Comment s’est déroulé la passation de poste ?
J’ai travaillé aux côtés de Daniel Lenoir (le précédent coordinateur) depuis le 1er décembre 2022. Ce haut fonctionnaire a déployé les comités départementaux dédiés au mal-être agricole pendant son mandat. Il a été aidé dans sa mission par son adjointe Anne-Marie Soulaye. Je tiens à vivement les remercier. Ce travail de coordinateur national est une déclinaison de la feuille de route lancée en novembre 2021. Une enquête est réalisée en ce moment auprès de tous les comités pour dresser un premier bilan de la situation.
Quel est le rôle des coordinateurs départementaux ?
Ce que je fais au plan national doit être appliqué à l’échelle du département. Ça doit être un copier-coller. Selon les territoires il y aura un coordinateur pour un ou deux départements. La Mutualité sociale agricole (MSA) en coordonne certains. Pour le Lot-et-Garonne, c’est la direction départementale de l’équipement (DDE), un service de l’État, qui remplit la fonction. D’autres comités départementaux sont animés par des chambres d’agriculture.
« Il faut aller vers. Il faut aller vers le positif. Il faut remettre de l’humain, aller vers l’humain. Je me battrai pour ça. Il faut humaniser, humaniser au maximum. Aller vers le positif, prévenir et accompagner. Ce sont mes rois piliers. »
Quelle sera votre première action ?
Je reste dans la lignée de Daniel Lenoir. Je ne vais rien révolutionner. Les coordinateurs sont en place. Il y en a plus de 100. Je vais les contacter pour faire un point sur la situation, voir avec eux comment l’améliorer et contribuer à faire évoluer leur rôle. Aujourd’hui, force est de constater que les actifs agricoles sont trop nombreux à s’adresser directement au ministère de l’Agriculture, au président de la République, à Bercy, etc. Il faut que ces prises de contact reviennent chez les coordonnateurs départementaux. Cela doit revenir à la base. La base, c’est le département. Lorsqu’à ce niveau, les situations deviennent compliquées à gérer, elles devront être remontées dans nos instances.
Une prise en charge collective impliquant la MSA
Le 6 mars dernier, au Salon international de l’agriculture, en direct du stand de la Mutualité sociale agricole, Jean-François Fruttero, président de la MSA Dordogne Lot et Garonne reçoit Olivier Damaisin, coordinateur national mal-être en agriculture. Retour de ce moment fort de l’émission de MSA TV.
Prochainement, je me rendrai dans un maximum de régions, à la rencontre des agriculteurs. Je visiterai les fermes en difficulté comme celles qui se portent bien. J’ai commencé par la prévention du suicide, puis je suis passé au mal-être. Maintenant j’aimerais que nous arrivions à la notion de reconnaissance de la valeur du travail, de la valeur des agriculteurs. Si nous mangeons, c’est grâce à eux. Ils méritent amplement notre respect.
Le réchauffement climatique ne plonge-t-il pas le monde agricole dans une ère d’incertitudes ?
Il en a toujours été ainsi pour les actifs agricoles. Pour y faire face, ils ont effectué des transformations immenses. Ils ont changé leur façon de travailler et les cultures qu’ils sèment chaque année. J’ai connu le territoire de la Drôme rempli de pêchers et d’abricotiers. Cela n’est plus le cas. Les paysans sont maintenant passés à la culture des pommiers.
Un agriculteur se remet constamment en cause. Rares sont ceux qui terminent leur carrière sans rien modifier. Cela est vrai pour toutes les filières. Les professionnels sont en perpétuelle adaptation. Ce serait bien de valoriser tout ce qu’ils font pour évoluer depuis des décennies. Je ne connais pas de métier qui ait évolué autant en si peu de temps.
Comment rendre visibles ces bonnes pratiques ?
Un travail pédagogique est nécessaire. Certains agriculteurs s’y attèlent déjà sur les réseaux sociaux. Les influenceurs issus du milieu agricole sont aujourd’hui nombreux à parler de leur activité. Comment expliquer cette méconnaissance de la ferme ? C’est simple. Avant, tout le monde comptait un actif agricole dans sa famille : l’oncle, le grand-père, le grand frère… Depuis une ou deux générations, cela n’est plus le cas. Beaucoup n’ont plus aucune attache avec le monde paysan. Tous les écoliers de France devraient visiter au minimum une fois dans leur scolarité une ferme. Ce devrait être le b.a.-ba. Ce type de mesure aide à se rendre compte de la réalité du métier d’agriculteur et à se connecter à son agriculture.
Vous parlez souvent de périmètre. Pouvez-vous le préciser ?
J’ai une feuille de route comprenant sept chantiers étalés sur deux ans. J’interviens sur le mal-être agricole lié aux personnes en situation de souffrance. La difficulté n’est pas seulement financière. Malheureusement s’y ajoutent la solitude, les pressions interfamiliales. Peut s’y greffer également un sentiment de dénigrement lié à l’« agribashing ». Les situations sont complexes.
Sept chantiers
La feuille de route comprend sept chantiers étalés sur deux ans. Elle vise les exploitants et les salariés agricoles.
Chantier 1: la prévention des actes suicidaires. Lob jectif est de mettre en œuvre la stratégie nationale de prévention du suicide dans le monde agricole.
Chantier 2 : l’accès aux droits. Il s’agit de lever les obstacles qui bloquent l’accès aux droits.
Chantier 3 : l’absorption des chocs sur le revenu. Il est question d’étaler les dettes et les dispositifs de prises en charge en cas de perte ou baisse sou daine de revenu. La MSA joue le jeu et propose l’éta lement quand cela est possible.
Chantier 4 : la reconnaissance des maladies pro fessionnelles. Les agriculteurs voient rarement
le médecin. « Comme me l’a signalé un urgentiste, quand un agriculteur consulte en urgence, c’est que c’est grave. Pour les maladies professionnelles, explique Olivier Damaisin, c’est la même chose. » Il faut en améliorer la prise en charge et prendre en compte les pathologies psychiques liées au travail.
Chantier 5 : santé, sécurité et qualité de la vie au travail. Objectif : intégrer la prévention du mal-être (risques psychosociaux) dans la politique de santé au travail pour des salariés et des agriculteurs.
Chantier 6 : conciliation vie personnelle et familiale/vie professionnelle. Objectif : « des exploitations viables mais aussi vivables » (formule de Marc Fesneau).
Chantier 7 : accompagner les transitions agricoles pour en diminuer les risques psychosociaux.
Quels sont les acteurs qui vous aideront dans votre mission ?
Il y a les sentinelles, premier maillon de la chaîne prévention, dont je vais vérifier la mise en place au niveau des territoires. Leur profil est varié. Cela peut être des agriculteurs, des gendarmes, des postiers, des vétérinaires, des employés de la MSA en contact direct avec les professionnels du milieu agricole, ou des coopératives. Trop d’exploitants ne croisent aucun de ces acteurs. Ceux-là sont dans l’isolement et dans la solitude.
Notre pays est-il le seul à faire face à ce phénomène ?
La France n’est pas le seul pays à être touché par ce phénomène. C’est un fait européen voire mondial. Ce serait bien de coordonner nos actions et de partager nos expériences. Notre pays est précurseur en la matière.
Existe-t-il un espoir de sortir le monde agricole de ces difficultés ?
Oui. Il faut aller vers. Je me battrai pour ça. Il faut humaniser au maximum. Aller vers le positif, prévenir et accompagner, ce sont mes trois piliers.
Disposez-vous des moyens pour mener à bien votre mission ?
L’État est engagé sur cette question. Je suis sous l’autorité de quatre ministères : l’Agriculture, la Santé, les Solidarités, le Travail. Pour les moyens, je ne suis pas inquiet. Le mal-être en agriculture est une cause nationale.
Cinq dates clés
Septembre 2019. Sortie d’Au nom de la terre d’Édouard Bergeon, un film coup de poing sur le mal-être en milieu agricole et sur le suicide en agriculture.
Février 2020. Rapport commandé par le gouvernement au député Olivier Damaisin sur la prévention et l’accompagnement des agriculteurs en difficulté, remis au Premier ministre en décembre 2020.
Mars 2021. Rapport des sénateurs Françoise Férat et Henri Cabanel.
Novembre 2021. Feuille de route sur la prévention du mal-être et accompagnement des agriculteurs en difficulté. Elle est présentée par les ministres des Solidarités et de la Santé, et de l’Agriculture et de l’Alimentation, et le secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail.
Février 2022. Daniel Lenoir est coordinateur national interministériel pour une durée de deux ans.
Mars 2023. Nomination d’Olivier Damaisin.