Dans le Morbihan, à portée d’ailes de mouettes de Vannes, se trouve Saint-Marcel, commune qui compte environ 1 000 habitants. À ne pas manquer : son musée de la résistance bretonne, un lieu incontournable pour les passionnés de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Autre coin à découvrir, indispensable cette fois pour les amateurs de produits locaux et bio, la ferme des Hardys-Béhélec, un établissement et service d’aide par le travail (Esat) agricole unique en son genre. Membre de la famille Solidel, un réseau pour les travailleurs handicapés du secteur agricole et des territoires ruraux, la structure accueille depuis 1984 des femmes et des hommes en situation de handicap psychique.

330 repas préparés sur place tous les jours

« Ici, il n’y a pas de jugement, la maladie disparaît »

Julien, 28 ans, épluche des légumes en compagnie de Thibault et de Natacha dans une cuisine ultra moderne dont vient tout juste de s’équiper l’Esat, lorsque l’on débarque, charlotte vissée sur la tête et sur-chaussures aux pieds, respect des strictes règles d’hygiène oblige. « Il ne faut pas utiliser le mot cantine, c’est péjoratif, mais plutôt l’expression restauration en collectivité », corrige tout de suite Julien, visiblement du genre pointilleux lorsqu’on l’interrompt en plein boulot. Nous voilà prévenus…

« Ici, il n’y a pas de jugement, la maladie disparaît même si on n’oublie jamais qu’on se trouve là parce qu’on a des problèmes. Nous, ce qu’on craint le plus, c’est l’isolement social. Même si on sait que c’est aussi la maladie qui nous enferme. Il faut dire qu’elle fait peur, souvent à cause de la télé qui nous caricature, alors que si les gens sont bien pris en charge, il n’y a pas de problème. Et puis, on est une équipe, alors lorsque quelqu’un ne va pas bien, les autres compensent. On sait la chance qu’on a de travailler. »

Thibault, 40 ans, confirme en interrompant un instant sa découpe de concombre : « J’ai toujours travaillé. J’ai commencé à 17 ans. Ça me permet de ne pas me sentir assisté, d’avoir ma liberté, ma voiture et mon appartement et de simplement faire ma part ».

Le travail est un médicament contre l’angoisse.

Schizophrénie, dépression grave, psychose ou burn-out, issus du milieu ouvert ou en postcure, les chemins qui mènent à la ferme des Hardys-Béhélec sont divers. Ce qui les réunit ? La maladie mentale, bien sûr, mais aussi souvent une trajectoire de vie chaotique et – lorsqu’ils arrivent ici – une estime de soi en vrac. « Ce serait une erreur de les sous-estimer, prévient Marc Raynal, coordinateur technique de l’Esat. Certains ont des maîtrises de lettres modernes et des capacités cognitives intactes mais un problème de stabilité de l’humeur qui les handicape. »

« Le travail est un médicament contre l’angoisse. L’ennemi de la maladie psychiatrique, c’est l’oisiveté, assure Erwan Stévant, directeur de la structure, un ancien de la MSA à la tête des Hardys-Béhélec depuis deux ans. À l’atelier cuisine par exemple, ils sont étonnés de ce qu’ils ont réussi à faire en très peu de temps. »
Il faut dire que le changement est spectaculaire. En passant de 70 à 330 repas par jour avec un léger renfort en personnel, le challenge pour l’équipe (travailleurs et encadrants) était de taille.



Ici, l’intégration par le travail, pour des personnes touchées par la maladie mentale à un moment ou un autre de leur vie, ne se cantonne pas au discours. Les repas qui sortent tous les jours des fourneaux de Mickaël Lucas, le chef détaché du géant de la restauration collective Sodexo, en sont des preuves quotidiennes très concrètes. La nécessité de satisfaire l’appétit des petits gourmands des cantines scolaires de Saint-Marcel et de Malestroit (une ville voisine), de leurs aînés de la Marpa, d’entreprises locales et des travailleurs de l’Esat eux-mêmes, tout comme l’obligation de respecter la chaîne du froid, des normes d’hygiène et de traçabilité ne laissent aucune place à l’à-peu-près.

Enracinée dans la terre bretonne depuis 35 ans, la ferme des Hardys-Béhélec fait pousser des légumes bio et de la fierté dans l’esprit de personnes en situation de handicap psychique. Visite. #Esat #HandicapPsychique #Solidel
Julien, Thibault et Natacha dans la cuisine neuve de l’Esat.

Enracinée dans la terre bretonne depuis 35 ans, la ferme des Hardys-Béhélec fait pousser des légumes bio et de la fierté dans l’esprit de personnes en situation de handicap psychique. Visite. #Esat #HandicapPsychique #Solidel
En passant de 70 à 330 repas par jour, le challenge pour l’équipe (travailleurs et encadrants) était de taille.

J’aime ce que je fais ici et si ça ne me plaisait pas, il y a longtemps que je serais parti…

« Même si le travail ici demande plus de vigilance pour moi, surtout du fait du manque de confiance en eux de certains, d’autres m’impressionnent et sont parfois meilleurs que dans le milieu ordinaire. Et puis quel plaisir de cuisiner le poireau qu’on a vu pousser sous nos yeux », lance le chef tout sourire en contemplant les 2 800 m2 de serres visibles depuis la fenêtre de sa cuisine.

« La modernisation de cet atelier représente pour nous un investissement conséquent de près de 80 000 euros », signale Erwan Stévant. Dans l’économie sociale et solidaire, on n’échappe pas à l’économie tout court. On a le souci de l’équilibre financier.

Enracinée dans la terre bretonne depuis 35 ans, la ferme des Hardys-Béhélec fait pousser des légumes bio et de la fierté dans l’esprit de personnes en situation de handicap psychique. Visite. #Esat #HandicapPsychique #Solidel
Jean-Pierre Mounier, responsable de l’activité poules pondeuses, un atelier entièrement bio depuis 2017.


Notre arrivée dans l’un des poulaillers bio, où là encore charlotte et sur-chaussures sont obligatoires, ne semble pas troubler Cyril et Sylvain, occupés à collecter des œufs. « J’aime ce que je fais ici et si ça ne me plaisait pas, il y a longtemps que je serais parti… », assure Sylvain, qui travaille à l’Esat depuis treize ans. À 43 ans, il vit dans un appartement à Saint-Marcel. Les travailleurs des Hardys-Béhélec représentent 20 % des habitants de cette commune.

« Les plus en difficulté travaillent dans le poulailler car l’activité, plus répétitive, permet de se poser et surtout il n’y pas de rythme imposé », précise Jean-Pierre Mounier, le responsable de l’activité pondeuses, un atelier entièrement bio depuis 2017. Des œufs vendus principalement en direct ou dans le circuit local. « L’idée est de garder le maximum de la valeur ajoutée de nos productions », souligne Erwan Stévant.

Les étals du petit magasin installé au beau milieu du centre, constellés de fruits et de légumes qui ont poussé sur place, témoignent de cette volonté. Aubry, 35 ans, à la caisse depuis 9 mois, veille à ce que les clients repartent heureux et le panier bien rempli. Comme ses collègues, il attend avec impatience l’inauguration de la nouvelle activité libre-cueillette et les rangées de fraises, de framboises et de rhubarbes bio en libre accès, qui devraient très bientôt faire le bonheur des famille.

Enracinée dans la terre bretonne depuis 35 ans, la ferme des Hardys-Béhélec fait pousser des légumes bio et de la fierté dans l’esprit de personnes en situation de handicap psychique. Visite. #Esat #HandicapPsychique #Solidel

Être utile aux autres

Sur ses 60 hectares, l’établissement accueille aussi une entreprise de travail adapté : les Ateliers de l’Oust. Celle-ci propose les services dans différents domaines comme l’entretien d’espaces verts, le conditionnement, colisage, l’étiquetage, le collage, le pliage, le nettoyage de locaux, le stockage et la préparation de commande.
L’association a créé une unité d’accueil à temps partiel (UATP) en juin 2009. En 2010, le foyer a été transformé en service d’accompagnement à la vie sociale.

Pour plus de renseignements : www.lafermedeshardysbehelec.com

Photos : © Alexandre Roger/le Bimsa.