Une richesse et une diversité de l’offre médico-sociale sur ce territoire qui a étonné plus d’un étudiant. « Je ne pensais pas que les associations étaient aussi nombreuses à intervenir en milieu rural », explique Nacera, élève infirmière.

Vu l’ampleur du nombre de prétendants, la formule du speed meeting s’imposait. Dans sa formule à la sauce des Vosges saônoises, on reprend le concept de la rencontre minutée en l’adaptant au monde professionnel. Chaque futur professionnel de santé a pu durant cette journée, découvrir sept stands pendant dix minutes. Même si les représentants des structures des associations locales de santé ont eu un peu de mal à tenir les délais, les échanges et les découvertes ont été nombreux. Dans cette version, les étudiants étaient répartis en groupes interprofessionnels.

Mails et  numéros de téléphone ont été échangés. Jennifer, 27 ans, en 9e année de médecine, spécialité médecine générale, a déjà fait son choix. Ce sera médecin en milieu rural. Ce qui l’attire ? « À la campagne, les patients sont plus fidèles, moins nomades. Je suis de Fougerolles. J’imagine m’installer à vingt kilomètres de chez moi car je suis attachée à  ma région. En ville, les personnes viennent aussi avec des demandes plus précises. Notre champ d’action est aussi plus large. Ici, pas de pédiatre ou de gynécologue. Alors nous, médecins généralistes, on est un peu tout ça. »

Florida, en 9e année, spécialité médecine générale, est sur la même longueur d’ondes. « Même si parfois être isolée est compliqué quand vous devez par exemple envoyer quelqu’un chez un spécialiste et qu’on vous répond qu’il n’y aura pas de place avant six mois, mon choix est fait. Je veux exercer en milieu rural. »

Helen, 28 ans, elle aussi en 9e année, spécialité médecine générale, apprécie également : « Ici, il y a plus de respect et une grande confiance pour le docteur, mais aussi plus de familiarités. À la campagne, le tutoiement est de rigueur. » Alors doc, tu t’installes quand ?