Vaison-la-Romaine, ses sites gallo-romains, sa cathédrale Notre-Dame de Nazareth, son cloître, sa chapelle Saint-Quenin, son musée archéologique Théo-Desplans… et depuis le 1er septembre son espace de vie sociale (EVS). Un lieu qui se visite aussi mais pas pour des raisons touristiques.
Quoique : car après tout, que savons-nous des EVS ? Pour être agréées comme tels par la caisse d’allocations familiales (CAF), les structures associatives de proximité doivent « toucher tous les publics, a minima les familles, les jeunes et les enfants, et développer prioritairement des actions collectives permettant le renforcement des liens sociaux et familiaux, les solidarités de voisinage, ainsi que la coordination des initiatives favorisant la vie collective et la prise de responsabilités des usagers ». C’est bien joli mais « Ce monument, quand le visite-t-on ? », pour paraphraser la tirade du nez issue de la pièce de théâtre Cyrano de Bergerac. Maintenant !
Besoin d’un lieu de partage
Sis en plein centre-ville à équidistance entre le théâtre antique et le pont romain — et c’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue — l’EVS Ventoux solidarités nous ouvre ses portes. L’accueil est assuré par deux gentes dames : Samia Ganoudi, volontaire en service civique, et Colette Cazin, bénévole (lire le témoignage ci-dessous). Nous sommes introduits auprès d’Am-Barka El Mainy, responsable des lieux, intarissable comme une guide- conférencière sur l’histoire de la jeune structure.
« Quand mon poste est créé en 2019, je prolonge le diagnostic territorial engagé par Michèle Cudo, la directrice du lycée et du centre de formation professionnelle de l’Acaf-MSA, association à l’origine du projet de création de l’EVS. Sur le questionnaire adressé aux quelque 6 000 habitants, nous obtenons 300 retours. Je continue alors à creuser les besoins en allant au-devant de la population, sur les marchés, en bas des immeubles, ou au forum des associations, par exemple, comme pour une campagne électorale !
« Ce qui en ressort : le besoin d’un lieu de partage intergénérationnel — pour décloisonner les structures existantes dédiées à des tranches d’âge — et de lien social ouvert à tous. Les Vaisonnais souhaitent être accompagnés dans leurs projets ; ils veulent échanger des savoirs. Par ailleurs, ils demandent une aide pour accomplir leurs démarches administratives numériques et une meilleure information sur l’accès aux droits, notamment lors de la survenue d’un événement (déménagement, reprise d’activité, séparation, deuil, etc.). »
Avec l’idée chère à la CAF et à la MSA de « faire avec » et non « à la place de », mais aussi de devenir un lieu d’accueil et d’orientation sans la prétention de marcher sur les plates-bandes des structures déjà en place, l’EVS prend peu à peu tournure. Après la phase de contractualisation de partenariats locaux, institutionnels et/ou financiers, vient celle de la recherche d’un local.
Là, Am’Barka fait valoir d’anciennes compétences professionnelles acquises dans le secteur du logement pour dégoter la perle rare : une maison à louer de 80 m2 en plein centre ! « Dans le diagnostic territorial, l’accessibilité du lieu est apparue comme un critère très important aux yeux des habitants, notamment pour les familles monoparentales, les personnes âgées et celles qui ne détiennent pas de permis de conduire. D’autant que les centres administratifs sont éloignés de Vaison-la-Romaine et mal desservis par les transports en commun, obligeant ainsi ses habitants à se déplacer sur Orange ou Carpentras pour effectuer leurs démarches. »
Le local choisi présente un autre atout : un potentiel d’aménagement d’une remise au rez-de-chaussée qui permettrait de doubler la surface utile et pourquoi pas, de doter l’EVS d’un espace collaboratif pour en faire un tiers-lieu.
Mais pour l’heure, l’EVS déploie ses actions en ne cessant de s’adapter aux circonstances. « Il a évolué dans un contexte de crise sanitaire, nous nous sommes habitués à ça ! » En plus du service d’accueil aux habitants (informations, accueil généraliste et/ou orientations), l’association propose, sur rendez-vous hebdomadaire, une permanence d’écrivain public (lire le témoignage ci-dessous) pour l’accompagnement aux démarches administratives sur internet ou par formulaires papier (service gratuit et confidentiel).
Nous avons opté pour le mot “solidarités”, plus universel
Depuis le début de la période de reconfinement, les permanences sont maintenues. Quant à l’échange entre les habitants, il prend notamment la forme de cafés à thème hebdomadaires — les deux derniers ont porté sur la prévention de la précarité énergétique et des ateliers de maîtrise de l’énergie, avec le centre pour l’environnement et le développement des énergies renouvelables (Ceder), et sur les droits des seniors, avec le centre local d’information et de coordination (Clic) gérontologique du Haut Vaucluse — et de repas partagés, un vendredi par mois.
Ces activités sont pour le moment suspendues. Parmi les autres services : le soutien à la scolarité — la structure vient d’obtenir l’agrément contrat local d’accompagnement à la scolarité (Clas) pour l’année 2020-2021 — ainsi que la mise à disposition d’outils informatiques et d’une aide pédagogique proposée.
Depuis le début de la deuxième vague de contamination au Covid-19, le lien social perdure : Samia prend des nouvelles des habitants par téléphone et des animations participatives sont postées sur le réseau social Facebook (jeux, photo-quiz, recettes de cuisine, etc.). Voyez comme on pouvait dire bien des choses de l’EVS, en somme ! Et en variant le ton.
Car il est encore un élément symptomatique qu’Am’Barka souhaite aborder avant la fin de la visite : le choix du nom de l’EVS, “Ventoux solidarités”. « Quand nous y avons réfléchi avec le comité des habitants, qui regroupe des bénévoles aux profils variés (un ingé informatique, une ancienne éducatrice spécialisée, une puéricultrice, etc.), il apparaissait que l’adjectif social était mal connoté : dans l’esprit d’une partie de la population, il renvoie aux personnes en difficulté, à ce qu’on appelle communément les «cassos». Or, nous ne voulions pas que ce lieu soit stigmatisant. Au contraire, nous voulions l’ouvrir au plus grand nombre. Même si la caractéristique sociale qui est présente dans le sigle EVS n’est pas une honte, nous avons opté pour le mot «solidarités», plus universel. Et je crois que le regard est en train de changer car les personnes qui poussent la porte de l’espace de vie nous disent qu’elles ont l’impression d’entrer chez elles ! »
Colette Cazin, bénévole
« Je suis éducatrice spécialisée à la retraite. Je participe au projet d’espace de vie sociale depuis sa création. J’assure l’accueil de la structure en complément de Samia. J’ai coutume de dire qu’il y a trois niveaux de prise en charge à l’EVS : le rouge, ce sont les personnes accueillies par Am’Barka en toute confidentialité ; l’orange, quand Samia reçoit les habitants, leur pose des questions pour bien les orienter ; et le vert, c’est moi, je renseigne, je fais patienter, je papote. Et ça me convient très bien ! Je conçois l’EVS comme une bulle de convivialité. Nous permettons aux personnes qui poussent notre porte de les remettre dans un flux de vie, d’échange, de briser l’isolement. Un jour, en mairie, je suis tombée sur un questionnaire sur le vivre ensemble. On y parlait de la création d’un EVS. Je venais d’arriver à Vaison-la-Romaine et j’ai trouvé cela intéressant. La ville compte 125 associations mais ce sont toutes des niches : le patrimoine, le théâtre, la gastronomie, la danse… Rien sur la mixité. Chacun continuait de parler de sa solitude. Alors que les gens ont simplement besoin d’être mis en relation. Et moi, c’est justement ce que j’aime contribuer à faire ! »
Ghislaine Garcin, écrivaine publique à vocation sociale
« J’ai une formation de juriste en droit social. Après avoir exercé pendant vingt ans en entreprise dans les ressources humaines, je me suis reconvertie en 2017. J’ai obtenu un diplôme universitaire d’écrivain public à l’université de Toulon. Depuis 2018, je combine les statuts de travailleuse indépendante et de salariée. Au cours de mes permanences d’écrivain public, je reçois majoritairement des seniors qui ne sont pas à l’aise avec l’outil informatique ou qui ne sont pas équipés, et des personnes d’origine étrangère qui rencontrent des difficultés avec l’écrit. Je les accompagne pour remplir un dossier administratif (retraite, RSA, aide juridictionnelle…), pour effectuer une démarche dématérialisée ou pour rédiger un courrier, une réclamation ou un recours. Je constate que le passage au tout-numérique, cette marche forcée, laisse pas mal d’individus sur le carreau. Les services administratifs se sont lancés dans la dématérialisation sans se demander si les usagers avaient accès aux équipements et à la connexion Internet, sans même s’interroger pour savoir si les personnes avaient tout simplement les capacités nécessaires. C’est dans ce contexte de transition inéluctable vers le numérique que des ateliers collectifs d’initiation à l’informatique et à l’usage d’Internet seront proposés par l’EVS en 2021 afin de contribuer à l’autonomie des personnes. »