On est en avril 2018. Alexandre Lecuyer agriculteur à Monceau-le-Neuf, dans l’Aisne, travaille dans ses champs quand il aperçoit un drôle de rapace gris survoler ses terres. Il ne ressemble pas à ce qu’il voit d’habitude. D’ailleurs, pour lui comme beaucoup d’autres agriculteurs, les espèces de rapaces se limitent aux buses et aux faucons crécerelles. Mais curieux et amoureux de la nature, il cherche à en savoir plus. Il ne sait pas encore que cette rencontre marquera le début d’une aventure dans la protection de ce rapace.

Busard, vous avez dit busard ?

L’agriculteur se met en tête de trouver de quelle espèce il s’agit. Et contacte alors un ami qui s’y connaît, dans les Alpes. « Il m’oriente vers un fauconnier de la Nièvre qui me dit qu’il s’agit sûrement d’un busard. » Ce dernier le renvoie à son tour vers un ornithologue dans la Marne, Alain Balthazard, l’un des meilleurs spécialistes du sujet en France. Et là, surprise ! « Il me confirme que c’est bien un busard ! Je suis étonné parce que pour moi, un rapace niche dans les arbres, les buissons, partout, sauf dans les champs ! Je réalise que sans le savoir, je les tue… » Le naturaliste poste un message sur un groupe de discussion pour trouver un relais local. Des confrères d’Amiens se rendent sur place et confirment la présence d’un busard, « mais pas celui qu’on pensait !, s’amuse Alexandre. Tandis qu’on s’attendait à tomber sur un Saint-Martin, c’était en fait un busard cendré, encore plus rare. Ils étaient ravis ! »

L’agriculteur fait en sorte de protéger seul les nids durant trois ans avec les moyens du bord. Jusqu’au jour où son cousin lui rend visite. Ornithologue amateur, il note ses observations sur clicnat.fr, la base de données collaborative de l’association Picardie Nature [Ndlr, une association de protection de la nature et de l’environnement]. « C’est à partir de là que j’ai rencontré Anne-Gaëlle de Picardie Nature et que l’aventure a commencé. » Il s’implique pour la bonne cause et fait tout pour prêcher la bonne parole autour de lui et auprès de ses pairs.

Sensibiliser les agriculteurs pour préserver les rapaces

« En France, les premiers busards nicheurs dans les cultures ont été aperçus vers la fin des années 70, explique Sébastien Legris, qui coordonne avec Anne-Gaëlle Mothe la mission de protection des busards en Picardie. À l’origine, ils nichaient exclusivement dans les milieux naturels, mais la forte pression exercée sur leur habitat dès les années 50 les a poussés à occuper les cultures agricoles. Aujourd’hui en Picardie, une espèce comme le busard cendré niche exclusivement dans les parcelles de céréales. »

Ces oiseaux migrateurs reviennent entre la fin mars et la mi-avril pour les périodes de reproduction, hormis pour le busard Saint-Martin dont une partie des individus est sédentaire. De nombreux busards des roseaux, sont également sédentaires dans la partie nord de la France. Ils semblent même être de plus en plus nombreux au vu des quelques dortoirs hivernaux suivis. Seul le busard cendré est strictement migrateur avec une remontée à la mi-avril.

Les rapaces s’installent dans les champs, à même le sol au milieu des cultures. Un problème quand on sait que la moisson et la période de reproduction coïncident. D’autant plus quand la saison des fauches est précoce. Le seul moyen de les sauver est donc de protéger les nids. Et surtout, d’effectuer un travail de collaboration entre les agriculteurs et les associations qui tentent au maximum de communiquer sur cette problématique. Car sensibiliser les agriculteurs et obtenir leur collaboration conditionne en grande partie la réussite du sauvetage.

Protéger les busards avant les moissons

Pour protéger un nid, la méthode est simple : une fois repéré, l’association positionne un carré grillagé juste avant la moisson, ce qui permet aux agriculteurs de faucher sans y toucher. La personne chargée du suivi est présente sur le site lors du passage des machines.

Autre avantage de ces cages : protéger le nid des prédateurs une fois la moisson effectuée. À partir de la mi-avril, l’association et les bénévoles repèrent les parades nuptiales. Plus tard dans la saison, les individus font des passages de proie. « Le mâle amène un campagnol à la femelle en plein vol puis elle retourne avec dans le nid. » Souvent, les nichées sont repérées quand la femelle décolle du nid. Et c’est là tout l’intérêt de la collaboration avec les agriculteurs qui sont sur le terrain. S’ils s’impliquent, c’est du temps de gagné pour l’association. « Quand je repère un busard, je contacte untel qui connaît untel et qui finira par me donner le contact de l’agriculteur qui cultive le champ, ce qui me permet de prévenir Picardie Nature pour qu’ils interviennent », note l’agriculteur. Un travail facile pour lui mais plus compliqué pour l’association qui peut avoir du mal à identifier les propriétaires concernés et perdre du temps.

« Je suis tous les jours dans mon champ, contrairement à Anne-Gaëlle, souligne Alexandre Lecuyer. Mais elle, elle a le temps de venir repérer les nids. C’est une collaboration. » Il s’en amuse : « Avant, on trouvait ça bizarre de voir quelqu’un traîner autour de nos champs. Maintenant, on commence à la connaître dans le secteur avec sa paire de jumelles ! »

Les rapaces passent et les rongeurs trépassent

Parfois, les agriculteurs qui ne connaissent pas encore le travail de Picardie Nature sont hésitants par rapport à sa démarche. Mais pour l’association, tout le monde y gagne. D’abord, parce que la protection des busards est une obligation légale (loi du 10 juillet 1976). Les exploitants ne se prêtant pas au jeu risquent donc une amende. Mais surtout, quand la collaboration est faite en bonne intelligence, les résultats sont là. « L’argument qu’on entend souvent, c’est la gêne entraînée par la cage de protection et la perte de récolte sur plusieurs mètres carrés », se désole Sébastien. Mais en réalité, ils ont plus à y gagner qu’à y perdre.

« Les busards sont un vrai atout pour eux. Ils régulent la présence des petits rongeurs. Pour un couple de busards, c’est environ 1 000 campagnols consommés dans le champ par an. Un nid de campagnols peut quant à lui consommer 2 à 3 m2 de céréales. C’est donc un service rendu pour les agriculteurs, qui limite la perte causée par les rongeurs. » De plus, l’association met un point d’honneur à prendre en compte leur travail. « On fait tout pour ne pas le perturber. Si vraiment on ne peut pas laisser le nid, on le transporte en dernier recours, note Sébastien. On utilise alors une cage traîneau avec un fond grillagé qu’on déplace dans un autre champ. » Tout cela sans qu’ils ne déboursent un sou.

Qui contacter ?

› SOS busards Hauts-de-France : 07 83 99 88 29
› Picardie Nature : 03 62 72 22 50
› LPO : 05 46 82 12 34

Crédits photos : Vincent Acloque, Sébastien Legris, Anne-Gaëlle Mothé, Coralie Dal