« J’ai toujours voulu garder une activité car cela me permet de ne pas ressasser, déclare un salarié d’EDF. Quand j’ai mal, j’oublie en travaillant… Mais j’ai appris à décoder : certains jours, j’ai tellement de douleur que je ne peux pas travailler. J’ai appris à réguler l’effort pour ne pas payer le lendemain. Je récupère pendant que je travaille. »
Garder le lien social pendant la maladie
Quand la maladie frappe à la porte, tout s’écroule. Tout ? Pas précisément. Car il faut commencer par battre en brèche des idées reçues. Il est, par exemple, tout à fait concevable de garder le lien social avec l’entreprise pendant la maladie : le contrat de travail est suspendu mais des interactions sont possibles ! Il est même envisageable d’exercer sa profession avec une affection telle qu’un cancer, à condition de se voir proposer des aménagements spécifiques dans l’organisation du travail.
C’est ainsi qu’un second colloque sur les expérimentations notamment menées au sein de différentes organisations professionnelles agricoles est organisé le 14 octobre 2022, après deux temps dédiés à l’investigation auprès des salariés concernés et des parties prenantes ainsi qu’un premier séminaire. En 2017, 71 % des entreprises affirmaient avoir des difficultés à gérer le retour à l’emploi(1).
Depuis 2018, le Crédit agricole de Normandie-Seine fait le constat d’une augmentation du nombre d’absences longues de plus de 90 jours. Dans ce contexte, les collaborateurs manifestent leurs attentes autour de l’accompagnement et de la simplification des démarches administratives. Des zones d’ombre sont à lever sur les interactions possibles pendant l’arrêt maladie alors même que de nouveaux outils permettent de les entretenir via des logiciels RH dédiés.
L’employeur propose donc d’améliorer les conditions de travail. Une révision des processus dans la co-construction (collaborateurs, managers, représentants du personnel) et une aide à la réflexion pour explorer de nouvelles voies plus tard(2), et la première réalisation voit le jour. Elle prend la forme d’un guide pédagogique truffé d’outils et de conseils pour aider les collaborateurs à chaque étape de leur parcours de soins avant, pendant et après leur arrêt maladie.
Expérimenter la notion de temps choisi
La version du guide destinée aux managers est également découpée en quatre étapes allant de l’annonce de la maladie à la reprise de l’activité. Il permet notamment de répondre à des questions telle que : « Comment réagir face à l’annonce de la maladie d’un de mes collaborateurs ? Ai-je le droit de le contacter s’il m’informe uniquement de l’envoi de ses arrêts par e-mails, SMS, PeopleAsk ? Comment en informer l’équipe ? Comment gérer l’absence ? ».
Du côté de La Réunion, le Crédit agricole propose un retour de son expérimentation du « temps choisi ». La démarche se décompose en quatre étapes :
- Étape 1 : faire le point sur l’environnement juridique, soit la gestion et le suivi du temps de travail – au travers de la convention collective nationale et de l’accord d’entreprise (39 heures hebdomadaires, salariés à l’horaire et au forfait-jour) – et le temps partiel thérapeutique (TPT).
- Étape 2 : sortir du cadre tout en rassurant les parties prenantes, en partant du constat que 50 % des retours se font en TPT, à défaut d’autres solutions. Or le TPT engendre des difficultés, parmi lesquelles une activité « empêchée » (report de charge de travail sur l’équipe ou fonctionnement en mode dégradé). Pour tenter d’y remédier, le besoin de souplesse se matérialise par une nouvelle modulation des jours de travail – en fonction des rendez-vous médicaux, des capacités productives, des exigences de l’activité –, par une prise en compte des temps de trajet et par la formalisation d’une convention d’aménagement souple du temps de travail.
- Étape 3 : expérimenter les outils existants, après avoir constaté la rigidité du système d’information des ressources humaines (SIRH). Une première version est basée sur une déclaration du temps de travail en fin de semaine et, en concertation avec le manager, une planification prévisionnelle des jours et lieux de travail. L’un des avantages est la possibilité de travailler sur des journées complètes, ou à l’inverse pendant quelques heures. L’un des inconvénients est le suivi manuscrit du décompte des heures. Une seconde version est basée sur un retour au badgeage qui implique l’intervention d’un gestionnaire RH en cas de modifications des cycles de travail.
- Étape 4 : subsistent des interrogations relatives à la charge de travail des collaborateurs RH en charge d’effectuer les retraitements manuels dans le SIRH, à la suppression du badgeage – jusqu’à quel point est-il possible de s’en affranchir ? – à l’environnement juridique (estimé encore trop rigide), à l’anticipation nécessaire au retour à l’emploi (affectation sur des missions en sureffectif, retour sur l’ancien poste, analyse au cas par cas, etc. ?).
Des horaires flexibles
Enfin, pour le fournisseur d’énergie EDF, la signature d’une convention d’expérimentation « pour un maintien raisonnable dans l’emploi », répondant à une évolution du besoin du salarié en lien avec sa santé, permet à ce dernier de poursuivre son activité sans arrêt de travail ni mi-temps thérapeutique.
La durée quotidienne du travail et l’organisation du temps de travail sont notamment laissées à l’appréciation du salarié qui peut, par exemple, en cas de besoin de repos, bénéficier d’une flexibilité durant 48 heures.
« Le cadre de travail de la convention est parfait, témoigne un collaborateur. Le médecin a voulu que je fasse un mi-temps thérapeutique. Cela ne me convenait pas, je voulais pouvoir travailler quand je le voulais et le pouvais ».
Maryse Aio, responsable de la mission handicap et directrice en charge de la RSE (responsabilité sociale et environnementale) à la CCMSA, revient quant à elle sur l’expérimentation portée par la MSA des Charentes autour de deux axes originaux : le « droit à la connexion » et le « travail comme après ».
Parce que, dans certaines situations, le travail contribue à participer à l’amélioration de l’état de santé du collaborateur, la reprise de l’activité est alors envisagée dès que l’absence est annoncée. Dans cette optique, la reprise ne se limite pas à la visite médicale : ainsi, le collaborateur devient l’acteur principal de son maintien en emploi. « Je salue le soutien des organisations syndicales qui ont tout de suite compris l’intérêt d’une telle démarche formalisée par un accord d’entreprise », conclut Maryse Aio. Une brèche ouverte préfiguratrice d’un grand changement.
(1) Institut universitaire du cancer de Toulouse & l’association La vie après, enquête, 2017.
(2) lenouvelinstitut.fr (expérimentation de l’outil 9 ¾), mycancernetwork.fr, ligue-cancer.net, gefluc.org
« J’ai planté des tomates sur mon balcon »
Stéphane Salimon, manager informatique chez iMSA*
« Avec le choc de l’annonce de mon cancer, en mars dernier, je me suis complètement mis en retrait de ma vie professionnelle : j’étais concentré sur la gestion des symptômes et des premiers soins. Je faisais face à des discours médicaux contradictoires. Je me suis isolé volontairement. Pendant deux mois, je suis resté en état de sidération. Je craignais de devoir affronter le regard des autres. Du jour au lendemain, j’ai coupé tout contact, ce qui a été difficile pour moi et pour certains collaborateurs, des amis de 30 ans parfois.
Après avoir planté des tomates sur mon balcon, j’ai souhaité reprendre le lien avec le monde professionnel. D’abord par des échanges informels avec les collègues. Ça m’a fait du bien ! Puis j’ai manifesté le désir de reprendre une activité à temps partiel. Mais comment concilier mon agenda professionnel avec les contraintes de la maladie ? Maryse Aio m’a parlé du programme et nous avons reçu une réponse favorable de la DRH de la CCMSA dans la prise en compte de tous mes besoins.
J’ai repris mon activité le 21 septembre dernier à 60 % avec l’accompagnement d’une collaboratrice des ressources humaines. J’ai la possibilité de bénéficier du télétravail thérapeutique et, comme avant, du contrat au forfait jour. Je planifie donc mon activité quotidiennement. Cette flexibilité me permet de gérer au mieux mes chimios et radiothérapies. J’ai repris à 100 % depuis le 2 novembre. Je m’absente une heure et demie par jour pour suivre mes traitements. Par ailleurs, ma hiérarchie fait preuve d’une totale bienveillance à mon égard. À l’annonce de la maladie, on a l’impression d’être mis au bord de la route. Elle nous y met d’office. Aujourd’hui, avec la reprise du travail, je me remets sur la route. L’horizon s’éclaircit un peu. »
* Entreprise informatique de la MSA