Chez David Cherqui et Emmanuelle Houguet, le silence est souvent troublé par des bêlements. Ce sont ceux des 170 brebis de l’exploitation que le couple dirige depuis octobre 2023 à Peyrat-le-Château, en Haute-Vienne. Au sein de leurs 78 hectares, on trouve aussi huit vaches de race Galloway, un verger de petits fruits, des pommiers tout juste plantés dans l’optique de faire du cidre et de la compote. Les projets foisonnent.
Compter les uns sur les autres
Pourtant, il y a quelques années, ces bergers salariés dans les Hautes-Alpes n’avaient aucune intention de s’installer. Trop de responsabilités pour un gain limité. Mais la rencontre avec des membres du réseau Paysans de nature, une association qui promeut l’agriculture comme un outil de sauvegarde de la biodiversité, les a décidés à se lancer.
« S’installer à notre compte permet de gérer nos parcelles comme on l’entend, explique David Cherqui. Notre but est d’essayer de faire de nos terres une petite réserve naturelle, tout en gardant une activité agricole et économique dessus, parce qu’il faut que ce soit viable. »
Le néo-éleveur souhaite aussi développer un réseau local avec les autres producteurs locaux : « On aimerait mettre en place un réseau pour compter les uns sur les autres, et pouvoir parler de nos interrogations sans avoir honte. » Une façon d’entretenir la passion tout en gardant les pieds sur terre. « Il y a une grosse part d’amour, de ce métier et des animaux, conclut-il. Mais notre envie de nous installer est aussi accompagnée de militantisme. »

Les installations agricoles en baisse
Après deux années de croissance, le nombre de nouvelles installations d’exploitants agricoles est de 13 621 en 2023, en baisse de 3,6 % par rapport à 2022, selon les derniers chiffres de la MSA. Cette diminution est notamment constatée parmi les moins de 40 ans qui représentent 67,9 % des nouveaux installés, contre 70,3 % en 2022.
« Le contexte économique n’est pas porteur, ça impacte les projets, indique Jean-Baptiste Lacanne, conseiller installation à la chambre d’agriculture du Gers. Dans notre département, le secteur viticole est en difficulté par exemple. De plus, en raison du transfert du programme d’aide à l’installation, passé de l’État aux régions, il y a une baisse du montant moyen des subventions aux nouveaux exploitants. Malgré cela, on a toujours des candidats. »
Les installations dites « tardives » (40 ans et plus, hors transfert entre époux) sont elles en hausse de 7,4 % et représentent 28,7 % du total.
Par ailleurs, la féminisation du métier continue de progresser. Parmi l’ensemble des installés de 2023, 40,2 % sont des femmes, contre 39,6 % en 2022.
Enfin, le taux de maintien dans l’activité après six ans reste conséquent : il est de 76,9 % dont 85,6 % parmi les jeunes agriculteurs établis en 2017.
Perpétuer la tradition familiale
Militant, Tommy Pelletier l’est aussi. Avec son frère Jimmy, il se bat pour reprendre la ferme de leurs parents, à Saint-Jean-des-Mauvrets, dans le Maine-et-Loire, et perpétuer ainsi une tradition : la fratrie deviendrait la troisième génération à s’installer sur l’exploitation. Mais depuis quatre ans, ils y travaillent bénévolement, faute d’accord avec les banques pour racheter la société familiale.
« Nos parents étaient dans la production de lait de vache, ils ont accumulé beaucoup de dettes, explique Tommy Pelletier. Pour les éponger, nous nous concentrons sur l’élevage de porcs et de vaches à viande, en vente directe. » Fin 2024, ils récoltent 6 000 euros grâce à une cagnotte participative en ligne et investissent eux aussi dans l’achat de cinq vaches Galloway. Quant aux 117 hectares de terres qu’ils exploitent, elles appartiennent pour la plupart à d’autres propriétaires. Les Pelletier se sont donc mis en contact avec la structure d’investissement solidaire Terre de liens pour qu’elle rachète les parcelles des propriétaires disposés à vendre, afin de sécuriser le développement de leur activité.
Une partie des dettes a déjà été épongée et le bilan comptable de la fin de l’année en cours leur permettra d’y voir un peu plus clair. En attendant, Tommy ne se décourage pas : « La famille proche, les amis et nos clients réguliers nous demandent de ne pas lâcher car nos produits les intéressent. » Autre atout pour dynamiser le projet de reprise, la ferme accueille régulièrement un petit marché de producteurs. Une manière de faire connaître le lieu et de créer du lien avec le voisinage.
D’éducatrice à cultivatrice
S’ouvrir aux autres, c’est aussi ce qui motive Fanny Bonnaudet. Longtemps, elle fut éducatrice auprès de personnes en situation de handicap à Paris. En 2015, elle décide de partir à la découverte du monde agricole via le woofing (système d’échange de main-d’œuvre contre hébergement). Une révélation. « Je me suis attachée à ce monde », confie-t-elle.
Elle envisage la reprise d’un élevage d’ânes dans le Tarn. Mais la taille de l’entreprise lui fait peur. Elle rentre alors dans la Vienne, près de sa famille, sans regret, avec le projet de s’installer pour se faire plaisir et faire plaisir aux autres. Il lui vient une idée gourmande : cultiver des petits fruits (fraises, framboises, cassis…) pour produire des sorbets. « Je n’avais aucune notion dans ce domaine, précise Fanny Bonnaudet, mais j’ai été accompagnée par le Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam), ce qui m’a permis d’être mise en relation avec d’autres agriculteurs. J’ai notamment l’aide régulière d’un technicien spécialisé. »
Depuis trois ans, elle travaille à temps plein sur l’exploitation de 4 000 m2 qu’elle a créée à Jouhet, près de Poitiers. Sa production est consacrée à 100 % à la production de sorbets qu’elle vend dans la région grâce à sa caravane de glacier. Cette année, l’activité est devenue « presque viable ». Seule sur l’exploitation, la jeune agricultrice souhaite à terme trouver un binôme pour l’épauler mais aussi proposer un accueil pédagogique à la ferme, et que le lieu devienne un espace de rencontres. Avec encore une fois, cette volonté d’aller vers les autres.
La MSA accompagne les nouveaux agriculteurs
Les caisses de MSA disposent de programmes facilitant les premiers pas des nouveaux installés. C’est le cas notamment en Bourgogne, où le « Parcours attentionné nouvel installé » (Pani) a été instauré en 2022. Il dure trois ans et débute avec un premier rendez-vous pour effectuer l’affiliation, présenter les spécificités du régime, faire connaître ses services. Au bout de six mois, le délégué MSA du territoire prend contact pour présenter son rôle de relai entre la caisse et ses adhérents.
Les agriculteurs sont ensuite contactés par le service d’action sanitaire et sociale afin de fixer un rendez-vous avec un médecin du travail, ainsi qu’une visite de l’exploitation par le service de santé-sécurité au travail. « Le but est d’accompagner les exploitants dans l’aménagement des postes pour prévenir les maladies professionnelles, par exemple les troubles musculosquelettiques », précise Nathalie Peyronnet, conseillère à la MSA Bourgogne.
Autre moment important, le rendez-vous « première facture » : au premier appel de cotisations, le conseiller dédié en décrypte les détails avec l’adhérent. Au bout de 18 mois, la caisse fait le point avec l’exploitant sur ses droits sociaux. Après trois ans, un dernier appel permet d’évaluer leur satisfaction.
« La MSA propose de nombreux services. Prendre le temps de les expliquer permet d’éviter les incompréhensions, souligne Nathalie Peyronnet. Cela crée aussi du lien humain. » Ce parcours a été mis en place grâce au retour de terrain des délégués MSA qui ont détecté ce besoin des adhérents. Chaque année en Bourgogne, environ 300 personnes bénéficient du Pani. Le taux de refus est inférieur à 7 %.
La Caisse centrale de la MSA souhaite s’appuyer sur ce modèle, testé sur le territoire des caisses Bourgogne, Nord-Pas de Calais et Portes de Bretagne, pour uniformiser tous les parcours d’accompagnement sur le territoire d’ici 2026.
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