15 cm. 72 grammes. C’est un poids plume qui entre facilement dans la poche et qu’on peut emporter partout. Le livret tout terrain, rigide et plastifié, a été conçu pour résister aux intempéries. Le nouveau compagnon de travail des 35 salariés paysagistes de la société idverde de Toulouse, succursale d’un grand groupe spécialisé dans la création et l’entretien d’espaces verts, renferme un programme de huit minutes d’échauffements et d’étirements à exécuter au quotidien sur le temps de travail. Chaque exercice est accompagné d’une description des mouvements et de l’indication du nombre de répétitions à effectuer en début et fin de chantier.
« En 2019, après la proposition du médecin du travail de la MSA qui suit nos salariés, nous avons décidé de nous inscrire dans ce projet », explique Emmanuel Rougé, le directeur de l’agence toulousaine. L’entreprise a la particularité de posséder dans son effectif un référent qualité sécurité environnement (QSE) qui effectue notamment des visites régulières sur chantier, afin de promouvoir les politiques de prévention. Une réunion entre le médecin du travail, le conseiller en prévention de la MSA, le directeur et le salarié référent QSE a permis de donner le top départ de l’action. « Le projet implique l’engagement du chef d’entreprise et l’adhésion des salariés, sans quoi il aura peu de chance de fonctionner », prévient le Dr Florent Masson, médecin du travail à la MSA Midi-Pyrénées Sud, à l’origine de la méthode. Le programme, conçu après l’état des lieux et les visites de chantiers réalisées par l’équipe santé et sécurité au travail (SST) de la MSA, a été présenté successivement en commission santé sécurité et conditions de travail, puis aux salariés dans les locaux de la société, en prenant soin d’expliquer à tous le contexte et les bénéfices attendus. Le tout a été complété par la présentation des mouvements par une kinésithérapeute, spécialisée en biomécanique, choisie après un appel d’offres. « Dans le but de rendre l’action pérenne au sein de l’entreprise, un livret reprenant de manière chronologique les schémas et explications de chaque mouvement à effectuer quotidiennement a été remis à chaque salarié. Ce projet n’a été possible que grâce à l’aide financière de la MSA », souligne Emmanuel Rougé.
« Le programme doit être adapté au travail réel. C’est pour cela qu’on ne peut pas mettre en place le même pour toutes les entreprises, insiste Philippe Castelle, conseiller en prévention des risques professionnels, l’autre cheville ouvrière du projet. Il faut se rendre sur place pour observer les conditions de travail, le matériel utilisé et analyser les temps de trajet, les charges soulevées. Il faut aussi réussir à l’intégrer pendant les heures de travail. Ce sont des discussions à mener avec la direction et les salariés pour que cela soit réalisable sans perturber l’activité. Le but n’est pas de contraindre mais que les exercices s’intègrent harmonieusement dans l’organisation de la journée. »
Impulsé par l’équipe pluridisciplinaire de santé et sécurité au travail, créé en concertation avec les représentants de la direction et des salariés, le programme doit aussi être validé à chaque étape par des experts médicaux pour éviter les écueils. « L’intervenant spécialisé choisi, ici Sandrine De Freitas, kinésithérapeute, devait disposer de compétences poussées en biomécanique, explique le Dr Masson. Ce type d’actions doit être effectué en mode “non lésionnel”. Il ne doit pas aggraver les pathologies préexistantes chez les salariés, il nous fallait recruter un professionnel capable de construire un programme qui soit à la fois sûr et motivant, aussi bien pour les salariés que pour l’entreprise, et réalisable en moins de dix minutes. »
Médecin du travail et du sport
Les troubles musculosquelettiques augmentent chaque année dans le monde agricole. Quatre principaux secteurs regroupent à eux seuls 60 % des TMS reconnus maladies professionnelles : la viticulture, les cultures spécialisées, le traitement de la viande et les métiers du paysage. Ce large ensemble d’affections de l’appareil locomoteur se traduit principalement par des douleurs et une gêne fonctionnelle plus ou moins importantes mais souvent quotidiennes. Celles-ci peuvent conduire dans les cas extrêmes à l’inaptitude professionnelle.
« La pratique d’activités sportives dans les entreprises du paysage comme moyen de prévention des troubles musculosquelettiques n’est pas une utopie », assure le Dr Florent Masson. À la fois médecin du travail agricole et du sport, il a transformé cette affirmation en réalité concrète en seulement quelques mois, en mettant sur pied une méthode de prévention novatrice qui fonctionne. En janvier, il a compilé sa méthode dans un mémoire1 très remarqué par les membres de l’institut national de médecine agricole (Inma). Ces derniers ont été tellement convaincus par le caractère innovant de sa démarche qu’ils ont décidé de la publier sur leur site Internet, un privilège rare.
Intéressées par le concept, deux autres sociétés du secteur du paysage de la région de Toulouse ont démarré l’aventure cette année. Les candidats se pressent maintenant à la porte du service prévention des risques professionnels de la MSA Midi-Pyrénées Sud pour bénéficier du même type d’accompagnement.
Après qu’employeurs et salariés ont exprimé leurs besoins, il faut utiliser les compétences de chacun pour accompagner l’entreprise dans sa démarche de prévention : la biomécanique pour Sandrine De Freitas, kinésithérapeute, les conditions de travail pour Philippe Castelle, conseiller en prévention des risques professionnels, le tout sous le regard attentif du médecin. Les facteurs étant pluriels, il faut que les moyens de prévention le soient aussi et surtout qu’ils soient mis en oeuvre en synergie et de façon paritaire. « Quand on évoque les TMS, on pense en premier lieu aux sollicitions biomécaniques mais le stress, les facteurs psychosociaux ou l’organisation du travail forment un ensemble qui va provoquer une équation personnelle qui peut être à l’origine du développement des troubles. 54 % des salariés agricoles au sens très large sont concernés par ce risque. »
« Faites-vous du sport et si non pourquoi ? Je pose souvent cette question en consultation », explique le praticien de 35 ans, adepte de la course à pied et de la musculation. « Les réponses sont souvent les mêmes : Je n’ai pas le temps, je ne sais pas comment faire, j’ai un état de santé dégradé ou encore j’ai mal au dos et je ne veux pas aggraver ma pathologie. » L’une d’elles revient trop souvent à son goût et a le don de l’agacer : « J’en fais déjà suffisamment au travail. Il y a là un mur à casser dans les têtes, constate-t-il. Lorsqu’on est au travail et qu’on pratique une activité physique, on se trouve dans le risque en termes de TMS et pas dans le bénéfice que pourrait amener le sport. » Autrement dit, pour lui, avoir un métier exigeant pour le corps n’exempte pas de pratiquer une activité physique sportive, en dehors ou pendant le temps de travail.
Éric Caussat, chef d’entreprise qui emploie une cinquantaine de salariés dans la région de la ville rose, s’est également engagé dans la démarche. « Chez nous, Covid oblige, tout le monde a participé en respectant les consignes sanitaires. Les pathologies que connaissent nos salariés touchent plutôt les anciens mais les jeunes ne sont pas invincibles. Le matin, certains chargent à froid et se blessent. La kiné est venue visiter nos chantiers, étudier nos postures avant de nous proposer des exercices adaptés. Nous avons installé une affiche qui reprend tous les exercices dans les vestiaires ; malgré tout certains continuent à avoir le nez sur leur téléphone portable ou fument une cigarette avant de commencer à travailler, plutôt que d’utiliser ce temps pour s’échauffer. Mais ces exercices sont un vrai plus pour nous. Si c’était à refaire, je le referais. Je pense même qu’il faudrait généraliser ce programme à toutes les entreprises. »
Baisse des dépenses de santé
Le Dr Masson est parfaitement d’accord. Il milite pour l’intégration d’un module consacré à la prévention des TMS dans la formation initiale des CFA. « Ce sont des discussions que nous souhaitons mener avec les représentants de l’enseignement agricole. Nous sommes en retard sur ce qui se pratique chez certains de nos voisins européens. Pourtant une étude2 du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) de 2015 montre que la mise en place du sport en entreprise permet une augmentation de la productivité de 6 à 9 % pour une personne sédentaire et une baisse de 5 à 7 % de ses dépenses de santé annuelles ainsi qu’un décalage de l’âge de début de la dépendance de six ans, ce qui est énorme. »
En attendant un changement de culture d’entreprise plus globale, la méthode du Dr Masson apporte des résultats concrets et quantifiables. Après deux mois et demi, plus de 50 % des salariés continuent à pratiquer les échauffements au moins une fois par semaine et 24 % les étirements.
(1) Document consultable ici :
http://www.inma.fr/wp-content/uploads/2020/03/2020-05-MASSON.pdf
(2) Étude de l’impact économique de l’activité physique et sportive (APS) sur l’entreprise, le salarié et la société civile, 2015, Synthèse-CNOSF, 27 p.
« Notre mission est de recruter, former et accompagner …
… des publics en recherche d’emploi intéressés par le métier du paysage, principalement dans le cadre de contrats de professionnalisation en alternance. Leur santé est au cœur de nos préoccupations. Avec l’équipe de la MSA, nous sommes allés à la rencontre des salariés pour décortiquer leur façon de travailler. À six heures du matin, les gars sont vite en action. Peut-être trop. C’est une vraie ruche. Ils ne connaissent pas forcément bien leur corps et la nécessité de prévenir les TMS. Nous avons démarré le projet au mois de mai, l’adhésion a été massive. Certains pratiquaient déjà du sport mais ce n’est pas la majorité. 40 % ont moins de 26 ans. Les plus de 40 ans sont peu nombreux. Reste à persuader les chefs d’entreprise que les 8 minutes nécessaires à la réalisation des exercices ne sont pas du temps perdu mais gagné en faveur de l’efficacité des travailleurs, leur bien-être au travail et leur durabilité dans le métier. »
*Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification. Il intervient principalement dans le département de la Haute-Garonne.
« D’habitude, les gens viennent me voir quand ils ont déjà mal.
Là, j’ai la chance de pouvoir agir avant. Dans ce projet, l’autonomisation des salariés est primordiale car ces exercices doivent être renouvelés au quotidien. Si les salariés n’adhèrent pas ou ne savent pas faire tout seuls, nous ne serons pas là pour les pousser ou les corriger. Nous avons cherché à construire un programme composé de gestes facilement reproductibles, simples et compréhensibles. Les choses qui fonctionnent sont celles qui sont réalistes et réalisables. Les salariés sont certains de ne pas se blesser. Il est difficile de garder la motivation au fil du temps, d’où l’intérêt des carnets qui permettent de jeter un oeil quand on a un moment de libre. Ils aident à mettre en place un petit rituel. Je fais ce métier pour aider les gens. L’exercer de façon collective et intervenir préventivement donnent un sens supplémentaire à mon travail. Je suis heureuse de voir que les salariés, les organismes de sécurité sociale et les employeurs se mobilisent. »