La société a-t-elle un problème avec ses aînés ?
Dans nos représentations, le vieillissement reste chargé de connotations négatives. Vieillir évoque la perte de capacités, la dégradation de la santé, la maladie et la mort. Dans une société consumériste, la jeunesse représente la nouveauté, le dynamisme, la modernité. Les publicités mettent toujours en avant des modèles très jeunes et en pleine forme. On mettra rarement un vieux pour vendre un nouveau produit. Tout cela influe fortement sur la psyché individuelle et collective.
Ces représentations influencent-elles aussi le monde du travail ?
Oui. Il y encore des gens qui ne veulent pas recruter des seniors ou qui envisagent de les mettre dehors parce qu’ils ne seraient pas productifs, ou qu’ils ne seraient pas à l’aise avec les nouvelles technologies. Toutes les études montrent que c’est faux. Leur productivité est bien meilleure que celle des plus jeunes, à l’exception des métiers de force. D’ailleurs ces préjugés existaient déjà dans les années 1970. On peut s’amuser à dire que ceux qui sont les plus ringards et qui ne font pas évoluer leur tête, c’est ceux qui pensent que les vieux sont dépassés.
Le vieillissement est-il une source de dépense pour la santé ?
Entre cinquante et soixante ans, globalement, l’état de santé ne se dégrade pas de manière drastique. J’aime à dire un peu sur le ton de l’humour que l’âge a rajeuni. Dans mon bouquin Les Quincados, je demandais aux gens ayant autour de la cinquantaine de venir avec la photo de leur mère ou père au même âge. Chaque fois c’était l’étonnement chez chacun : « Maman ou papa faisait plus âgée moi… » Ceci est une réalité sociologique et biologique. On a observé que la cohorte par exemple de 1950 a six ans de moins au même âge en termes biologiques que la cohorte 1940.
Cependant l’âge venant, les coûts en santé augmentent. À partir de 85 ans, une proportion importante de personnes ne sont vraiment pas bien et sont en perte d’autonomie. Elles ont besoin de recourir à des services d’aide à domicile ou, dans certains cas, à un accueil en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Cette réalité est indéniable. Mais si nous avions une politique de prévention beaucoup plus efficace et volontariste nous aurions pu réduire ces coûts.
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La prévention peut-elle changer la donne ?
Elle est l’un des leviers majeurs pour favoriser le bien vieillir, préserver la bonne santé et améliorer la qualité de vie des personnes âgées. Elle permettrait de réduire les coûts pour la société. Trop souvent, le discours est moralisateur et généraliste. Il faut que chacun comprenne qu’il y a un intérêt. Par exemple, certains n’aiment pas le sport. Ils en ont le droit. Comment les motiver ? Il est possible de travailler avec les sciences comportementales pour identifier de nouveaux ressorts.
De même l’approche doit tenir compte de la sociologie des gens. On ne s’adresse pas de la même manière à un ancien cadre supérieur qu’à un ancien ouvrier. Les messages ne sont pas suffisamment affinés. On reste le plus souvent sur des discours standardisés, comme pour se donner bonne conscience.
Le baromètre des Petits Frères des pauvres, publié en septembre, évoque le nombre de 750 000 personnes âgées en situation de mort sociale. Votre réaction ?
D’abord, bravo aux Petits Frères des Pauvres pour leur action auprès des personnes âgées oubliées. Leur baromètre met en lumière une réalité alarmante bien qu’il y ait aussi des jeunes en situation d’isolement grave. Cependant l’isolement des plus âgés n’est pas perçu comme un problème majeur. Si tant de personnes vivent une mort sociale et ne voient jamais personne, c’est parce qu’elles ne voient plus leur famille. Le lien familial s’est distendu.
Quant aux amis, cela peut s’expliquer par la faiblesse de leur nombre, par le fait que certains ont disparu ou déménagé. La situation va être très liée à la qualité humaine de l’environnement. Dans certaines régions, le tissu associatif, les petites entreprises sont très présentes et les villes mènent des actions sur ces enjeux. Mais ce n’est pas le cas partout.
En chiffre en 2025
- 750 000 personnes de 60 ans et plus sont en situation de mort sociale
- 1,5 million de seniors ne voient jamais ou quasiment jamais leur famille proche.
- 1,1 million de personnes de 60 ans et plus n’ont pas eu de lien social avec leurs amis.
Source : « Baromètre 2025 Petits Frères des pauvres solitude et Isolement, quand on a plus de 60 ans en France »
Le lien avec autrui
devient-il essentiel à ces âges-là ?
Dans nos sociétés hyper-individualistes, où les liens sociaux se distendent, plus nous avons des outils de communication, moins nous sommes en lien. C’est à la fois un paradoxe et une réalité. Les études montrent que pour bien vieillir, et j’ajouterai même pour bien vivre tout court, l’élément majeur reste le lien social. C’est la capacité d’être en lien avec les autres. Bien sûr, il faut aussi disposer d’un minimum de revenus, pratiquer une activité physique et avoir une bonne alimentation.
Mais lorsqu’on interroge les gens sur ce qui les rend heureux, ils répondent : « C’est de voir d’autres personnes. » Jean-Paul Sartre écrivait : « L’enfer, c’est les autres. » [NDLR, citation tirée de la pièce de théâtre Huis clos.] C’est complètement idiot. L’enfer, c’est quand il n’y a pas les autres. C’est quand il n’y a plus ce lien.
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Le dernier livre de Serge Guérin Et si les vieux sauvaient aussi la planète ?, publié en janvier 2024, invite à penser ensemble les transitions climatiques et démographique pour faire face à ces grands changements. « J’en avais assez du discours qui veut que tous les vieux soient de terribles pollueurs et tous les jeunes de formidables écologistes. C’est plus compliqué que cela. »