Vous avez parcouru des milliers de kilomètres à travers la France, comment l’avez-vous vu évoluer ?

La dynamique de fond qui structure l’évolution du pays est toujours en cours avec les caractéristiques que l’on connaît : le sentiment de délaissement d’un certain nombre de zones rurales et une fragmentation de la société très bien décrite par des géographes et des sociologues contemporains. Face à ce constat, on observe également la mise en place de décisions au cœur de l’action publique qui visent à réparer les territoires, décisions auxquelles la MSA prend toute sa part.

L’agriculture a entamé sa transition agroécologique et la contribution centrale des agriculteurs à la souveraineté alimentaire, comme à l’entretien des paysages, est maintenant reconnue. On vérifie également l’émergence de problématiques liées à la néo-ruralité qui s’est accélérée après la crise du Covid-19. Cette nouvelle réalité suppose que les aménagements liés aux territoires ruraux soient adaptés de manière beaucoup plus rapide.

J’ai pu également constater la prévalence des préoccupations de l’accès aux soins pour les populations et l’importance de continuer à investir dans les services de santé de proximité, comme nous avons réussi à le faire pour la santé mentale au titre de la lutte contre le mal-être des populations agricoles. J’ai également été frappé par l’importance des crises que traverse le monde agricole et leur récurrence. Elles sont d’ordre climatique, économique mais aussi hélas moral avec parfois un agribashing choquant qui n’est ni acceptable, ni même compréhensible.

Je crois que ces six dernières années témoignent parfaitement du caractère stratégique de l’agriculture et des territoires ruraux pour le pays. Sans le bien-être des populations agricoles, auquel nous contribuons, comment en effet réussir à créer une agriculture souveraine et continuer à faire de nos campagnes des espaces de vie au service de l’ensemble de la population française, notamment celle qui y vit, travaille, élève les enfants ou passe sa retraite ?

Comment va le régime agricole aujourd’hui ?

Nous avons réussi à préserver l’essentiel sur le plan de nos moyens dans le cadre de la dernière négociation de la convention d’objectifs et de gestion [NDLR : document qui contractualise la délégation de gestion du service public de la sécurité sociale à la MSA par l’État], pour contribuer à préparer son avenir de manière très structurée à travers son ambition stratégique : MSA 2025 et demain MSA 2030.

La MSA doit pouvoir continuer à valoriser l’existence de plusieurs opérateurs au service d’un régime universel de protection sociale, en démontrant ainsi leur plus grande capacité à contribuer à la cohésion sociale et territoriale qu’un opérateur unique qui relève d’une dangereuse vue de l’esprit aux antipodes de la réalité du pays.

Globalement, on peut dire que le régime agricole n’a pas été affaibli, loin de là, ces dernières années. Notre place au sein du concert des organismes de protection sociale n’est pas contestée. Nous sommes même, à bien des égards, force de propositions pour l’avenir de la sécurité sociale toute entière, en valorisant ce qui nous est envié dans l’action publique générale, mais aussi dans le monde de la protection sociale : notre démocratie très active, notre service global à la personne au travers du guichet unique et, enfin, notre proximité géographique jusqu’au dernier kilomètre, à travers nos élus, nos implantations et nos salariés, ainsi que les projets auxquels nous participons.

Quels sont les grands enjeux à moyen et long terme pour la MSA ?

Ce qui me paraît le plus important est la poursuite des actions de mise en cohérence du régime autour de son plan stratégique. À ce titre, l’enjeu permanent est celui de la qualité et d’une certaine homogénéisation du service sur tous les territoires. Ce qui ne veut pas dire uniformité. Et donc, une consolidation durable de notre capacité à contribuer à la réparation des territoires ruraux dans leur ensemble. Il est essentiel que la solidarité des acteurs du régime continue de se renforcer autour d’objectifs partagés et portés sur chacune des portions du territoire national par les équipes dirigeantes, les élus et les salariés de chacune de nos caisses locales. À défaut, la plus grande force du régime, qui est sa décentralisation, pourrait devenir sa plus grande faiblesse et mettre en péril tout l’acquis des constructions antérieures.

La MSA doit pouvoir continuer à valoriser l’existence de plusieurs opérateurs au service d’un régime universel de protection sociale, en démontrant ainsi leur plus grande capacité à contribuer à la cohésion sociale et territoriale qu’un opérateur unique qui relève d’une dangereuse vue de l’esprit aux antipodes de la réalité du pays.

En quoi le modèle démocratique de la MSA est-il un atout?

La MSA est, d’une certaine manière, la dépositaire du trésor initial de la conception française de la protection sociale : sa gestion par les intéressés eux-mêmes. Et c’est la raison pour laquelle elle se doit être exemplaire. Au moment où toute l’action publique recherche un surcroît de concertation à travers, par exemple, le Conseil national de la refondation (CNR) et les démarches participatives diverses et variées dans tous les domaines de l’action publique, on peut dire que, depuis l’origine, la MSA permet, grâce à ses élus, la prise en compte de la réalité des territoires et des besoins des populations. Son modèle électif permet d’ajuster le service rendu.

On peut citer par exemple les micro-crèches en territoire rural : auraient-elles existé sans les élus ? Les structures de répit pour aidants auraient-elles vu le jour sans eux, tout comme les Maisons d’accueil et de résidence pour l’autonomie (Marpa) qui permettent aux aînés de continuer à vivre en zone rurale dans des structures à taille humaine ? Les ajustements au millimètre des prises en charge de cotisations en cas de crise agricole pourraient-ils se mettre en place de manière efficace et adaptée ? Les orientations de l’Agenda rural ou de France ruralité [deux programmes de l’État] auraient-elles eu la même saveur, la même substance, sans la contribution de notre réseau d’élus ? Aurions-nous pu parler avec autant de force et de détermination aux Premiers ministres successifs, aux ministres de tutelle ainsi qu’au président de la République sans l’existence de cette démocratie continue, effective et institutionnelle ?

Des souvenirs de terrain ?   

J’en ai de nombreux mais j’en donnerai deux. Le premier, c’est la fierté des équipes d’une caisse à m’exposer la manière dont les délégués et salariés avaient pu organiser à Espalion en Aveyron une soirée contre le cancer du sein réunissant 100 personnes. Ce sont des actions comme celles-là qui font vivre notre réseau et les espaces ruraux. 

Le deuxième souvenir que je souhaiterais évoquer est la joie d’une caisse d’avoir pu faire venir le président de la République sur le stand de la MSA lors d’une édition des Terres de Jim et d’avoir pu lui parler de vive voix des besoins qui sont nécessaires pour continuer à œuvrer au bénéfice des ressortissants agricoles. 

J’en ajoute un troisième plus global, ce sont les 300 000 initiatives de notre réseau pendant la période de pandémie du Covid-19 dans le cadre de MSA solidaire, pour aller au contact des populations isolées et distribuer des paniers solidaires, c’était quelque chose de formidable. 

Cette question peut paraître triviale, mais est-ce que c’était bien ?

La réponse est oui ! Un grand oui ! Avec Pascal Cormery, le président de la CCMSA, et Thierry Manten, le premier vice-président, nous avons formé un trinôme d’une exceptionnelle qualité. J’ai aussi eu la chance de pouvoir constituer une équipe de direction rapprochée qui est une véritable dream team. Elle m’a permis de jouer pleinement mon rôle et de travailler comme interface opérationnelle du régime agricole avec les pouvoirs publics, nos ministères de tutelle et les ministères d’intérêts directs, la Première ministre et son cabinet, et la présidence de la République et bien sûr nos collègues des organisations professionnelles agricoles.

De la même manière, je suis satisfait d’avoir pu contribuer à la poursuite de la professionnalisation du pilotage du réseau des caisses, ainsi qu’à la construction d’une stratégie d’affaires publiques aujourd’hui plus structurée.

Globalement, je suis heureux d’avoir pu mobiliser au service de la MSA toute mon expérience antérieure du privé, de l’État, et du régime général. Et je suis fier d’avoir pu continuer l’œuvre de mes prédécesseurs en contribuant à améliorer les choses au bénéfice de nos adhérents et du pays. Je n’oublie pas l’adage selon lequel, certes, nous héritons nos missions de nos prédécesseurs, mais que, surtout, nous les empruntons à nos successeurs. Et j’espère donc qu’en regardant en arrière d’ici quelques années, ceux qui viendront pourront considérer que nous n’avons pas démérité.


On se dit presque tout

Qu’est-ce qui vous donne envie de vous lever le matin ?
L’énergie, le plaisir d’affronter de nouveaux défis et la joie de l’aube tout simplement. J’ai pris l’habitude depuis tout jeune de me lever tôt, souvent à 4 heures et en général à 5 h 30 du matin, pour travailler. J’ai horreur de rester au lit. Et parce que le cerveau travaille en profondeur la nuit, c’est un moment où, dès le réveil, j’écris et je structure ma pensée.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Alors d’abord, je tiens à dire que j’ai toujours des rêves mais, quand j’étais enfant, je voulais être facteur. Je trouvais ce métier formidable. Je les enviais beaucoup parce qu’ils se déplaçaient entre les maisons et apportaient les lettres, les journaux et les colis aux gens mais aussi les télégrammes qui étaient en somme les SMS (!) de l’époque. Je ne sais pas s‘il y a un lien entre ce que j’ai fait dans ma vie et cela !

Une personnalité ou personne que vous admirez ?
Quelqu’un que j’admire vraiment, c’est le grand-père de mon grand-père en ligne paternelle directe. Ce n’était pas une personnalité publique. Il a été abandonné à la naissance aux Hospices de Marseille. Parmi mes 16 aïeux de son rang (nous sommes au premier quart du XIXe siècle), c’est le seul dont je porte le prénom : il s’appelait François. Il a été placé dans deux familles d’accueil successives, des petits paysans installés dans les Alpes-de-Haute-Provence, à l’époque le département le plus pauvre de France. C’est un gamin qui a survécu à des conditions de vie extrêmement rudes et qui a commencé à travailler dès l’âge de 7 ans. Il s’est marié avec une jeune femme, Madeleine, d’une ferme du col du Négron dans la chaîne de Lure et a eu 4 enfants. Il a été un paysan sans terre. Je suis très fier de lui.

Quand en 2005 j’ai été nommé directeur général de la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à lui et à l’importance de soutenir les personnes les plus fragiles, et qu’il n’y a pas de hasard : travailler dans la solidarité et la santé à Marseille avait vraiment du sens. Je ne l’ai encore jamais dit, mais c’est la raison pour laquelle j’avais choisi « du côté de la santé, du côté de la solidarité » comme signature du projet d’entreprise de la caisse de Marseille. Et que mon identifiant sur X (ex-Twitter) est, depuis, « @santesolidarite ».

Photo d’ouverture : © Frédéric Fromentin