Sur les plages du très chic Cabourg, en cette fin de mois de septembre frisquet, peu de promeneurs se risquent à braver la tempête. Certains d’entre eux, masque sur le nez, semblent avoir trouvé refuge dans la salle de réunion du village vacances AVMA Sweet Home, où l’ambiance est plus chaleureuse mais aussi plus studieuse qu’à l’extérieur. Christiane de Saint-Quentin, Isabelle d’Amiens, Florence d’Orléans, Sylvie de La Rochelle, Dany de Reims, Séléha et Laure de Berry-Touraine, Edwige et Valérie de Bretagne et Véronique du Grand-Est ne sont pas venus sur la côte normande pour faire du tourisme mais pour plancher sur la protection de notre santé. Ces dix infirmiers diplômés d’État (IDE) se forment à la technique de l’entretien motivationnel appliqué à la vaccination antigrippale.
Entre 8 000 et 14 000 morts chaque année en France.
Cette approche de la relation d’aide a été conceptualisée par William R. Miller et Stephen Rollnick à partir des années 1980. C’est un style de conversation collaboratif permettant de renforcer la motivation propre d’une personne et son engagement vers le changement. Médecins, psychologue, formateurs et membres du département de la prévention et de l’éducation sanitaire et sociale de la caisse centrale de la MSA sont chargés de faire passer le message.
À l’issue de la formation, ces infirmiers devront accompagner les assurés à « conscientiser » l’intérêt de se faire vacciner et les amener ainsi à agir pour prévenir les risques liés à cette épidémie saisonnière, qui cause entre 8 000 et 14 000 morts chaque année en France. Une autre session de formation a eu lieu la semaine précédente pour la partie sud du territoire. En tout, depuis la rentrée, 27 IDE se sont formés à cette technique innovante. Ensemble, ils réaliseront un peu plus de 5 600 entretiens entre le 15 octobre et le 18 décembre.
« Un certain nombre va nous envoyer promener, assume Florence, infirmière. Notre principale difficulté est de ne pas être confondus avec du démarchage publicitaire. Certains ne répondent pas ou filtrent simplement leurs appels mais, lorsqu’on prononce le mot magique MSA, ils écoutent. » Une carte à jouer d’entrée de jeu pour expliquer qu’ils n’ont rien à vendre, bien au contraire. Florence a participé avec certains de ses confrères à l’expérimentation organisée sur dix territoires en 2017.
Deux mille entretiens ont été réalisés à cette occasion. Ils ont permis de valider l’intérêt de la démarche appliquée à la vaccination antigrippale. Avec une hausse constatée de 1 à 1,5 % de gain du taux de vaccination.
La vaccination est la mesure la plus efficace pour prévenir les affections graves causées par la grippe. Pourtant, chez les personnes fragiles, elle reste insuffisante. Pour la campagne 2019-2020, le taux de couverture vaccinale de la population agricole atteint 56,6 %. « C’est le meilleur taux de tous les régimes de protection sociale, s’enorgueillit Frédéric Pomykala, responsable du département de la prévention et de l’éducation sanitaire et sociale à la caisse centrale de la MSA. On a une bonne réponse à la vaccination pour les personnes en situation d’affection longue durée (ALD) ainsi que pour les personnes de 65 ans et plus. Il faut encore que l’on travaille sur ceux qui ne se sont jamais fait vacciner, les primo-vaccinants. C’est la raison d’être de ces entretiens motivationnels grippe. »
En complément de la simplification du parcours vaccinal mise en place par les pouvoirs publics, la MSA a fait le choix ciblé et assumé d’accompagner en priorité dans cette démarche les assurées agricoles de 65 ans qui se vaccinent pour la première fois.
« Nous ciblons une population entrante dans la vaccination pour lui permettre d’acquérir le geste vaccinal le plus tôt possible avec l’espoir qu’elle le renouvelle chaque année. De plus, la femme joue un rôle prescripteur au sein du foyer. Ce que Madame veut… », glisse dans un sourire Marianne Alphonse, chargée de mission au sein du département prévention de la caisse centrale de la MSA.
La Mme “Grippe” de l’institution est chargée de la mise en œuvre de la campagne de vaccination et de tout le dispositif MSA sur les entretiens personnalisés par téléphone (EPT) grippe. Elle a également la responsabilité de faire remonter au quotidien les chiffres de vaccination de la population agricole au ministère de la Santé.
« La MSA croit et investit beaucoup dans l’entretien motivationnel qu’elle a mis en place avec succès dans le cadre de ses Instants santé dès 2017, assure Frédéric Pomykala. Elle exporte cette méthode peu à peu dans l’ensemble de ses actions d’éducation à la santé. C’est pour nous le moyen de rendre les adhérents acteurs de leur santé, d’amener en particulier les réfractaires à se poser la question du bien-fondé de la vaccination. C’est la marque de fabrique de la MSA que d’aller vers ses assurés, de proposer des actions proactives pour leur bien-être. »
« Nous n’avons pas inventé l’entretien motivationnel. C’est une méthode éprouvée aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Elle est particulièrement bien documentée sur les addictions où elle fonctionne extrêmement bien, s’enthousiasme le Dr Mariam Arvis-Souaré, médecin conseiller technique national à la CCMSA. Notre apport a été d’adapter cette technique à la prévention santé avec beaucoup de succès, notamment auprès de nos adhérents les plus fragiles et non-consommants en soins.
Après les Instants santé, la grippe nous permet de tester une nouvelle application des entretiens motivationnels encore plus innovante. C’est un enjeu de santé publique prioritaire qui, cette année, est particulièrement important dans le contexte sanitaire que nous traversons. On sait malheureusement que des personnes vont être contaminées par le Covid. Nous avons des difficultés, pour l’heure, à anticiper l’impact éventuel d’une circulation concomitante du SARS-CoV-2 et des virus grippaux, et les conséquences potentielles d’une co-infection. Ce que l’on sait aussi, c’est que notre système de santé va être fortement sollicité et, qu’en se faisant vacciner, les personnes les plus fragiles et leur entourage peuvent contribuer à éviter une partie de son engorgement. »
Dans la salle, les jeux de rôles, mises en situation et échanges se succèdent. On casse ici des montagnes de préjugés qui résistent parfois même chez certains professionnels de santé et on se prépare à trouver les mots pour parler de vaccination. « Il faut établir une relation de confiance, montrer à votre interlocuteur qu’il ne s’agit pas de l’influencer mais de l’informer tout en respectant son cheminement intellectuel et son expérience », prévient Sophie Cot-Rascol, psychologue clinicienne. « On peut bien sûr tomber sur des anti vaccins purs et durs mais ils sont rares », explique Laure qui a également participé à l’expérimentation en 2017.
Dans la salle, les anecdotes défilent : « Certains nous disent, je ne suis pas concerné. Je vis à la campagne et je ne croise personne. Alors pourquoi me faire vacciner ? D’autres lancent que les vaccins engraissent les labos. Ou encore que le vaccin ne protège pas à 100 % car le beau-frère de la cousine de mon voisin s’est fait vacciner et l’a attrapé quand même. » Les théories du complot sont aussi au rendez-vous. « On veut nous vacciner pour nous ficher. » La vaccination, peut-être plus que d’autres secteurs de la santé, est l’objet de fantasmes et de peurs infondées. Autant de rumeurs et de croyances populaires plus ou moins loufoques qu’ils doivent aussi se préparer à entendre.
« À l’issue de cette formation, chaque professionnel repartira avec une mallette à outils à disposition dans laquelle il pourra piocher à chaque appel, indique Sophie Cot-Rascol. Leur rôle sera d’aller chatouiller l’ambivalence de l’adhérent. Quelqu’un qui vous dit qu’il est profondément antivaccin et en même temps aidant d’un parent âgé et fragile vous permet d’entamer un échange en mettant le doigt sur le fait qu’il n’est pas si cohérent que cela que de refuser de se protéger contre la grippe tout en ayant à cœur de préserver les siens. L’engagement de la MSA dans cette démarche d’éducation à la santé est remarquable car les résultats de ce type d’actions ne sont pas observables immédiatement. Il faudra attendre que les adhérents mûrissent ce que cet échange a suscité en eux, pour les amener ensuite à mieux préserver leur santé. »