Jeudi 16 octobre, 8 heures du matin. Le gîte s’éveille doucement. Perché à 700 m d’altitude, face aux montagnes vosgiennes, la vue est magnifique. Aucun bruit ne vient perturber la quiétude de l’endroit… L’odeur rassurante du café nous accueille. Bienvenue au « séjour off », organisé par la MSA d’Alsace. Accueillis pendant une semaine dans un gîte isolé près de Gérardmer, des agriculteurs et salariés agricoles viennent y faire une pause pour éviter de craquer.

Pour la cinquième fois, Nathalie Vaudeville, responsable de l’action sanitaire et sociale de la MSA d’Alsace, créatrice et coordinatrice du projet, et deux travailleurs sociaux partagent ce lieu avec huit hommes et femmes de 24 à 60 ans. Deuil, maladie, épuisement, handicap… tous traversent une période difficile « qui peut parfois être associée à un fort risque de suicide », explique Nathalie.

Lancé en 2023, le dispositif a déjà accueilli 41 personnes en grande souffrance psychologique ou physique. Ce sont souvent les travailleurs sociaux qui repèrent les situations les plus urgentes et qui leur proposent ce séjour. Pour les exploitants, un service de remplacement permet de lâcher la ferme le temps de cette parenthèse : un premier pas souvent immense pour ceux qui n’ont parfois jamais pris de vacances. Cinq jours qui permettent de souffler, se reconnecter à soi et prendre le temps de se reconstruire. Dans la cuisine, Nadia, 58 ans, un petit bout de femme discrète, prépare le petit-déjeuner. Elle parle peu mais observe et analyse tout.

« Vous voyez, ici, c’est comme une famille recomposée et Nathalie, c’est la matriarche ! » Cette mère de quatre enfants et grand-mère de deux petits-enfants a perdu son mari il y a deux ans. En incapacité de travailler depuis peu, cette ancienne agente d’entretien à la chambre d’agriculture n’a pourtant pas eu le temps de faire son deuil. Pour elle, les séjours répit, dont elle a déjà bénéficié, sont une coupure, un retour au calme. « Sans eux, je ne serais plus de ce monde », souffle-t-elle.

Premières vacances

Attablé, Stéphane, exubérant, est absorbé par une vidéo sur son téléphone. Il parle et rit avec ardeur. « Il vit avec ses parents, il n’a pas l’habitude de voir autant de monde, constate Nadia avec affection. Mais il a évolué. Au début, je lui faisais son petit-déjeuner, ce matin, il m’a aidée à tout préparer. » À 50 ans, Stéphane, qui gère une ferme avec ses parents, n’avait encore jamais quitté son exploitation.

Laurent, 43 ans, qui a tenu à venir malgré une lourde opération chirurgicale une semaine auparavant, acquiesce : « Les parents ne seront pas toujours là, c’est bien d’apprendre à être autonome. » C’est ça aussi les « séjours off » : réapprendre à être indépendant et à vivre en collectivité. Au sein du gîte, le fonctionnement peut effectivement faire penser à une micro-société, presque une famille. Un exercice pas évident mais réussi avec brio grâce à l’équipe sociale présente et bienveillante.

« Tu as pris tes médicaments ? », lance Nathalie sans transition à Lucio, grand gaillard de 53 ans à la barbe fournie et à la queue de cheval. « Oui madame ! », lui répond cet ancien dépanneur de machines agricoles qui a perdu son épouse il y a trois ans. Touché par une dépression, il est suivi à l’hôpital de jour. « Après plusieurs jours, on n’a souvent plus besoin de leur dire de les prendre. Ça devient un automatisme. On leur réapprend aussi à se nourrir correctement », explique Nathalie. Le soleil a réchauffé la terrasse. Après le petit-déjeuner, la journée s’organise entre temps collectifs et moments de liberté.

Des activités pour se reconstruire

Mardi, c’était psychoboxe : une activité qui a permis aux adhérents de prendre conscience de leur fonctionnement dans la vie de tous les jours. Un éducateur anime une séance de boxe pas comme les autres, avec des coups atténués. Une expérience de mise en mouvement corporel qui a pour but de comprendre son rapport à la violence. « C’est un moment fort, explique Nathalie. Certains se rendent compte qu’ils ne vont pas du tout se protéger, d’autres qu’ils sont dans la confrontation… ça en dit beaucoup sur une personne ! » Les autres jours, c’était une balade autour du lac de Longemer, la visite d’une confiserie ou encore de la luge d’été… Une activité que Jean-Yves, ancien ouvrier agricole de 57 ans dans le domaine viticole, a particulièrement appréciée !

Ce matin, c’est repos ! Jacuzzi, piscine, sauna… les participants profitent des équipements du gîte pour se détendre. L’après-midi sera consacrée à la visite d’une boutique de bijoux et de pierres précieuses. « On a des temps communs mais on leur laisse aussi des plages libres pour que chacun et chacune se reposent comme ils en ont besoin », détaille Nathalie. Thomas par exemple, jeune agriculteur de 24 ans venu avec sa compagne après deux années à travailler non-stop, revient de sa course à pied. Aux alentours, les paysages sauvages et les nombreux chemins à parcourir ne manquent pas.

Pour Laurent, double actif agricole qui a notamment travaillé dans une coopérative de tabac, le séjour est effectivement reposant. « Le cadre est magnifique ! C’est impossible que quelqu’un ne soit pas heureux ici ! »

Effet de groupe

Après un tour dans la piscine, Michel rejoint la table et commence à raconter son rêve de la veille : il a gagné au loto et a acheté une machine agricole qui a éveillé les soupçons chez ses voisins. Aurait-il gagné une grosse somme d’argent ? Le groupe est hilare, l’ambiance se réchauffe d’autant plus. Cette cohésion n’est pas tout à fait le fruit du hasard.

« On fait en sorte d’avoir une bonne dynamique de groupe, note Nathalie. On les compose pour un tiers d’anciens participants, et pour le reste, de nouveaux. » Le but : rassurer des personnes en proie à l’anxiété, qui n’ont parfois jamais quitté leur ferme ou pris de vacances. Pour la plupart, ils n’en prendraient d’ailleurs pas s’il n’y avait pas ces séjours. « Partir seul ? Pour quoi faire ? », s’interroge Michel, exploitant agricole.

L’effet de groupe agit comme un catalyseur. Aucun jugement, juste de la bienveillance face à des situations de vie similaires qui libère la parole entre les participants et pousse chacun à aller de l’avant. Malgré le climat chaleureux, on décèle chez certains une très grande fragilité. Mais ici, personne n’est seul face à sa douleur.

Apprendre à lâcher prise

Il n’est pas encore 10 heures que chacun a déjà contacté son exploitation pour prendre des nouvelles. Pour ces agriculteurs qui ont l’habitude de tout contrôler dans leur ferme, c’est un exercice difficile.

« C’est la première fois que je prends des vacances », confie Stéphane qui prend enfin du temps pour lui. Mais n’ose pas encore totalement lâcher prise… « J’ai laissé mon neveu gérer la ferme. Il est jeune alors je garde un œil sur la gestion à distance. » Nathalie veille au grain. « On leur dit d’essayer de lâcher prise. Le but c’est aussi de faire confiance aux personnes qui les remplacent. » À la fin du séjour, chacun reprendra sa vie. Mais avec la force des moments partagés et l’espoir de croire à nouveau en demain…