Tout de suite derrière le loup, l’homme se dévoile. Antoine Doré, chargé de recherche à l’Inrae, une tronche, comme on dit. On s’en rend compte dès la première question. Sa réponse à l’innocent « Pourquoi avoir choisi de travailler sur ce sujet ? » ne laisse pas de place au doute.

Nous voilà replongés sur les bancs de l’amphi, au beau milieu de nos années universitaires. Et pendant qu’Antoine déroule sa pensée, nous buvons du petit lait comme devant L’Abécédaire de Gilles Deleuze. En commençant par la lettre « A », comme « animal », pour bien faire.

« Je travaille sur les questions relatives à la coexistence entre l’homme et les prédateurs. » Dans sa thèse intitulée « Des loups dans la Cité : éléments d’écologie pragmatiste », soutenue en 2011, il adopte un parti pris : les loups sont des acteurs politiques. « On en parle dans les villages, dans les conseils municipaux, à l’Assemblée nationale, tout le monde se sent affecté… et les intérêts du loup sont défendus par des porte-parole scientifiques dans les arènes politiques. Ce sont des animaux peu voyants qui affichent paradoxalement une immense présence publique. »

La notion de désordre émaille le document de 646 pages, qui se traduit par une cinquantaine d’occurrences du mot « conflit ». Il n’en est pourtant pas moins orienté vers la préconisation d’un compromis « supportable ». Il défend ainsi l’idée selon laquelle il faudrait ouvrir la discussion entre les naturalistes et les éleveurs sur les conditions d’accueil et d’exclusion du loup, pour négocier les conséquences potentielles de toutes perspectives de coexistence. Une approche non normative qui propose des pistes de résolution réalistes.

Un beau jour de l’an 2019, Antoine reçoit un coup de fil de Delphine Burguet. L’anthropologue et chargée de mission pour le projet scientifique de la MSA apprécie ses travaux. Au cœur de la conversation, un projet intitulé « Face aux loups ». Il s’agit de mener une étude socio-anthropologique des effets de la présence de ces canidés sur la santé des éleveurs et des bergers. Ce qui soulève d’emblée l’inquiétude d’Antoine : « Je suis sociologue, pas épidémiologue ou psychosociologue… Et la santé, ce n’est pas mon domaine. »

Pour autant, il établit rapidement le lien avec un leitmotiv qui lui est cher : le désordre. « Les loups transforment les conditions d’existence des humains. Ils génèrent des désordres de tous ordres : techniques et économiques, cognitifs (on croit savoir ce qu’il faut faire et on ne sait plus) ou en termes de morale (où est le bien où est le mal ?). Ils influent sur la santé des éleveurs et sur leur manière de vivre avec les autres êtres humains. »

Approche sociologique compréhensive

Autre aspect relevé par le chercheur : « Sur le terrain, il n’existe que très peu de confrontations directes entre les bergers et les loups. Le rôle de l’humain n’est souvent réduit qu’à gérer des cadavres après l’attaque. Parfois même, les éleveurs ne sont pas touchés et ils le vivent très mal. Cet effet symbolique m’intéresse fortement ».

Ce qui l’anime enfin et achève de le décider : la possibilité de pouvoir conduire une enquête de terrain au long cours dans une approche sociologique compréhensive, dans la lignée de la méthode développée par Max Weber, son fondateur. Une discipline particulièrement adaptée aux bergers, en accord avec leurs attentes : « Arrêtez de dire que nous sommes des chasseurs de primes… Nous voulons être compris. »

« Je rédige alors la proposition du projet de recherche et nous échangeons avec Jean-Marc Soulat (1). Nous nous entendons sur les objectifs scientifiques et je suis libre de mener les protocoles de recherche comme je l’entends. »

S’ensuit une phase de rencontres avec 93 éleveurs et bergers sur leur lieu de travail, faisant face à la prédation du loup sur leurs troupeaux (lire l’article Les malades du loup). Le fruit de cette recherche fait désormais l’objet de différentes valorisations, dans des ouvrages académiques ou des publications professionnelles.

Elle donne lieu à des interventions, lors de colloques ou de séminaires, auprès du grand public et dans l’enseignement supérieur.

(1) Médecin national de la MSA.