« C’est la banque qui a appuyé sur la détente ». Tiré du film Revenir, réalisé par Jessica Palud, cette phrase fait tristement écho au sein du réseau des acteurs de la prévention du suicide réunis le 10 septembre dans la halle olympique d’Albertville, en Savoie. Projeté à l’occasion d’une journée dédiée à la prévention du suicide organisée par la MSA Alpes du Nord, devant plus de 80 personnes, ce drame rural avec Niels Schneider et Adèle Exarchopoulos parle du difficile sujet du mal-être dans le milieu agricole. Particulièrement exposés à la souffrance psychique, les agriculteurs, les salariés mais aussi leur famille ont un risque plus important d’être concernés par ces situations.

Réseau Sentinelles, professionnels agissant au quotidien sur les territoires ruraux, de la santé mentale ou encore élus politiques… la MSA a voulu rassembler ces acteurs impliqués à l’occasion de la journée mondiale de prévention du suicide pour mieux accompagner les agriculteurs et les salariés agricoles en situation de détresse. Psychologue, sociologue, troupe de théâtre ont rythmé la journée pour apporter un autre éclairage sur cette question de santé publique. « On estime qu’un agriculteur se suicide toutes les 40 secondes dans le monde ». Ce constat, lancé en introduction par la présidente de la MSA Alpes du Nord, Françoise Thévenas, est édifiant.

Un risque de suicide accru

« Les personnes âgées de 15 à 64 ans présentent un risque accru de 43 % par rapport aux assurés de l’ensemble des régimes de sécurité sociale. On se doit de mieux prévenir et accompagner les agriculteurs pour éviter au maximum ces situations de mal-être », martèle Gilbert Guigue, vice-président délégué à l’Agriculture du conseil départemental de Savoie.

Et c’est là tout l’intérêt d’organiser une journée de rencontre entre tous les protagonistes de cette prévention : construire une feuille de route commune. Ancrer les connaissances acquises par chacun, les mettre en pratique dans un environnement sécurisé et s’enrichir du réseau pour compter sur un collectif mobilisé. « Les dispositifs sont nombreux, Réagir, Agri’écoute, le réseau sentinelles…, liste le préfet de la Savoie, François Ravier. Les situations de mal-être sont complexes et les acteurs du territoire sont engagés dans cette lutte. »

Former et informer

Dans la région, ce sont près de 170 sentinelles formées à la prévention du suicide qui sont à l’écoute des populations agricoles pour repérer et orienter des personnes en situation de fragilité, de mal-être, voire en risque suicidaire. La MSA Alpes du Nord est mobilisée de longue date sur cet enjeu majeur en termes de santé publique. Depuis 2012, elle s’est engagée dans la formation et l’accompagnement des Veilleurs.

Elle a également sensibilisé de nombreux partenaires et salariés à la prévention du suicide au travers de nombreuses formations. La MSA a développé plusieurs dispositifs, de prévention et d’accompagnement du mal-être en agriculture (numéro Agri’écoute ; aide au répit ; cellule Oser les mots) au niveau national et local, en s’appuyant sur ses salariés, ses élus et ses partenaires notamment grâce au réseau des Sentinelles.

Un film miroir

Le résumé du film est le reflet de beaucoup de situations dans les exploitations : il y a 12 ans, Thomas a fui la ferme familiale pour s’installer au Canada. Il revient après la mort de son frère à la demande de sa mère mourante. Il retrouve tout ce qu’il a quitté, notamment les relations difficiles qu’il entretient son père qui s’enferme dans le mutisme face à ces drames. Mais aujourd’hui, il y a Mona, sa belle-sœur veuve et son petit-neveu de 6 ans qui brise le silence de la maisonnée…

À la fin de la projection, les questions de l’assemblée fusent, les témoignages aussi. « Le monde agricole est un monde de taiseux », lance l’une des personnes présentes. Cette notion est illustrée dans le film avec un père qui ne sait pas parler face à la souffrance de son fils. Christelle Guicherd, psychologue, le confirme : on ne dit pas sa douleur dans le monde agricole. « La question de la honte est très présente. Il faut réussir face à ses pairs. » Pour faire tourner la ferme, « il ne faut pas s’écouter. Si le corps lâche, c’est l’exploitation qui tombe. »

Une transmission du mal-être ?

On en revient à la question de la transmission. « Dans les travaux de sociologie, on remarque un modèle de la logique du don, explique la sociologue Dominique Jacques Jouvenot. La génération qui a reçu l’héritage de la ferme et donc d’un patrimoine à la fois économique et symbolique est en charge de le faire durer. » Un poids qui peut être difficile à assumer surtout si le repreneur a d’autres rêves en tête.

Malgré le travail spécifique de la MSA sur les questions de mal-être, accompagner les agriculteurs reste compliqué. D’autres sujets comme le soutien des banques, comment réagir face au mal-être, quel quelles représentations sociales expliquent ces situations, quelles solutions pourraient être apportées… ont été abordés.

Jouer pour écouter

C’est le moment du théâtre forum. Nous sommes chez Yann et Caroline, deux agriculteurs. Leur voisin, Gabin passe leur  dire bonjour. Cette scène, fictive, est jouée par la Compagnie Globe théâtre qui a imaginé pour la MSA une pièce plus vraie que nature et sur mesure.

Les spectateurs sont invités à participer en fonction des situations rencontrées. Le but ? Faire appel à l’intelligence collective pour réfléchir à la meilleure manière d’aborder un problème. Ici, Yann montre des signes de mal-être que sa femme et ses amis ne voient pas. Comment lui venir en aide ? Qu’auraient fait les personnes présentes si le cas se présentait ? Chaque volontaire est invité à vivre et revivre de multiples façons les étapes clés de la prévention du suicide, de la détection au passage de relais.

Une belle façon de parler du mal-être de manière ludique et sereine avec la salle malgré le sujet délicat. Pari réussi au regard des nombreuses interventions sur scène et des échanges partagés à la fin de cette journée bien remplie.