« Je suis femme, portugaise et handicapée. Depuis toute petite, j’avais envie de travailler dans le monde agricole. Cela a été un peu compliqué au début mais, avec l’aide du foyer dans lequel je me trouvais, ça a pu se faire assez rapidement. » Femme, handicap, agriculture, triple peine ? En tout cas pas pour Maria Pereira da Silva, venue partager, à l’occasion de la soirée concoctée par Solidel, l’épanouissement que lui procure son activité en espaces verts, à l’établissement et service d’aide par le travail (Esat) du Château Bellevue.Tout comme Marie Deramond, employée à la conserverie, Lydie Rose, ravie de communiquer son enthousiasme pour son activité apicole, et Valérie Laborde-Jourdaa, fière de son activité de maraîchage à l’Esat d’Espiute et pas avare d’explications sur les productions dont elle s’occupe.
Toutes quatre participent aux deux tables rondes organisées, la première sur la formation, l’orientation et l’attractivité des métiers agricoles, la seconde sur la santé-sécurité au travail et la capacité d’innovation des femmes en agriculture.
Accompagner la différence
Les emplois agricoles sont souvent occupés par « des gens passionnés par leur métier. Or, on a besoin de modèles pour se construire, pour choisir son métier. Si ce modèle est toujours uniforme, on n’y croisera pas de diversité », souligne Isabelle Ouedraogo, co-présidente du comité d’action sanitaire et sociale de la CCMSA. D’où l’importance de rendre visibles une pluralité de métiers, occupés par différentes personnes – femmes, hommes, personnes jeunes, moins jeunes, en situation de handicap…
«L’agriculture a besoin de bouger afin de promouvoir l’acceptation de la différence sur nos exploitations, indique Eric Touzard, agriculteur dans le Morbihan. Elle a beaucoup évolué et le regard des femmes apporte d’ailleurs beaucoup pour la prise en compte du temps de travail, de l’aménagement des bâtiments et de nos outils. » Éric Touzard pilote le groupe de travail égalité-parité des chambres d’agriculture de Bretagne. « Au sein de ce groupe, nous avons notamment édité le livret « Bien dans mes bottes » pour une communication sans stéréotype du genre en agriculture, témoigne Marie-Christine Lecrubière, co-présidente du groupe de travail égalité-parité porté par les chambres d’agriculture de Bretagne. Le travail se poursuit avec pour ligne de conduite l’égalité des chances. Afin d’accompagner la différence – handicap, vieillissement, origine, personnes non issues du milieu agricole… Il y a un problème d’emploi en agriculture ; il faut donner envie d’y venir ». La formation a donc son rôle à jouer.
Xavier Quernin, chargé de mission handicap à l’Institut Polytechnique UniLaSalle, avec laquelle la MSA a tissé des liens étroits, précise que 140 étudiants handicapés suivent un parcours dans plusieurs filières agricoles sur les sites de cette grande école (Beauvais, Rennes et Rouen). « Un chiffre en constante augmentation. Avec trois fois plus d’étudiants en situation de handicap que dans les autres grandes écoles. En adaptant les formations, en orientant bien, on travaille avec des étudiants qui ont des capacités et motivations supplémentaires, des jeunes qui se sont toujours accrochés à leurs études et qui, malgré leurs difficultés, ont persévéré. Une dynamique qui intéresse d’ailleurs beaucoup les entreprises qui les accueillent. »
Eviter de se casser au travail
Autre angle d’attaque de la soirée : la santé-sécurité au travail et la capacité d’innovation des femmes en agriculture. Magalie Cayon, responsable du département prévention des risques professionnels à la CCMSA, plante le décor : « Les femmes ont beaucoup moins d’accidents du travail que les hommes, mais celles de moins de vingt ans, notamment les jeunes apprenties dans certains secteurs (comme le secteur hippique) peuvent être victimes d’accidents très graves susceptibles de provoquer par la suite un handicap. Sur le plan des maladies professionnelles, les troubles musculosquelettiques (TMS) tant pour les salariées que pour les exploitantes, sont surreprésentés. Avec, dans certains secteurs d’activité (élevage de petits animaux, détroquage des huîtres, traite, industries agro alimentaires…), quatre fois plus de TMS que chez les hommes. Éléments d’explication possibles : les femmes sont fréquemment cantonnées à des tâches plus fines. Souvent, elles vont passer des années sur ces postes-là, moins mobiles dans leur parcours professionnel que les hommes. »
Éviter de se casser au travail s’avère donc essentiel, d’autant plus pour les personnes en situation de handicap. « Il faut faire en sorte que le travail ne soit pas un problème supplémentaire, un déclencheur de soucis de santé, insiste Anne Gautier, vice-présidente de la CCMSA et présidente de l’Esat des Quatre-Vents (Noirmoutier), adhérent de Solidel. Cet établissement compte 70 usagers, souffrant de handicap psychique léger ; nous veillons à ce qu’ils s’épanouissent dans leur travail. » Cela passe aussi par des adaptations simples, nées des échanges avec les travailleurs handicapés sur leur projet de vie. « L’expression est favorisée par tous les moyens possibles : groupes de parole, boîtes à idées… »
« Plus on réfléchit en amont le travail, plus on est exigeant, et plus on gagne en conditions de travail, en durabilité et en performance, pointe Magalie Cayon. La MSA accompagne beaucoup de projets en ce sens. »
Les femmes prennent la main
Oui, la réflexion et le bons sens permettent de gommer des imperfections, de réduire les risques et gagner en confort. « Une enquête a été lancée en 2019 auprès des agricultrices sur les matériels agricoles, qu’elles utilisent de plus en plus », explique Agnès Kerbrat, agricultrice en production laitière, vice-présidente de la FDSEA du Finistère et présidente de la commission des agricultrices de la FRSEA Bretagne. Beaucoup ne sont pas adaptés : hauteur des marches des tracteurs, systèmes d’accrochage, lourdeur des barrières utilisées lors des soins aux animaux, hauteur des quais de traite… Elle plaide pour que « les fabricants fassent plus attention lorsqu’ils construisent des matériels. Nous les rencontrons, nous partageons nos réflexions avec eux et ils les prennent en compte. Mais il faut que ce soit les femmes qui prennent la main pour faire avancer les choses ! »
« Le handicap est un mot qui a parlé aux agricultrices qui travaillaient sur l’exploitation, tout cela sans reconnaissance sociale. Ce manque de reconnaissance était déjà un handicap, déclare Jacqueline Cottier ;– présidente de la commission nationale des agricultrices à la FNSEA. On a bien avancé sur ce sujet. Aujourd’hui, l’agricultrice choisit le métier, se forme pour, et elle aspire à une qualité de vie, comme toute autre femme. Cela fait du bien à nos exploitations et rend le métier plus attractif. Des femmes en situation de handicap peuvent y accéder aujourd’hui plus facilement. »
À l’instar de Maria, Marie « épanouie dans [s]on travail », Valérie – passionnée par son activité de maraîchage, qui a aussi « passé une RAE (reconnaissance des acquis de l’expérience) en tant que chauffeur-livreur », ou Lydie « heureuse avec les abeilles qui me permettent de rester calme et attentive ».
Ghislaine Letessier, travailleuse en maraîchage à l’Esat d’Espiute. Photo : Juliette Jem
Lydie Rose, travailleuse en apiculture à l’Esat Château Bellevue. Photo : Juliette Jem
Marie Deramond, travailleuse en conserverie à l’Esat Château Bellevue. Photo : Juliette Jem
Maria Pereira da Silva, travailleuse en espaces verts à l’Esat Château Bellevue. Photo : Juliette JemValérie Laborde-Jourdaa, travailleuse en maraîchage à l’Esat d’Espiute. Photo : Juliette Jem
Un réseau pour les travailleurs handicapés du secteur agricole et des territoires ruraux
Créée en 1992 par la MSA, l’association Solidel a pour vocation de favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap sur leur territoire de vie.
En savoir plus : www.solidel.fr