Le 22 mai, rendez-vous à 8 heures avec la classe de première année de BTS viticulture-œnologie au lycée agricole Tours-Fondettes Agrocampus à Tours, une ville située entre le Cher et la Loire. Sur le parking, à l’entrée du lycée, Simon Rousseau, enseignant et Philippe Bertholet, intervenant viticulteur, discutent avec quelques élèves. Aujourd’hui, dans le cadre des travaux pratique “ébourgeonnage-épamprage” au domaine des Millarges de Chinon, les étudiants vont utiliser le scooter des vignes remis par la MSA le 27 février dernier, dans le cadre d’un journée de formation, organisée par Sandra Fournier et Xavier de Mori, conseillers en prévention des risques professionnelles à la MSA Berry-Touraine. Au programme également de cette séance, qui va durer toute la matinée, une première prise en main d’un tracteur.
Rendez-vous avez la classe de première année de BTS viticulture-œnologie
La classe n’est pas au complet. Sur 23 élèves, ils sont cinq à être présents aujourd’hui car beaucoup planchent encore sur un dossier terroir à rendre avant le début des stages prévus dans quelques semaines. Jeanne, Teddy, Sara, Paul et Léo ont bouclé le dossier en question. « Comme vous partez bientôt en stage, qui n’a jamais conduit de tracteur ici ou très peu ? Vous savez attelés des outils ? Une griffe ? », interroge Philippe Berthelot. Certains répondent par la négative. « On va regarder ça. », annonce-t-il. « Vous avez vos sécateurs ?», demande, de son côté, Simon Rousseau. « Oui », répondent-ils en chœur. Soulagement du professeur. Certains ont même pensé à apporter leurs équipements de protection individuelle (EPI). Après les précisions sur le programme de la journée, direction le domaine des Millarges, à Chinon, à trente minutes de Fondettes, à bord d’un van.
Sur le domaine de Millarges
Un ciel bleu plane au dessus des parcelles verdoyantes de la propriété viticole pendant que les températures grimpent à toute allure. Au fil des heures, le soleil cogne de plus en plus fort. À cette période de l’année, la saison de la taille est déjà terminée. Pendant cette séquence, qui va de la chute des feuilles en novembre décembre à mars-avril, on sélectionne les bourgeons (ou yeux) sur les pieds de vigne qui vont donner les grappes de raisin. Petit conseil de Simon Rousseau : « L’idéal est de tailler le plus tard possible car plus on taille tard, plus ça va débourrer tard. Par rapport aux gelées, on retarde de quelques jours. »
Il faut faire au moins une saison complète pour apprendre le métier. Avec la pratique, on acquiert le coup d’œil et le coup de main. Malheureusement, cette activité n’arrive pas à recruter : il n’y a pas assez de candidats. Et dans l’ensemble, le secteur de la viticulture souffre d’une pénurie de main-d’œuvre. « Il y a beaucoup d’offres d’emploi que l’on reçoit régulièrement pour la France et l’étranger. Et on n’arrive pas à y répondre », indique Simon Rousseau. Un manque d’attrait qui s’explique par les conditions de travail : « Au niveau des exploitations, ça reste physique. C’est peu valorisé. Une activité comme la taille, c’est physique. Il faut y aller par tous les temps », admet-il.
Fignoler une méthode de travail aux petits oignons
Mais la dureté du métier n’est pas seule en cause. « Il y a peut-être un manque de reconnaissance d’un point de vue financier », glisse l’enseignant qui reconnaît des points d’amélioration apportés dans les conditions de travail par le scooter des vignes et l’exosquelette, une armature qui se met à l’extérieur du corps. La MSA de Touraine-Berry a mis à la disposition du lycée ces outils, soucieuse d’adresser son message de prévention aux futurs professionnels au sein même de leurs lieux de formation. Les méthodes de travail sont aussi importantes pour réduire la pénibilité du métier. Il faut savoir varier les tâches : « tailler, plier, tirer les bois ou mettre en bouteille ». Varier les activités permet aussi d’alterner et de ne pas utiliser forcément les mêmes muscles. » Pour Philippe Berthelot, « la taille en elle-même n’est pas très dure physiquement. C’est surtout répétitif. Il y a des gens qui sont plus sujets que d’autres à des pathologies, tendinites articulaires. L’idéal serait d’arriver ou à soulager ou à rompre la monotonie. On taille pendant quelque jours, après on travaille dans le chai. »
Travaux pratiques
Les étudiants se sont changés et sont maintenant prêts à commencer leurs travaux pratiques, le sécateur en poche. Avec le printemps, c’est le temps de l’ébourgeonnage car il faut que le cep bénéficie d’un maximum d’ensoleillement. Les BTS n’ont pas encore eu l’occasion de tester le scooter. « On enlève les contre-bourgeons. Penser à bien regarder sur vos pieds le placement des rameaux pour la future taille. Tout ce qui est entre les doubles bourgeons. »Simon Rousseau donne ses instructions.
« La vigne passe avant tout »
Jeanne se prépare à diriger sa propre exploitation dans le Jura, à Lons-le-Saunier avec son fiancée. Elle n’a pas peur de la dureté du métier qu’elle connaît bien, étant fille de viticulteur en champagne. « La vigne passe avant tout. C’est toute notre vie », explique-t-elle même si elle trouve le secteur trop sexiste. « On doit faire deux fois plus ses preuves en production. » Elle n’a pas envie d’utiliser le scooter. La raison ? « Je ne le trouve pas fiable. On ne peut pas l’utiliser partout. Quand c’est trop pentu, ce n’est pas possible. Et quand il a plu, les roues font la pâteuse avec la terre. C’est sûr. » Elle ne l’a jamais utilisé mais son expérience du tracteur lui donne la certitude que c’est le même fonctionnement.
Léo se prépare à être prestataire de service auprès des vignerons qui auront besoin de salariés. Comme une boîte d’intérim. Il fera un travail à la tâche. La santé et la sécurité vont dépendre du coût. « Je verrai sur le moment », confie-t-il, de plus en plus à l’aise à bord du scooter. Teddy, dont les parents sont bouchers, ne craint pas la pénibilité. Ce qui l’inquiète avant tout, ce sont les difficultés financières : « C’est dur d’avoir une exploitation quand on n’est pas fils de viticulteur. Il faut payer toutes les terres. Ce n’est pas facile. »
« Qui veut aller loin ménage sa monture »
Paul n’a pas cette préoccupation : ses parents exploitants possèdent 14 hectares. Il compte les rejoindre une fois engrangée une solide expérience chez d’autres viticulteurs. Pour la pénibilité, il sait à quoi s’en tenir : « Il faut des EPI. » Mais les choses ne sont si simples. Comme pour les outils, les EPI ne seront pas suffisants si la pratique du métier n’est pas « réfléchie ». Philippe Berthelot, en viticulteur aguerri, s’échine à le rappeler aux étudiants qu’il forme. Il faut « travailler intelligemment », prévient-il. Car : « Si on leur apprend les postures à la taille, si on leur apprend à avoir des équipements, c’est pour le confort. Le confort conditionne la qualité et la sécurité. Ce n’est pas du confort au sens du bien-être, c’est du confort au sens de l’efficacité du travail et de sécurité. Si on veut travailler longtemps, il faut travailler confortablement et intelligemment. C’est le confort pour l’efficacité. »