Suite à cet accident tragique, survenu fin 2023 dans l’Indre-et-Loire, la MSA Berry-Touraine, la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) Centre-Val de Loire et les Fédérations viticoles de la Touraine se sont mobilisés afin d’accompagner les entreprises de la filière viticole dans la maîtrise de ce risque complexe et invisible qu’est l’intoxication au CO2.
En janvier 2024, ces acteurs du territoire ont rédigé et diffusé un questionnaire afin de réaliser un état des lieux des installations et des pratiques des professionnels de la région. Ce questionnaire anonyme avait pour but de comprendre comment le CO2 est perçu et géré chez les viticulteurs de l’Indre, de l’Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher. Trente-six entreprises y ont répondu.
Les retours ont d’abord mis en évidence la grande diversité de configurations de cuveries et de types d’installations, rendant impossible la mise en place d’un protocole de prévention unique. La prévention des risques ne peut en effet être abordée de manière uniforme. Ces mesure doivent être réfléchies en tenant compte des spécificités de chaque contexte. La diversité des structures, des matériaux ou des environnements impose une approche personnalisée.
Gênes respiratoires, céphalées…
Il est également ressorti de ce questionnaire le sentiment général d’une bonne maîtrise du CO2, alors que plus de la moitié des répondants admettent avoir déjà expérimenté des symptômes physiques tels que des céphalées, gênes respiratoires, voire perte de connaissance.
Ce ressenti est souvent basé sur des pratiques qui ne sont pas réellement efficaces, comme la ventilation naturelle, voire inadaptées ; la plus connue étant l’utilisation de la bougie, qui donne une fausse impression de sécurité. Elles illustrent la déconnexion entre la perception de la maîtrise du risque et la réalité des mesures nécessaires pour le prévenir efficacement.
Ces résultats ont confirmé qu’il restait encore du chemin à parcourir en termes de messages de prévention sur le risque CO2 pour éviter les accidents graves et mortels et lutter contre les idées reçues.

Pédagogie et ateliers
Pour accompagner les entreprises viticoles dans une démarche de prévention efficace, la MSA Berry-Touraine et la Dreets Centre-Val de Loire ont conçu une affiche et un dépliant rappelant les spécificités du CO2 et les moyens à mettre en œuvre pour s’en prémunir.
Parallèlement, des demi-journées de sensibilisation ont été organisées en partenariat avec les professionnels du Maine-et-Loire (MSA de Maine-et-Loire, Dreets Pays de la Loire et Fédération Viticole de l’Anjou-Saumur), comprenant des ateliers tournants de 30 minutes chacun. Objectifs : permettre aux participants d’être capables de repérer les faiblesses de leurs pratiques actuelles et d’explorer des solutions adaptées à leur environnement de travail.
Une première demi-journée a été organisée le 19 novembre 2024 par les équipe du pôle de prévention des risques professionnels de la MSA Berry-Touraine au Domaine Pierre & Bertrand Couly à Chinon. L’événement a rassemblé 39 participants aux profils très variés : professionnels viticoles, représentants d’organismes professionnels agricoles comme la Chambre d’agriculture et étudiants en 2e année de BTSA viticulture-œnologie du lycée Tours-Fondettes Agrocampus.

Rappels réglementaires
Lors des ateliers, quelques rappels sur les obligations de l’employeur pour veiller à la santé et la sécurité des travailleurs sont passés en revue.
Face au CO2, le risque en cave est double : il faut contrôler l’atmosphère des cuves avant d’y pénétrer mais aussi l’atmosphère du local de travail, le chai. « Il ne faut pas être exposé à plus de 0,5 % de CO2 pendant 8 heures, ce qui correspond à la valeur d’exposition journalière, explique Julien Collignon, agent chargé du contrôle de la prévention (ACCP) de la Dreets Centre-Val de Loire. Cela ne veut pas dire qu’en dessous de ce seuil, il n’y a pas de risque : il existe aussi l’intoxication chronique. Il faut apprendre à travailler avec le dioxyde de carbone car il fait partie intrinsèquement du processus de vinification, on ne peut pas le supprimer complétement mais il faut réfléchir à comment le gérer. »
Il est ainsi important de combattre le risque à la source et d’intégrer la prévention le plus en amont possible, dès la conception. Selon Jean-Philippe Ricard, de CO2 Winery, entreprise qui propose des systèmes de captation du gaz : « Le captage à la source permet d’une part de protéger la santé des travailleurs mais également le vin. L’objectif est d’avoir une vitesse d’aspiration suffisamment faible pour ne pas générer de la dépression au risque de faire entrer de l’oxygène dans la cuve et d’oxyder le vin », assure-t-il.
La ventilation naturelle des locaux et des cuves ne permet pas d’assurer un renouvellement de l’air efficace. « L’idéal est l’association d’une ventilation mécanique du polluant et d’une extraction de ce dernier en parallèle. Mais si il faut choisir entre, il vaut mieux privilégier la ventilation mécanique », indique David Miégeville, formateur pour Formation prévention sécurité (FPS).
En parallèle du captage à la source et de la ventilation, différents modèles de détecteurs de CO2 mobiles ont été présentés avec une mise en situation réelle sur une cuve du chai, nettoyée quelques semaines plus tôt. À la surprise générale, l’appareil a sonné, montrant que un risque toujours présent pendant toute la période d’élevage du vin et rappelant la nécessité de contrôler l’atmosphère de chaque cuve, même vide, avant d’y pénétrer.
« Le détecteur sert à déceler un phénomène physique. Si il sonne, c’est que la ventilation est mal faite et qu’il faut prendre les mesures nécessaires pour sur-ventiler », indique Frédéric Tison, formateur pour FPS.
Ne pas intervenir seul
En cas d’intoxication, il ne faut surtout pas pénétrer dans la cuve ou le chai pour secourir une victime, et laisser faire les professionnels. Plusieurs accidents ont eu lieu dans ce cas de figure, laissant pour victime la personne ayant voulu aider. Réaliser des exercices de secours et prendre contact avec les pompiers permet d’anticiper les gestes à réaliser en cas d’accident.
« En 2023 et 2024, au niveau national, nous sommes intervenus 12 fois pour des accidents en lien avec une intoxication au dioxyde de carbone, informe le commandant Terracher, du service départemental d’incendie et de secours (SDIS 37). Sortir quelqu’un d’une cuve ça ne s’improvise pas . » Le lieutenant Ludovic Morisset, également du SDIS 37, poursuit : « Nous sommes formés et entraînés à ce type d’intervention. Il faut savoir que l’appareil respiratoire isolant que nous portons pèse 15 kilos. On imagine la difficulté pour remonter la victime pour un non professionnel, même avec un treuil. Le harnais est là pour lutter contre le risque de chute de hauteur. »
En fin de journée, des stickers à apposer sur leurs cuves ont été remis aux participants, rappelant les principes à adopter face au risque CO2 : « Je capte, je ventile, je détecte ! ». Une autre demi-journée a été organisée par les homologues du département du Maine-et-Loire le 22 novembre, au Domaine de Mihoudy à Aubigné-sur-Layon. Elle a rassemblé une trentaine de participants.
