Le bruit des sabots sur le bitume, les huchements des bergers, une légère odeur de bêtes… on se croirait presque à la campagne le temps d’un instant à Romainville en ce lundi 27 novembre pluvieux. Sous le regard amusé et curieux des badauds, 25 moutons trottinent dans les rues.
Traversées sur les passages piétons, marche en ligne… Respectant presque le code de la route, ils sont menés par Julie-Lou Dubreuil et Félix Goulard, deux bergers urbains de l’association Clinamen. Une transhumance, comme on dit dans le jargon agricole, de celles que les bergers font faire aux moutons pour changer de pâturage entre l’hiver et l’été. Sauf que cette fois, ils rejoignent leur bercail. Après six semaines passées à Romainville avec un bélier, les brebis rentrent à la bergerie le pas léger. L’année prochaine, des agneaux devraient naître.
Des passants ébahis
Les passants qui croisent leur route ne sont pas indifférents à cet étrange spectacle. Téléphones sortis, beaucoup prennent des vidéos ou des photos, certains s’arrêtent pour discuter, mais tous lèvent les yeux pour observer la marche.
« Je prends des photos pour mes collègues, nous dit une jeune femme avec un grand sourire. C’est fou, je n’ai jamais vu ça, j’adore ! » Un homme qui s’arrête, interloqué, lance : « J’ai déjà assisté à ça au Pays basque, mais jamais ici ! » tandis qu’un second les remercie de couper avec la modernité de la ville. D’autres prennent ça comme un acte militant ou encore demandent jusqu’où vont les moutons.
Romainville vient de changer de visage en un claquement de sabot. Le « regard mouton », comme ses membres aiment l’appeler, consiste à remettre de la nature dans la ville, en ouvrant cette démarche aux habitants.
Expérimentation et adaptation
Quand ils se sont lancés dans cette aventure en 2012, aucun des membres de Clinamen ne connaissait le milieu agricole et encore moins l’élevage. Ne venant ni de familles d’agriculteurs, ni de la campagne, ils ont appris le métier sur le tas. Un principe qui correspond bien à l’association : apprendre et s’adapter grâce à l’expérimentation.
« La souche de moutons, au fil des naissances, s’est adaptée, explique la bergère. Aujourd’hui, nos moutons sont habitués à la présence humaine. C’est l’apprentissage du troupeau, la collaboration qui fait qu’ils s’adaptent ». Expérimentation donc, mais aussi adaptation, autant pour les moutons que pour leurs bergers.
« Au départ, on avait huit moutons seulement », nous explique Julie-Lou. L’association a choisi la Bleu du Maine, une race en voie de disparition qui s’adapte bien à l’alimentation de la région parisienne (fast-food non compris).
La transhumance : un rôle culturel et social
Les nouveaux bergers s’installent alors à Saint-Denis sur un hectare de friche d’une chaufferie dans le quartier du Franc-Moisin. « Au départ, on s’est retrouvé avec 80 gamins qui déboulaient des tours pour voir les moutons », se rappelle Julie-Lou. C’était nouveau pour eux.
Puis, au fur et à mesure, les enfants se sont habitués, ont participé aux activités, ont commencé à jardiner. « Je me souviens qu’après une transhumance, on a croisé un père et ses enfants qui se sont mis à pleurer en nous voyant. Le père nous a expliqué que les enfants se réveillaient tous les matins en regardant les moutons par la fenêtre. Ils étaient tristes de ne plus les voir. Comme si pour eux, dans ces quartiers, toutes les bonnes choses avaient une fin… » Pour les habitants, les ovins faisaient désormais partie du paysage.
Une nouvelle gestion des espaces verts en ville
Par la suite, un autre contrat se crée avec la base militaire de Houilles sur 15 hectares, ainsi que le terrain autour de l’université de Villetaneuse. Après avoir été nomade, l’association éprouve le désir de se sédentariser et pose enfin ses valises à La Courneuve. Les locaux, nichés au cœur des 460 hectares du Parc départemental Georges-Valbon, sont à l’image de l’association : minimalistes et vivants.
Clinamen et sa coopérative Les Bergers urbains proposent ainsi à des collectivités, des entreprises mais aussi des bailleurs sociaux un service de gestion des espaces verts par le pâturage itinérant. Aujourd’hui, le cheptel de 60 moutons occupe les terrains sur lesquels les deux structures sont sollicitées.
Photo d’ouverture : © Coline Lucas
Des projets à foison pour Clinamen
L’association construit un pont entre la nature et la ville notamment par la transhumance dans des quartiers enclavés mais elle a aussi d’autres missions et une vraie volonté de fonctionner comme un élevage. D’ailleurs, les projets ne manquent pas.
• Conception et animation de potagers collectifs, contributifs et participatifs.
• Initiation aux pratiques paysannes : animation d’ateliers d’agricultures adaptés à la ville, ateliers du travail de la laine, tri de graines, fauche des foins, atelier botanique et cueillette…
• Vente de viande : Clinamen vend déjà la viande du troupeau en petite quantité. Dans un avenir proche, elle aimerait aller plus loin et développer un troupeau destiné à la production de viande en lorgnant du côté de la restauration collective.
• Accompagnement de gestion d’espaces extérieurs.
• Cours et conférences.