Le président de la MSA du Languedoc est un agriculteur comme les autres. Comme ses pairs qui vivent du travail de la terre, dans la nuit du 7 au 8 avril, Cédric Saur a été impuissant face au déchaînement des éléments. Comme eux, il a subi la pire gelée noire de ce siècle. En quelques heures, certains de ses confrères ont vu disparaître une année de travail et seront privés de récolte et donc de revenus en 2021 et peut-être en 2022. Lui estime ses pertes à 50 % de la vendange 2021. Les arboriculteurs et les vignerons sont les plus touchés mais c’est bien toute l’économie d’une région, très dépendante de l’agriculture, qui a un genou à terre et peut- être même les deux.
« La nuit a été compliquée »
Le vigneron indépendant de 47 ans, qui préside la MSA du Languedoc depuis 2015, exploite une vingtaine d’hectares de Faugères en bio à Cabrerolles, au nord de Bézier.
La veille, comme tous les agriculteurs de l’Hérault, il reçoit un SMS d’AgriPredict, un projet collaboratif qui vise à permettre l’anticipation des phénomènes météorologiques susceptibles d’impacter le secteur agricole pour en limiter les dégâts sur les cultures. Il annonce un fort épisode de gel tardif. Les météorologues ont vu juste. Ce jour-là, dès 5 heures du matin, Cédric Saur est au chevet de ses vignes.
« La nuit a été compliquée, annonce-t-il sobrement. Au départ, vous constatez peu de dégâts. Avec seulement – 3°C, sur le coup, on se dit même qu’on y a échappé… et puis vous découvrez progressivement, la matinée avançant, que tout est en train de flétrir. Chez moi, l’ensemble des parcelles est touché mais je pense quand même pouvoir sauver une demi-récolte. Dans le secteur de Marcillac et de Montpellier, où les températures sont restées bloquées pendant quatre heures à – 6°C , les dégâts sont bien plus importants et les pertes avoisinent parfois 100 %. »
Pour retrouver un événement climatique comparable, il faut remonter bien avant la naissance de Cédric Saur, en 1953. Seuls les plus anciens se souviennent de ce gel de printemps resté dans leur mémoire car toutes les vignes avaient « claqué », ainsi que la majorité des oliviers, à l’époque très nombreux en Languedoc. Ils n’ont jamais été replantés.
« L’urgence est partout »
« Il y a une détresse très forte dans nos campagnes. Les gens sont hébétés. Cet épisode de gel tardif est une véritable déflagration qui a déjà emporté plusieurs agriculteurs, soupire le vigneron. On se donne rarement la mort pour une raison unique mais pour certains, cet événement climatique de plus a été la goutte d’eau de trop. L’urgence est partout mais il faut d’abord se préoccuper de la situation des producteurs de fruits, arboriculteurs et maraîchers pour lesquels il y a une perte de chiffre d’affaires immédiate. Il va falloir ensuite s’occuper des céréaliers et des éleveurs qui, en plus du gel, sont touchés par la sècheresse et pour lesquels on ne connaîtra pas l’étendue des dégâts avant la fin du mois de juillet. Pour la vigne, on aura une vision claire à partir de septembre. Mais l’urgence est d’abord psychologique. J’ai passé les trois dernières semaines à faire des visites d’exploitations et le week-end à aider des agriculteurs à remplir leur dossier de fonds de solidarité.
« En même temps, il faut réfléchir à la meilleure façon d’accompagner les employeurs de main-d’œuvre et les aider à fidéliser leurs salariés et saisonniers, qu’ils arrivent péniblement à recruter. Des travailleurs vont se retrouver avec moins de revenus faute de fruits à ramasser ou de raisins à vendanger et n’auront pas forcément droit au chômage parce qu’ils n’arriveront pas à faire le minimum d’heures requis. Nous sommes dans un bassin fortement investi par les employeurs de main d’œuvre qui présente une faible rentabilité. Derrière chaque viticulteur, il y a en moyenne huit emplois induits. La difficulté à boucler les fins de mois est devenue systémique. Il faut bien s’assurer qu’ils ont activé tous leurs droits, notamment au RSA et à la prime d’activité. Nous avons une grosse inquiétude partagée avec tous les représentants des organisations professionnelles, syndicalistes et responsables de chambres d’agriculture, tous touchés au cœur parce que nous sommes confrontés à la souffrance de nos adhérents. Il faut faire attention à ce que cette douleur ne noie pas tout le monde. »
Les élus MSA font partie intégrante du dispositif
À l’image de leur président, l’implication des salariés de la caisse est totale. « Travailleurs sociaux, préventeurs, front et back-office, équipe de direction compris, tout le monde est sur le pont, constate Cédric Saur. On échange des e-mails de 6 heures du matin à 21 heures tous les jours, en plus du boulot qu’on a normalement. Je pense que tout le monde va finir très fatigué… »
Les élus MSA de la caisse font partie intégrante du dispositif. « Avec leur parfaite connaissance du terrain et leur présence dans chaque canton, ils prennent leur part au repérage des adhérents les plus fragilisés. Ils sont précieux pour nous, souligne le président. Étant un phénomène spectaculaire, les pouvoirs publics en prennent aussi la dimension. Les trois préfets de l’Hérault, du Gard et de la Lozère, les représentants de l’État dans les départements dont dépend ma caisse, ont la volonté de faire bouger les choses et d’accompagner les agriculteurs en difficulté. Évidemment les moyens économiques mis en œuvre ne pourront jamais être à la hauteur du sinistre. On parle, rien que pour la filière viticole, d’une perte de 12 milliards. »
Les mesures nationales ont été annoncées dans l’Hérault, l’un des départements les plus touchés. « Que le Premier ministre se déplace chez nous le 17 avril de Montagnac, et vienne constater les dégâts sur le terrain, est un signe fort. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a été pragmatique et à l’écoute, à l’image de son ministre de l’Agriculture. Le milliard débloqué est au-dessus de ce que l’on connaît par ailleurs, au-delà, on voit qu’ils sont dans une réflexion disruptive, se félicite Cédric Saur. Ils ont compris que le système des calamités et le système assurantiel ne fonctionnent pas en l’état et veulent remettre les choses à plat. Ce qui m’intéresse le plus dans les annonces du Premier ministre, ce sont les mesures d’avenir. Ce n’est pas un “quoi qu’il en coûte” sinon le milliard serait dépassé de loin mais il y a quand même des propositions intéressantes et réfléchies qui insufflent de l’espoir. Les gens en avaient besoin. Ils veulent maintenant savoir comment cet argent annoncé sera distribué, il y a une attente très forte sur le terrain. »
Un tsunami d’appels de détresse
Le terrain, Sylvie Soro, responsable de secteur des travailleurs sociaux à la MSA du Languedoc (Gard, Lozère et l’Hérault), le connaît bien. Comme ses collègues, elle l’arpente depuis le début de cette nouvelle crise en étant en contact permanent avec les 26 travailleurs sociaux de la caisse au chevet des adhérents les plus fragilisés.
« Depuis la nuit du 7 au 8 avril, ça a été le tsunami, on ne cesse de recevoir des appels de détresse, explique-t-elle. Le dispositif Agir ensemble est au cœur de nos actions. » Piloté par la MSA, il réunit la chambre d’agriculture, la direction départementale des territoires et le conseil départemental de chaque département. Il propose un accompagnement technique et socio-économique au bénéfice des exploitants agricoles fragilisés.
« L’idée est de mobiliser l’ensemble des mesures conjoncturelles, structurelles et aides d’État, et proposer un parcours attentionné, poursuit-elle. Dans les trois départements, on s’est réuni dans la semaine qui a suivi l’épisode de gel. Le réseau est très réactif, il a besoin d’échanger régulièrement pour trouver ensemble rapidement les solutions les plus adaptées. »
La cellule pluridisciplinaire de prévention du mal-être et du suicide de la caisse de MSA est également fortement sollicitée. « Ce qui est nouveau c’est qu’enfin la profession exprime le besoin d’un soutien psychosocial. On le savait déjà plus ou moins pour les plus fragilisés. Mais aujourd’hui, c’est tous, c’est un raz-de-marée. La parole se libère enfin. Ce sont parfois les agriculteurs eux-mêmes mais aussi souvent les épouses, les enfants ou même des salariés inquiets pour leur patron qui nous appellent pour nous dire voilà, il se passe quelque chose de l’ordre du mal-être qui a un impact sur la santé, le sommeil ou la famille, alors on va proposer un soutien avec un psychologue. »
Au mois d’avril, les travailleurs sociaux de la caisse sont intervenus auprès de 538 exploitants fragilisés et 586 salariés agricoles, et ont réalisé 1 898 interventions. Depuis l’état d’urgence sanitaire de mars 2020, ils accompagnent 2 426 exploitants et 3 564 salariés cumulant des fragilités. « Il faut avoir de l’espoir, insiste Cédric Saur. Les élus de la caisse du Languedoc apportent une plus-value et une connaissance du terrain qui n’a pas de prix. La protection sociale agricole est petite mais souple et réactive. Je me suis aperçu qu’en tant que président de MSA, on peut faire des choses en travaillant en réseau. Les valeurs de solidarité et d’entraide ont encore un sens dans le monde agricole. »