Près de trois mois après les incendies qui ont ravagé le massif des Corbières en août dernier, les agriculteurs de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, village de 800 habitants, pansent leurs plaies. Depuis septembre, Isabelle Iscla, conseillère installation à la chambre d’agriculture de l’Aude et Aude Broussard, assistante sociale à la MSA Grand Sud, accueillent à la mairie les exploitants sinistrés. Le temps est à la reconstruction.
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« La mission des permanences, confie Isabelle Iscla, est de recevoir les agriculteurs au plus près de leur situation et leurs besoins. Actuellement, la priorité est d’enregistrer les demandes de fonds d’urgence, à la suite du dispositif mis en place par le gouvernement. Je les aide à effectuer les démarches en ligne. »
Les rendez-vous sont aussi des bulles d’écoute. Ils représentent une présence humaine recherchée par les agriculteurs à un moment où leur vie est à terre. « Derrière les rencontres, se mettent en place des cellules de soutien, explique Isabelle Iscla. Les gens ont besoin de s’exprimer sur ce qu’ils ont vécu. Ils sont désemparés. »

Répondre à la détresse
À ses côtés, Aude Broussard, assistante sociale à la MSA, confirme. « Beaucoup cherchent simplement à verbaliser ce qu’ils ont sur le cœur. Avoir une personne qui se déplace et représente la MSA, c’est important. C’est attendu. » L’étape suivante sera de répondre à la détresse. Des actions sont en préparation pour être déployées sur le territoire. L’assistante sociale annonce la création de groupes de parole et rappelle tous les dispositifs activés pour accompagner les victimes : aide au répit administratif, Mon soutien psy…
La présence sur le terrain se décide au coup par coup. « Il n’y a pas d’agenda », indique la conseillère en installation agricole. Une nouvelle campagne d’aide est lancée, destinée cette fois à ceux qui ont subi des pertes de fonds. Les agriculteurs ont eu jusqu’au 17 novembre pour en faire la demande.
Pour Aude Broussard, enfant du pays, les sujets d’inquiétude sont nombreux. « La viticulture est confrontée depuis quelques années aux aléas climatiques. Sécheresse, grêle, gelée compliquent le métier. Aujourd’hui les professionnels sont encore dans la sidération. Il y aura des prises en charge grâce au fonds d’urgence et des exonérations de cotisations sociales via la MSA. Mais ceux qui ont perdu leurs vignes, même s’ils replantent, en ont au moins pour cinq ans avant de recommencer à récolter. Pendant ce temps, comment vont-ils s’en sortir ? »

Des grappes au goût de cendre
À quelques kilomètres de la mairie, en hauteur, les plaies sont encore béantes sur le domaine viticole de Montjoie qui s’étend sur une centaine d’hectares. Cette année, le vigneron Laurent Lignere, 47 ans, ne vendangera pas ses terres. Le feu a dévasté une bonne partie de ses cultures. « Environ 30 % de la surface a été détruite. Le reste n’a pas été récolté à cause du goût de fumée. J’ai laissé les grappes sur les souches pour éviter tout risque supplémentaire. »
Du doigt, il montre les coteaux qui portent encore la trace noire du passage des flammes. « Il y avait des arbres de dix mètres de haut dont le tronc faisait 60 à 80 cm de diamètre. Il ne reste plus que des cadavres. » Le 5 août, vers 16 heures, poussée par le vent violent de la tramontane, une boule de feu a dévalé à toute allure les pentes dévorant tout sur son passage.
Mêmes les vignes réputées faire office de pare-feu naturel n’ont pu en ralentir la course. « Elles avaient beau être propres. Il n’y avait pas d’herbe. Je travaille au cordeau. Le feu a quand même sauté et brûlé la vigne. »
Les bâtiments aussi n’ont pas échappé à la voracité de l’ogre. Les dégâts matériels sont considérables : hangar, tracteurs, benne à vendange, tout y est passé. « On est impacté de manière impressionnante. » Laurent Lignere n’a plus que ses yeux pour constater l’effondrement d’une vie de travail. « Ce que vous voyez là, je l’ai obtenu en transpirant, je n’ai jamais eu peur de faire des heures. »

Hommage aux pompiers
La solidarité met du baume au cœur pendant ce coup du sort. Des voisins lui ont prêté le matériel pour continuer l’activité. Avec d’autres confrères également touchés, Château Les Palais, Cellier des Demoiselles, ils ont uni leur force et créé une cuvée solidaire baptisée « Ciel rouge », en référence aux flammes de l’été. C’est la bouteille de la résilience. Les ventes vont aider à traverser l’épreuve.
Mais « Ciel rouge » se veut aussi un hommage aux soldats du feu qui ont bataillé contre l’incendie du siècle au péril de leur vie. Beaucoup ont été blessés. Pour la vente de chaque bouteille vendue, 1 euro est reversé aux pompiers de l’Aude.
Reste que si les liens réchauffent le cœur, ils ne dissipent pas les angoisses. « Ça, c’est un bourgeon latent, montre-t-il. Dedans, il y a l’ébauche de la récolte de l’année suivante. Il en est ainsi sur toute la vigne. Il y a un souci. Je vais tailler, mais après je ne sais pas ce qui va en sortir. » Est-il étonné par ce bourgeonnement en plein mois d’octobre ? « La vigne fait comme elle peut. Quand on s’écorche, on cicatrise, peu importe la saison. Elle, elle a choisi de repartir à contre-saison. »
Le préjudice est énorme
Une autre question le taraude. « Sur les trente hectares touchés, la moitié concerne la souche. La pérennité de la plante a été atteinte. Ces vignes seront à arracher et à replanter, lâche-t-il d’une voix éteinte. Il faut au minimum quatre à cinq ans pour qu’un vignoble atteigne sa pleine production. Le préjudice est énorme. »
Á la mairie, Tom Aguillani, maraîcher de 22 ans, crée son dossier pour le fonds d’urgence d’indemnisation. Installé depuis deux ans, le jeune homme produit des fraises, melons, pastèques et pommes de terre nouvelles. Il a subi des dégâts.
Sa double activité – il fait de la prestation viticole – lui permet de compenser. « Un de mes champs a brûlé à 50 %. Le reste n’a pas pris feu mais la chaleur des flammes et les cendres ont tué la végétation qui y poussait. Cela a rendu les fruits impropres à la consommation. » Il aborde avec calme le moment, se sentant bien accompagné par les institutions. Il reste confiant en l’avenir.
« Certes, c’est très compliqué pour moi mais je n’ai pas perdu des cultures pérennes comme c’est le cas des viticulteurs. Moi je plante et deux mois après je récolte. Ce n’est pas aussi grave que ce qu’ont perdu les vignerons. » Il en sait quelque chose : il est titulaire d’un BTS viticulture-œnologie.
Indemnisations en cours
Un premier guichet d’aide a été ouvert le 8 septembre dernier pour soutenir les exploitants ayant subi des pertes de récoltes. Selon le communiqué de la préfecture de l’Aude du 31 octobre dernier, 145 dossiers ont été instruits et 4,4 millions d’euros vont être versés dans les prochains jours à 147 exploitants sinistrés. La viticulture est en tête des dossiers avec 1 100 hectares de production perdue, suivie des prairies et parcours animaux (700 hectares), de la culture d’olives (16 hectares) et des parcelles de plantes aromatiques, de maraîchage et de céréales. S’ajoutent à cela 270 ruches dont les récoltes de miel ont été décimées. Un deuxième guichet, ouvert le 31 octobre, cible cette fois ceux qui ont subi des pertes de fonds (matériel végétal et animaux) et des dommages aux bâtiments d’exploitation et matériels. La campagne d’aide concerne aussi les récoltes vinifiées dont la commercialisation est rendue impossible en raison des goûts de fumée. La date limite de dépôt des demandes est fixée au 16 novembre à minuit.