Quand on entre chez Martine et Éric, on est frappé par l’esprit de famille qui flotte dans l’air. Dans cette charmante maison de briques rouges typique du Nord, située à Forest-en-Cambrésis, se côtoient enfants, parents, chiens, chats, poules et autres boules de poils ou de plumes.

Ici vivent également André, Fernand et Daniel, âgés de 69 et 71 ans. S’ils ne sont pas de la famille stricto-sensu, c’est tout comme. Martine Tourneux est en effet accueillante familiale depuis 1997. Son conjoint, Éric Lacomblez, est exploitant agricole. Veuf, il a rencontré Martine, elle-même fille d’agriculteurs, il y a presque 15 ans.

Environnement proche du lieu de vie d’origine

« Ici, on n’est pas oublié ». André, arrivé dans la famille en 2010 et ancien exploitant, se sent comme chez lui. Il aime se rendre sur la ferme, à deux pas de la maison. « J’aide Éric à la traite, au nettoyage de l’étable… J’ai l’habitude, j’aime les bêtes. » Pas d’obligation cependant, chaque personne accueillie est libre de participer ou non.

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Entre ses 80 vaches laitières, ses veaux et ses cultures de blé, d’orge et de colza, Éric, qui tient son exploitation avec son fils, n’a pas le temps de s’ennuyer. « André, c’est un peu la vedette », avoue-t-il lorsque ce dernier raconte le jour où il a conduit le tracteur.

L’accueil familial à la ferme permet de maintenir les personnes en perte d’autonomie dans un environnement proche de leur lieu de vie d’origine, tout en offrant un complément de revenu aux agriculteurs. Un concept qui, en ville, est bien développé dans le département et que les acteurs du territoire cherchent à déployer chez les agriculteurs. C’est pourquoi la MSA Nord-Pas de Calais, la chambre d’agriculture et le département du Nord ont signé en février une convention de partenariat.

Un cadre précis pour les conditions d’agrément

« Ce mode d’accueil alternatif existe depuis longtemps mais il ne se structure que depuis récemment, explique Stéphanie Godebille, chargée de mission au service accueil familial, habitat intermédiaire, du département du Nord. La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) a posé un cadre plus précis quant aux conditions d’agrément. »

Des conditions de sécurité, de bien-être et de santé sont requises pour les personnes accueillies, et de logement : une chambre de 9 m2 minimum pour une personne, 16 m2 pour un couple. Une formation aux gestes de premiers secours est désormais obligatoire, ainsi qu’une formation initiale de 54 heures pour les nouveaux agréés au 1er juillet 2017 ou n’ayant jamais accueilli avant cette date.

Accueil temporaire ou permanent

La motivation et la construction du projet des accueillants sont également examinées. Un diagnostic conseil est réalisé avant toute demande d’agrément. « Il permet de montrer l’adéquation entre l’activité de l’exploitation et la projection dans l’accueil, continue Stéphanie Godebille. Si toutes les conditions sont réunies, la personne dépose alors sa demande d’agrément au département. Nous gérons ensuite le contrôle et le suivi des personnes accueillies. »

L’agrément est renouvelé tous les cinq ans. La loi instaure également une souplesse importante : le choix d’un accueil temporaire ou permanent. Un week-end par mois, une journée par semaine ou plus, le contrat signé entre la personne accueillie et l’accueillant est adaptable, aménageable, et peut être rompu n’importe quand.

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Photos © Marie Molinario/Le Bimsa

« J’ai toujours voulu une famille nombreuse »

Chez Martine, c’est 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et souvent jusqu’à la fin de vie. « J’assure les toilettes tant que j’en suis capable, je prépare les piluliers, les repas, le linge… La vie de tous les jours, mais en menu XL car on peut facilement être 10 à table avec les enfants ! J’ai toujours voulu une famille nombreuse. J’ai réussi à avoir six enfants tout en menant une vie professionnelle. Dans ce métier, il faut avoir envie de donner, s’investir, savoir s’adapter à tous les aléas quotidiens, être très organisé et anticiper. »

Elle trouve même le temps d’aider à la ferme, nourrir les veaux et les vaches aux pâturages, sans oublier les petites balades au parc avec ses pensionnaires. « Il faut être en forme et ne pas se laisser déborder. Avec les enfants à la maison, ce n’est pas toujours simple, surtout en bas âge. Mais ce sont aussi des moments de partage. Mes parents étant décédés, pour mes enfants c’étaient leurs papis et mamies. Ils font partie des événements familiaux, ils sont venus au mariage de ma fille et à celui-ci du fils d’Éric. »

Stimulés et entourés

Tout un univers qui s’agite autour d’eux qui leur permet d’aller de l’avant, d’être stimulés et entourés. Comme pour Daniel qui, lui, vient de la ville. « Quand il est arrivé, il y a deux ans, il ne parvenait presque plus à marcher, il était désorienté et ne savait pas retrouver sa chambre, raconte Éric. Aujourd’hui il vient avec nous en ville, au restaurant, c’est incroyable. »

La sonnette retentit. C’est justement la sœur de Daniel, Brigitte, qui vient lui rendre visite. La famille étendue, c’est aussi celle-ci. « Ça a été difficile au départ mais, maintenant, ça va mieux. Honnêtement, je pense qu’il ne serait pas encore là aujourd’hui s’il était resté chez lui. Je suis bien contente de le voir comme ça. J’ai rencontré Mme Tourneux par le biais de l’assistante sociale de l’hôpital où il se trouvait. Je me voyais mal lui proposer une maison de retraite, il y était opposé, alors je me suis dit pourquoi pas. » Après une journée d’essai, et un contrat d’un mois, qui vaut pour période d’essai, Daniel s’est habitué à la présence des animaux et participe à la vie familiale, avec un peu de motivation de Martine. « Au début, il ne voulait pas voir un chien à côté de lui, confirme-t-elle. Aujourd’hui c’est différent, il y a aussi un effet thérapeutique à les côtoyer. Ça l’incite à sortir et s’ouvrir l’esprit. »

Les accueillants peuvent être rémunérés entre 1 300 et 1 800 euros par mois par personne hébergée, et peuvent accueillir trois personnes maximum. Par ailleurs, un exploitant agricole a la possibilité de solliciter une subvention pour aménager une pièce sous certaines conditions.

La relève est assurée

« Il faut une fibre, une implication que tout le monde n’a pas, constate Marie-Andrée Devyldère, responsable des travailleurs sociaux à MSA Nord-Pas de Calais. Nous sommes très vigilants là-dessus, l’aspect financier ne doit pas être la priorité dans le projet. Nous voyons notamment beaucoup de jeunes agriculteurs dont la femme est aide-soignante, infirmière ou salariée en Ehpad et dont le projet est d’arrêter leur salariat. Notre rôle est d’informer et promouvoir ce dispositif auprès des exploitants agricoles et des personnes âgées ou en situation de handicap, car il reste encore méconnu et suscite beaucoup d’interrogations. »

« Ça peut déranger aussi, regrette Martine, d’expérience. En campagne, les mentalités restent encore un peu fermées. C’est pour ça qu’il faut en parler. Nous-mêmes, nous ne savons pas ce que la vie nous réserve. » Dans la famille, le message est en tout cas bien passé : une fille éducatrice spécialisée, une autre aide-soignante, un fils qui vient de finir une formation d’aide-soignant et qui veut s’installer en tant qu’accueillant familial… la relève est assurée.

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Forest-en-Cambrésis, 550 habitants, fait partie de la communauté de communes du Pays de Mormal, premier EPCI reconnu « ami des aînés ». Elle compte 53 communes rurales et a signé avec la MSA une charte territoriale des solidarités avec les aînés en avril 2017.