À première vue, l’exploitation de Mickaël Hardy est un sacré fouillis. Un véritable cauchemar pour psychorigides du sillon tracé au cordeau et autres phobiques des mauvaises herbes. À Perma G’Rennes, ferme maraîchère qu’il exploite en permaculture à Rennes depuis 2017, plantain, pissenlit et lierre terrestre poussent en liberté, du moins en apparence… Liberté surveillée serait une expression plus adaptée. Car le trentenaire, gardien des lieux, veille aux grains.
« Les soi-disant mauvaises herbes, certains les traitent avec de la chimie, d’autres comme moi les valorisent et les vendent au marché, explique le maraîcher avec un brin de fierté dans la voix. 80 % des espèces sauvages sont comestibles. » Cela tombe bien, les herbes folles ont élu domicile un peu partout. Près des rangées de légumes joufflus ou biscornus poussent sans complexes des variétés anciennes oubliées comme la morelle de Balbis (petite merveille gustative située entre l’aubergine et la tomate). Entre la dracocéphale de Moldavie (ou thé des jardins) et la batavia goutte de sang, aux côtés de la mertensia au goût d’huître, les insectes ne savent plus où donner de la mandibule. Dans les allées, les bourdons et les papillons n’en perdent pas une goutte et s’enivrent de nectar de fleurs sauvages jusqu’à plus soif.
La ferme est installée à la Prévalaye, l’un des poumons verts de l’agglomération rennaise, niché au cœur de la métropole bretonne, au plus près de ses 450 000 habitants qui représentent autant de bouches à nourrir. 80 % de cette vaste zone de 450 hectares faiblement urbanisée, située à l’extérieur de la rocade rennaise, appartient à la ville. Ici cohabitent harmonieusement promeneurs en goguette, sportifs professionnels — la ferme est voisine du centre d’entraînement du Stade Rennais — et joggeurs amateurs.
Le territoire a une quadruple vocation : sportive, culturelle, touristique mais aussi agricole. La ferme, avec son modeste demi-hectare, est située juste en face de l’Écocentre de la Taupinais, un site créé dans une double optique de développement de l’éco-citoyenneté et de la sensibilisation au développement durable. La ferme de Mickaël Hardy est de la même façon ouverte à tous : en particuliers aux insectes, arachnides, oiseaux, batraciens et rongeurs qui savent apprécier le moelleux d’une bonne limace bien grasse. Une place de choix est laissée au lombric, le chouchou du patron. « Il fait des merveilles pour rendre au sol toute sa richesse organique. »
Dans l’exploitation, on croise aussi des bipèdes
Dans l’exploitation, on croise aussi des bipèdes — plus de 3 000 l’année dernière — intéressés par l’agriculture urbaine et la permaculture ou encore des fans de légumes bio. Mickaël Hardy ouvre gratuitement sa ferme au public une fois par semaine. « Je me suis installé en ville avec l’ambition de réconcilier l’urbain et l’agriculteur. Les citadins veulent se reconnecter au vivant. » Il prône un retour à la terre des urbains. « Un savoir-faire qu’on a perdu en seulement une ou deux générations. » Un peu dépassé par la demande en termes d’animation, Mickaël Hardy sera épaulé dès la rentrée par Simon Ricard, ingénieur et néo-paysan, pour s’occuper d’un second groupe à l’école de la permaculture, créée en même temps que la ferme.
Pourtant, dès les premiers moments de notre visite, c’est bien le coassement d’une rainette entre les rangées de carottes et de radis qui monopolise l’attention du Breton, lumineux et intarissable dès qu’on le questionne sur son métier. Il ne faut que quelques secondes à cet agriculteur pour faire le tour du propriétaire en quadrillant du regard les quelque 5 000 m² de son exploitation, mais le voir se dresser comme un i pour saluer l’arrivée du batracien tel un visiteur de marque est une expérience en soi. Il sait le précieux allié que constitue son vorace appétit dans l’équilibre naturel et économique de sa ferme. En plus de ses belles gambettes, la rainette apprécie les insectes amateurs de légumes.
Cela tombe bien, Mickaël Hardy cultive ces derniers et les vend au marché. Notamment sur le mail François Mitterrand à Rennes tous les mercredis. Il fournit également des groupements d’achats, trois restaurants et une pépinière avec des plantes en pot. La micro-ferme intensive a également pour vocation la production de semences paysannes.
Les rainettes font le boulot
« Pas de désherbage, pas d’arrosage. Je fais presque de la cueillette sauvage, affirme Mickaël Hardy. On sème et puis on récolte. Entre les deux rien ou presque. Je n’utilise rien contre les limaces parce qu’en ramenant la biodiversité sur le terrain, les oiseaux, les musaraignes et les rainettes font le boulot à ma place. » Modeste car cultiver en permaculture ne relève pas du tout du hasard même si l’agriculteur s’inspire des écosystèmes sauvages. Son travail s’apparente plutôt à celui d’un architecte. Tout est pensé en amont et maîtrisé pour que la nature puisse donner le meilleur d’elle-même en tenant compte des besoins et des interrelations bénéfiques entre les plantes. Le résultat est là : 80 espèces d’abeilles bourdonnent dans son exploitation contre seulement 10 dans une ferme traditionnelle.
« À Rennes, nous avons en tout 70 hectares de terre agricole dont 37 % en bio, s’enorgueillit Daniel Guillautin, conseiller municipal à l’écologie urbaine et à la transition énergétique dans la capitale bretonne. On recense en tout une dizaine d’agriculteurs dans l’agglomération rennaise. À partir d’une première étude datant de 2011-2012 sur l’autonomie alimentaire à Rennes, nous nous sommes posé la question de savoir comment réintroduire du maraîchage et de l’agriculture en ville. Une activité agricole avait été maintenue à la Prévalaye, mais principalement pour faire du foin. Nous avons fait un appel à manifestation d’intérêt auquel Mickaël Hardy a répondu. Aujourd’hui, nous souhaitons aller plus loin en mettant à disposition 10 hectares supplémentaires pour accueillir d’autres projets. À ce stade, nous nous interrogeons sur la bonne formule juridique. Car le commodat ou prêt d’usage, type de contrat que l’on a signé avec Mickaël Hardy, ne permet pas de bénéficier de l’aide à l’installation. Nous pourrions ainsi imaginer d’autres types de contrats mais aussi un engagement plus long, de 10 à 20 ans, pour que les candidats puissent se projeter en termes d’aménagement et de prêts bancaires. »
Presque des pionniers
Le nerf de la guerre, Mickaël Hardy en parle aussi très librement. « Je ne voulais pas d’aide pour être serein. » Il n’a pas non plus souscrit de crédit. Il ne bénéficie d’aucune subvention hormis le bail à titre gratuit de la ville de Rennes pour la location du terrain. « Sur moins d’un hectare, on n’a pas accès à l’aide à la bio », poursuit-il, fataliste. Et pourtant, avec 21 000 euros de chiffre d’affaires dès la première année, son pari semble déjà gagné alors qu’il n’a pas encore cultivé la totalité de son demi-hectare. Il a même pu prendre quelques vacances.
« On est un peu des pionniers. Cette microagriculture ne rentre pas dans les cases de l’administration publique. Un inspecteur de la MSA s’est déplacé sur l’exploitation et s’est rendu compte que j’étais sérieux. J’avais pour le convaincre les références comptables de la ferme de ma mère que j’avais convertie au bio et à la permaculture, et tout s’est arrangé. »
« Autour de Rennes, il y avait encore une centaine de maraîchers dans les années 1980. Il en reste moins de 10 aujourd’hui, affirme Marie-Pascale Deleume, co-présidente des Amis de la Prévalaye, association de protection du domaine. Pourtant ce territoire est traditionnellement destiné à approvisionner les marchés de la ville. Nous militons pour que le domaine conserve cette vocation agricole avec des jardins familiaux, le jardin des Mille Pas, un jardin pédagogique, aujourd’hui des maraîchers comme Perma G’Rennes et demain d’autres projets qui permettront à des jeunes ou des moins jeunes de s’installer. Ce territoire possède une biodiversité exceptionnelle, notamment une grande richesse en termes de batraciens, de rongeurs et d’oiseaux que la présence d’une agriculture raisonnée aide à préserver car, sans elle, les espaces — notamment humides — se bouchent et les espèces invasives prolifèrent. On a besoin des agriculteurs pour que la Prévalaye reste la Prévalaye. »