Vue de loin elle tape dans l’œil. De près, elle en impose. Elle, c’est la Roundhouse ou stabulation ronde, un concept venu du pays des moulins et des tulipes, développé par la société internationale ID Agro, destiné à offrir aux animaux un abri cosy et inventé pour aider les professionnels dans l’élevage de bovins ou de vaches laitières. Au-delà de son apparence plutôt spectaculaire, la structure est d’abord un bijou d’innovation qu’Emmanuelle et Stéphane Poirier, éleveurs bio à Saint-Priest-la-Feuille, une commune de 783 habitants, n’ont pas hésité à planter en 2017 au beau milieu de leur exploitation de 128 hectares, désireux d’ap­porter le meilleur pour leurs 90 vaches limousines lai­tières et allaitantes, tout en améliorant leurs conditions de travail. Ils en apprécient les apports au quotidien.

« Depuis l’installation de la stabulation ronde sur l’exploitation, il n’y a plus aucun souci sanitaire. Les pro­blèmes liés aux infections respiratoires, à la diarrhée des veaux ont disparu. Les vaches sont beaucoup plus déten­dues. Elles ne se battent pas ou très peu par rapport à ce qu’il peut se passer dans certains bâtiments rectangu­laires. Elles sont beaucoup plus calmes. » Après quatre ans d’utilisation, l’amélioration de la santé des bêtes est l’un des premiers effets positifs dont se réjouit l’éleveuse, égal, soucieuse du confort et de la santé de ses bêtes. Exit donc les angoisses ou les inquiétudes liées aux maladies. « Une bête stressée, c’est synonyme d’un éleveur stressé », assène Emmanuelle Poirier, comme pour rappeler le lien fort qui l’unit à ses bovins.

Découvrez les conditions de travail d’un éleveur avec notre portrait d’un jeune éleveur, raconté dans le film documentaire Cyrille, agriculteur, 30 ans, du lait, du beurre, des dettes, sorti en février 2020.

Sur les 90 vaches, 40 sont allaitantes : la stabulation ronde leur est réservée. Le reste du troupeau, des laitières, uti­lise une stabulation rectangulaire. Les bêtes restent dans ce bâtiment pendant 15 jours seulement dans l’année, le temps qu’il faut pour l’opération des prophylaxies, des mesures obligatoires de prévention et de surveillance contre certaines maladies. C’est aussi un moment où elles se requinquent pour l’hiver à l’aide de traitements riches en vitamines, sels minéraux… Après quoi elles « sont mises dehors, parce que nous sommes en agriculture biologique depuis 2012 », rap­pelle Emmanuelle Poirier.

Avec sa toiture synthétique très résistante mesurant 900 m2, la structure circulaire, aérée, sans bardage, est équipée de cornadis autobloquants qui aident à mainte­nir en place les bovins. Formant à l’intérieur comme un camembert, elle se compose de 6 portions. Chacune accueille un nombre précis de vaches et de veaux. Pour regagner leur confortable studio, les vaches laitières passent par un couloir de contention, conduisant à un espace aménagé au centre ; la circulation se passe sous l’œil vigilant d’Emmanuelle Poirier qui, à ce moment-là, prend le temps d’examiner en toute sécurité chaque bête. Lors de l’opération elle ne craint pas d’être bousculée. « Les animaux montent dans le couloir de contention constitué de portes noires. Le dispositif est doté d’un système de protection qui évite qu’on prenne des coups, précise-t-elle. Cela permet de manipuler l’animal et de vérifier ses pattes par exemple s’il boîte. » 

Un bâtiment de 190 000 euros

Le bâtiment est autonome en électricité. Des leds ont été mises en place et sont alimentées par les panneaux photovoltaïques. « Ceux-ci servent à l’éclairage des ter­rasses de la stabulation, explique l’agricultrice, comme aux clôtures de nos parcelles environnantes. » La Roundhouse coûte 190 000 euros avec le terrassement, l’eau, le béton… En 2017, il est le premier en France. Aujourd’hui, il y en a deux autres, l’un en Normandie et l’autre en Rhône-Alpes.

Ce n’est pas surprenant donc si les confrères, venant de toute la France et de passage dans la Creuse, n’hésitent pas à faire un détour par la Gaec des mûriers pour approcher cette curiosité et vérifier par eux-mêmes si elle vaut un tel investissement. Emmanuelle Poirier est bien loin de les en dissua­der. Pour elle, il n’y a pas d’hésitation à avoir. Cette innovation est satisfaisante sur tous les plans à commen­cer par la production de veaux de lait dont la qualité se nourrit de toutes ces bonnes conditions.

Après une jour­née passée au champ, les vaches allaitantes regagnent le soir leur confortable hôtel afin d’allaiter en toute tranquil­lité les veaux. Sereines, à l’abri de leur logette, pendant que le veau prend sa petite ration de lait, elles se reposent, les yeux absorbés dans la contemplation du paysage. Tout ce plaisir se répercute sur la viande des veaux, fondante et très claire, qui est ici la production phare de l’exploitation. « Nous faisons du broutard (jeune bovin à viande) et du veau de lait sous la mère en bio. Le bâtiment favorise un meilleur engraissement et une vache de meil­leure qualité. »

« Nous possédons 90 mères allaitantes et des vaches laitières. Nous sommes en agriculture biologique depuis 2012. Nous produisons du broutard (jeune bovin à viande) et du veau de lait sous la mère. Nous faisons de la vache d’engraissement. Et nous nous occupons nous-mêmes de la vente directe de tous nos produits.»

Emmanuelle Poirier éleveuse bio à Saint-Priest-la-Feuille.

Vente en direct

Mais ce n’est pas le seul intérêt de cette innovation qui vue du ciel s’apparente à un chapiteau de cirque. L’équipe­ment en facilitant le travail permet de gagner du temps. « On fait le travail beaucoup plus rapidement que si on avait une stabulation rectangulaire. » Ce gain-là est précieux pour ce couple qui s’occupe lui-même de la vente en direct de la production sur les marchés locaux, dans un rayon de 25 kilomètres autour de l’exploitation. Avec la crise sanitaire ce mode de vente est le moyen le plus sûre d’écouler ses pro­duits. « Si on ne l’avait pas, on aurait de grandes difficultés. Heureusement avec l’épidémie, les gens ont compris qu’il fallait manger local et manger français. »

Prochain projet prévu pour 2022 qui va accroître la performance de cette innovation dernier cri, récupérer l’eau des pluies évacuée par les chéneaux, qui finit pour le moment sous la dalle du bâtiment. Emmanuelle Poirier compte en faire une réserve pour en abreuver les bêtes.

Déléguée à la MSA du Limousin

L’éleveuse ne prend pas seulement soin de ses vaches, elle veille aussi sur la santé de ses collègues. Depuis la fin de l’année dernière, elle occupe le rôle de déléguée auprès de la MSA du Limousin. C’est l’occasion pour elle « de faire remonter les problématiques du territoire. Quand on a des gens qui nous parlent, raconte-t-elle, confrontés à des difficultés, on s’en fait l’émissaire et on transmet cette information à la caisse afin de déployer les mesures de soutien ou d’accompagnement qui s’imposent. On est en fait un lien entre la MSA et les agriculteurs qui peinent à parler d’eux. Beaucoup sont souvent isolés. Et quand ils rencontrent des difficultés, ils ne veulent pas que ça se sache. Le paysan est fier. Ce n’est pas un proverbe. Quand il est dans la difficulté, soit il va dire tout de suite que ce ne va pas, soit il va nier et là c est la descente aux enfers. »

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