« Quoi de plus moderne que ce modèle démocratique ? Quoi de plus utile que la solidarité pour répondre aux enjeux actuels d’une société fracturée qui a, plus que jamais, besoin de refabriquer du commun et de retisser des liens ? », interroge Thierry Manten, le premier vice‑président de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), le 20 octobre à la tribune du palais de congrès de Tours.

La démocratie doit vivre tout le temps et partout. 

Éric Chenut

« La gouvernance mutualiste répond au besoin de la société d’une démocratie plus directe. Elle est légitimée tous les cinq ans par l’élection de délégués cantonaux », appuie Christian Violet, ex-secrétaire général de la CCMSA.

La force du premier kilomètre

Cette démocratie du premier kilomètre, qui préside au fonctionnement du régime agricole et qui s’incarne dans le visage des 13 760 des élus de la MSA, est l’héritière du mouvement social le plus ancien de France. « Il prend ses racines dans les confréries et le compagnonnage qui émergent à une époque où l’état social n’existe pas encore », éclaire Charlotte Siney-Lange, historienne.

« C’est un système qui vise d’abord à s’assurer collectivement contre un risque dont on ne peut pas assumer seul les conséquences », rappelle Éric Chenut, président de la Mutualité française. « C’est un mouvement où des femmes et des hommes venus d’horizons divers – politique, syndical, philosophique ou religieux – arrivent à agir ensemble », poursuit celui qui se définit lui‑même comme un militant mutualiste. Se regrouper dans un but qui nous dépasse est également le principe de base du modèle associatif, qui rassemble des individus qui ont décidé de répondre collectivement à un défi, porter un projet ou animer un territoire.

« La force de frappe associative, c’est avant tout une force de frappe bénévole », soutient Claire Thoury, 34 ans, présidente du Mouvement associatif, l’organisation représentative des associations françaises, et auteure d’un essai sur l’engagement des jeunes. « Elles sont 4 millions en France et rassemblent 20 millions de bénévoles. C’est colossal. C’est la force du premier kilomètre, d’où part cette énergie. Et celle du dernier, parce qu’il y a des territoires où, s’il n’y avait pas d’associations, il n’y aurait plus rien. »

Un individu égal une voix

Un constat partagé par Christiane Lambert, ancienne présidente de la FNSEA et présidente du Copa-Cogeca, un comité qui regroupe à la fois des organisations syndicales et professionnelles agricoles, ainsi que des coopératives : « L’État peut mettre tous les millions qu’il voudra, il ne remplacera pas les bénévoles et toutes les associations. Il ne pourra prendre la place de tous les élus qui sont ici dans cette salle ou engagés dans nos organisations quelles qu’elles soient. Ce sont aussi les sentinelles qui luttent contre le suicide dans les communes et qui accompagnent les agriculteurs qui font face à des difficultés dans les cellules Réagir [dispositif d’accompagnement porté par les chambres d’agriculture]. Cette fibre humaniste est l’ADN du secteur agricole. »

« C’est un exercice démocratique en soi que de s’engager en tant qu’élu MSA, dans une mutuelle, une association, une coopérative ou une organisation non gouvernementale, poursuit Éric Chenut. La démocratie ne fonctionne pas en pointillé, elle doit vivre tout le temps et partout. » « Face aux multiples défis auxquels nos adhérents sont confrontés, le mutualisme fait partie de la solution et, plus encore, il a une fantastique carte à jouer, soutient François-Emmanuel Blanc, directeur général de la CCMSA. Ses piliers que sont la solidarité et la gouvernance démocratique, un individu égal une voix, n’ont d’ailleurs jamais été autant d’actualité. »


Attirer les jeunes générations

3EME TABLE RONDE-JOURNÉES NATIONALES MSA-2023

Nous entrons dans une nouvelle ère

« La démocratie est partout désirée. Elle est partout menacée. Dans ce contexte, comment faire vivre notre démocratie mutualiste dans les années à venir et en particulier lors des élections organisées par la MSA en 2025 ? », questionne Philippe Moinard, président de la commission de l’action mutualiste de la CCMSA. Le renouvellement des délégués et des générations est en effet un enjeu pour toutes les structures qui fonctionnent selon un mode électif.

« Il y a une envie très forte de s’engager en France. S’investir dans une association est un très bon moyen de faire progresser le monde, soutient Claire Thoury. Nous sommes en train d’entrer dans une nouvelle ère de l’engagement. Celle des 16-25 ans est tournée vers les grandes causes : l’écologie, l’égalité entre les femmes et les hommes ou la lutte contre les précarités. Cette catégorie de population se caractérise par sa méfiance envers les institutions et les espaces traditionnels d’actions de la génération précédente. Ils font une forme de procès en lenteur à leurs aînés et n’hésitent pas à se rassembler dans des collectifs plus informels pour agir. »

Les circuits courts de l’engagement

Manon Pisani, 29 ans, agricultrice et rapporteure d’un avis du Conseil économique social et environnemental (Cese) sur l’engagement et la participation démocratique des jeunes, partage le même constat. « Les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas désengagés, bien au contraire. Ils ne sont pas non plus individualistes comme on pourrait le croire mais ils sont engagés différemment. Ils veulent s’engager sans signature dans la durée et sans adhérer. »

L’abstention aux élections quelles qu’elles soient est un symptôme qu’il faut regarder avec lucidité. « Pourquoi nos concitoyens et en particulier les plus jeunes sont-ils de plus en plus nombreux à bouder les urnes les dimanches d’élection ?, questionne Thierry Beaudet, président du Cese. Certains se disent à quoi bon la démocratie si c’est pour se sentir impuissant au travers d’elle ? En quoi le fait d’aller voter va changer mon quotidien ? En quoi cela va-t-il améliorer ma situation et répondre à une promesse de progrès, de prospérité, de justice sociale, ou de sécurité ? De la même façon, à quoi bon pour des jeunes venir s’engager dans nos organisations ?

Une des réponses est qu’il faut trouver des terrains communs qui vont permettre d’aligner nos intérêts aux leurs et, au-delà, à ceux de la société et de la planète. À mon époque, on entrait en mutualité comme on entre en religion. C’était pour la vie entière. Il faut être capable, aujourd’hui, de leur proposer les circuits courts de l’engagement dans nos organisations et de diversifier les parcours. Accepter l’idée qu’un certain nombre de jeunes viennent pour mener une action concrète et repartent ensuite pour peut-être revenir plus tard. »

« Être élu offre cette capacité d’agir concrètement et ensemble pour soutenir nos adhérents et plus largement les habitants des territoires ruraux face aux crises qui les fragilisent et aux enjeux de plus en plus lourds à relever, se félicite Pascal Cormery, président de la MSA. Cette capacité d’agir vient de notre connaissance du territoire mais également de notre diversité : nous sommes des milliers d’élus bénévoles, salariés, exploitants de toutes filières, aux âges, profils et parcours variés. Cette capacité, nous devons la préserver et nous assurer que nous disposerons de moyens suffisants pour rester les animateurs et les créateurs de ce lien social vital sur les territoires ruraux. »

MARC FESNEAU-MINISTRE DE L AGRICULTURE-JOURNÉES NATIONALES MSA-2023
Marc Fesneau, à droite, en compagnie de Pascal Cormery et Etienne Le Maur, directeur de la MSA Berry-Touraine.

« Votre modèle mutualiste favorise la cohésion sociale et le développement des territoires ruraux. J’ai vu ce que fait la MSA pour ses ressortissants et pour le monde rural.

C’est bien de le redire car tout le monde ne voit pas à quel point, au-delà de ses fonctions de prestations sociales, la MSA a un rôle très puissant d’animation des territoires.

Elle est impliquée dans la préservation du tissu agricole, dans l’amélioration des conditions de vie des exploitants, des salariés et de leur famille, ainsi que dans la prévention du mal-être.

Il lui donner les moyens pour continuer à exister car, sinon, des pans entiers de l’animation rurale et de l’accompagnement social pourraient disparaître. »

Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
Photos : © Jean-Michel Delage/CCMSA Image