« Je suis l’aventurier qui vient de si loin en quête de jours meilleurs. Je me retrouve bloqué, testé positif au Covid-19 et confiné à la campagne dans une ancienne maison de retraite. Isolé dans un centre comme les autres mais avec un personnel exceptionnel. […] Même si j’ai du mal à transformer mes maux en mots, je prends la plume pour vous dire simplement merci. »
Ces quelques phrases, écrites dans un français remarquable, touchent le Dr Deborah Diaz, médecin en santé au travail à la MSA Provence Azur, directement au cœur. Couchés sur une simple feuille de papier arrachée d’un carnet et adressés aux bénévoles de la Croix-Rouge française et de la Fédération française de sauvetage et de secourisme, ces mots donnent un nom et un visage à cette population d’invisibles. Ils émanent d’un certain Ndiaga G., chambre 231. Ils donnent aussi un sens au combat que médecins, infirmiers et conseillers prévention mais aussi personnels administratifs et direction de la MSA Provence Azur viennent de mener.
Rien de nouveau sous le soleil des Bouches-du-Rhône. Des travailleurs fuyant la misère, ballottés au gré des récoltes, des saisons et des frontières, qui n’hésitent pas à parcourir des milliers de kilomètres pour courber l’échine à l’autre bout du monde dans des champs de fruits ou de légumes que les travailleurs locaux ont désertés. Cette fois, ils sont majoritairement latinos comme ils se définissent eux-mêmes, des jeunes originaires d’Amérique centrale et du Sud, mais aussi d’Afrique subsaharienne comme Ndiaga.
Première alerte à la fin du mois de mai
Ils ne sont pas les premiers à venir travailler dans les champs du sud de la France. Indochinois dans les années 1940, Marocains et Tunisiens pendant les Trente Glorieuses, Espagnols et Portugais dans les années 1970, et Polonais et Européens de l’Est dans la décennie 1990 sont passés par là avant eux. Comme eux, rêvant à une vie meilleure, ils sont partis à l’aventure au pays du melon, de l’abricot et de la cerise. Ils auraient pu rester en dehors des radars de l’actualité. Une discrétion qui arrange tout le monde, facilitée par l’éloignement des lieux de travail et d’hébergement et pour beaucoup par la barrière de la langue. Pourtant le Dr Diaz a un atout de taille pour les comprendre : sa parfaite maîtrise de l’espagnol. Dans les fermes du sud du pays, même les populations africaines parlent la langue de Cervantès car elles sont toutes passées par le sud des Pyrénées avant d’arriver dans les exploitations françaises.
La première alerte est venue à la fin du mois de mai du Dr Giral, médecin généraliste à Fontvieille et président de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) du pays d’Arles. Il a signalé des cas positifs dont deux personnes présentant les symptômes du Covid hospitalisées à Arles. Elles ont pour points communs d’être saisonniers et regroupées dans un mas, une ancienne ferme transformée en lieu d’hébergement pour travailleurs.
« Nous avions affaire à une population qui n’était couverte par personne, ni par notre régime, ni par le régime général. Il fallait quelqu’un pour faire en sorte qu’elles soient prises en charge et isolées dans le cadre d’un suivi sanitaire », prévient Axelle Dorion- Garino, directrice adjointe de la MSA Provence Azur.
Des contacts systématiques pris avec les exploitations
Après la découverte de ce cluster agricole au sein de groupements de travailleurs détachés dans le nord des Bouches-du-Rhône, la MSA Provence Azur s’est mobilisée pour accompagner ses ressortissants et mettre en œuvre les actions de prévention permettant de limiter la propagation du virus. Des SMS et mails ont été envoyés aux adhérents du secteur concerné ; les délégués cantonaux ont été sollicités et les liens avec les organisations professionnelles agricoles enclenchés. Des contacts systématiques ont été pris avec les exploitations. Parallèlement, deux conseillers en prévention ont enquêté pour obtenir la vision la plus complète possible du problème, identifier tous les lieux d’hébergement et connaître le nombre de tests à effectuer.
« La caisse a activement participé au comité de pilotage institutionnel dans la gestion de ce cluster, en lien étroit avec la CPAM, l’ARS et la CPTS du pays d’Arles, poursuit la directrice adjointe de la caisse azuréenne. Nous sommes allés au-delà de nos missions de santé sécurité au travail pour nous positionner, par l’intermédiaire de nos médecins, infirmiers et conseillers prévention, comme acteur majeur de santé publique dans le cadre de la gestion de niveau 3 du contact tracing, en nous rendant dès connaissance du problème sur les lieux d’hébergement, en participant à la stratégie de dépistage et d’isolement des personnes infectées, et en étant acteur sur le terrain (délivrance des arrêts, accompagnement sur les gestes barrière et les mesures d’isolement en lien avec la Croix-Rouge).
Un maillage territorial au service de la prévention
Au 1er juillet, 5 952 personnes ont été dépistées pour 287 cas positifs. En tout 177 arrêtés d’isolement ont été délivrés par la préfecture. Pour en arriver là, en coordination avec l’ARS Paca et les MSA Languedoc et Alpes Vaucluse, la MSA Provence Azur a mis son maillage territorial au service de la prévention : les adhérents et l’ensemble des exploitants et employeurs de main-d’œuvre, situés dans une zone allant de Rognonas à Miramas et d’Arles à Mallemort et Tarascon ont été contactés par SMS (ou par mail le cas échéant) pour les informer de la situation, les inciter à se faire dépister ou à s’isoler en cas d’apparition de symptômes.
Parallèlement, les délégués cantonaux ont été tenus informés de la situation pour qu’ils participent au réseau d’alerte et remontent toutes les informations qui leur parviendraient. La MSA a également contribué à la définition et au suivi de la politique de dépistage, grâce à la participation des médecins du travail et de conseillers prévention. Elle a accompagné les exploitants du secteur pour réfléchir avec les employeurs aux mesures de prévention spécifiques à mettre en place dans leurs propres organisations. Elle a positionné des médecins du travail pour assurer l’annonce des résultats positifs, la remise des arrêts de travail et accompagner les personnes vers la quatorzaine, sur le terrain en lien avec l’ARS et la Croix-Rouge, et fait le lien avec la CPTS du pays d’Arles pour organiser la prise en charge des personnes symptomatiques dans le cadre du suivi sanitaire. « Il y a eu de grandes campagnes de tests organisées par l’ARS mais aussi des retards dans la transmission des résultats, déplore le Dr Diaz. Ces travailleurs saisonniers se sont retrouvés sans travail et sans arrêt maladie mais également sans leurs résultats. Cela a généré énormément de tension sur les lieux d’isolement. »
278 arrêts maladie
En plus de la réponse sanitaire, les équipes de la MSA Provence Azur ont dû leur apporter une réponse sociale car derrière une personne venue travailler ici, c’est toute une famille restée dans leur pays qu’ils font vivre.
« Nous avons délivré 278 arrêts maladie pour permettre aux cas contacts et aux personnes isolées d’être indemnisés par le système de protection sociale espagnol dont ils dépendent, assume le Dr Diaz. Un travail laborieux qui a nécessité de vérifier leur identité. Laure Hrouch, infirmière du travail, était à mes côtés à chaque étape. Le binôme médecin/infirmière du travail a très bien fonctionné. Pour améliorer leurs conditions d’isolement, on a obtenu de la préfecture que des hôtels et une ancienne maison de retraite soient réquisitionnés. Nous avons aussi milité pour qu’il n’y ait plus qu’une seule ligne de conduite et que tous les acteurs harmonisent leurs procédures, car les différences de traitement entre les lieux d’hébergement ont ajouté encore à l’incompréhension de personnes très connectées entre elles. Construire un cadre a fait toute la différence et leur a fait sentir que la situation était gérée. Quand on leur a remis leur arrêt de travail, certaines étaient au bord des larmes car elles n’en pouvaient plus. »
Grâce à sa proximité et sa connaissance du terrain et des acteurs locaux, la MSA avait un avantage sur les autres acteurs institutionnels : la souplesse et l’agilité de son mode de fonctionnement. « J’ai la satisfaction de savoir qu’au bout de quinze jours la situation était gérée. Cette faculté d’adaptation est la force de la MSA. On a respecté le formalisme à chaque étape sans s’y perdre. Des qualités d’adaptation que j’ai également constatées chez les professionnels de la CPTS qui ont accompagné ces populations pendant toute la crise. Je suis optimiste sur la suite, même si certains exploitants se posent encore des questions. Nous avons mis en place une procédure de délivrance d’attestation de fin d’isolement pour qu’il n’y ait plus d’obstacles dans la recherche de travail des personnes déconfinées. Elles ont un rôle vital pour les exploitations qui ont un mal fou à embaucher et ne trouvent pas de main-d’œuvre sur place. Il faut créer un élan de valorisation de ces métiers difficiles et surtout leur être reconnaissant. »
On est passé tout près de la catastrophe
Le risque était de devoir reconfiner une partie du département.
Par malchance, on a eu un cluster avec des personnes qui ne rentraient dans aucune case. Ces travailleurs détachés ne dépendent ni du régime général ni de la MSA mais du régime de protection sociale espagnol. Quand nous avons appris ce qui se passait, nous ne pouvions pas refuser d’y aller parce que ce ne sont pas nos ressortissants. En tant que régime de référence du monde agricole, nous nous devions de répondre présent.
Notre connaissance du terrain et des acteurs locaux nous a permis d’apporter des réponses et un savoir-faire là où d’autres acteurs ont eu du mal à faire face à l’ampleur de la crise, au moins au début. L’équipe m’a vraiment épatée. Le confinement nous avait appris à travailler autrement. Avec ce foyer d’infection, nous sommes allés encore plus loin dans la transversalité et l’interdisciplinarité.
La première réunion de l’équipe a eu lieu un dimanche soir à 18 heures. Je peux vous assurer qu’il ne manquait personne à l’appel et, malgré les risques, personne n’a refusé d’aller sur le terrain. Certains font partie de la réserve sanitaire et sont sensibilisés au sujet mais pour la plupart il s’agissait bien d’affronter un événement sans précédent. Ils ont été là quand personne ne répondait, hormis la médecine de ville, elle-même dépassée par le nombre de cas. Chapeau bas aux équipes de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) du pays d’Arles qui a prouvé après quelques mois seulement d’existence qu’elle est un acteur incontournable de l’offre de soin de proximité.
On était sur le pied de guerre.
Après que le premier cluster a été confirmé dans un foyer d’hébergement à Noves et les premières hospitalisations,il fallait faire vite.
Nous avons dû revêtir notre casquette d’enquêteurs pour dénicher les autres lieux de regroupement de travailleurs saisonniers. Le fait qu’il s’agisse essentiellement de personnes ne relevant pas du régime de la MSA a compliqué les recherches. Par notre implantation, nous savions que des salariés détachés étaient hébergés dans des mas du secteur mais nous ne savions pas précisément où. C’est une véritable course contre la montre qui s’est engagée. Il ne fallait pas que le cluster s’étende. J’avoue que nous n’étions pas complètement rassurés quand nous sommes arrivés sur place mais nous avons eu la chance de tomber nez à nez avec l’un des patrons qui débarquait d’Espagne. Un Français. Il a coopéré à 100 %, nous a confié son numéro de téléphone personnel et toutes les infos essentielles pour remonter la chaîne des contaminations potentielles. Malgré cela, sur certains lieux d’isolement, on a frôlé l’émeute. Avec 99 % de cas asymptomatiques et une population de jeunes adultes, il a fallu faire preuve de pédagogie. Pourtant le risque était réel et nous sommes passés de 30 à 300 cas positifs en un mois et demi dans le département. C’est pour cela que des opérations de dépistages massifs ont été organisées. La MSA Provence Azur était au cœur de l’opération menée à Tarascon par l’ARS, le mardi 23 et le mercredi 24 juin.
Elle a permis de dépister 186 personnes le 1er jour et 257, le 2e jour. Neuf personnes se sont révélées positives.