Entre deux broyeurs de branches, derrière le stand de désherbeurs, apparaît cette petite tente au motif camouflage… Un outil bien différent mais pas moins utile pour les travailleurs : des toilettes sèches. Le stand de la MSA intrigue les professionnels du paysage qui passent dans les allées du salon. Certains sourient, de loin, mais peu s’arrêtent ou osent venir discuter. Une situation que Catherine Lopez connaît bien. Médecin du travail à la MSA Ain-Rhône, elle est venue donner une conférence à Paysalia sur les problèmes d’accès aux sanitaires en jardins-espaces verts.
Depuis la sortie en mars 2016 d’une étude conduite avec sa collègue, Alice Marchaud, elle mène un travail de longue haleine pour faire tomber les tabous. Les résultats sont pourtant sans appel : pour 80 % des paysagistes, c’est un problème prioritaire et la majorité des répondants au questionnaire de l’étude a répondu « rarement » ou « jamais » concernant l’accessibilité aux toilettes.
C’est une question de bien-être et d’hygiène importante.
« Les salariés n’abordent pas ce sujet spontanément, regrette Catherine Lopez. Nous pensons donc qu’il faut sensibiliser les employeurs pour aider à lever le tabou. Mais ils ont du mal à se sentir concernés, comme ce directeur avec qui nous avons discuté sur le stand et qui disait “moi je suis dans les bureaux”, comme si ce n’était pas à lui d’amener la question. On parle beaucoup de la qualité de vie au travail (QVT), mais quelle est-elle lorsque l’on doit se retenir d’aller aux toilettes ? Cela peut porter à sourire, tant que ça ne presse pas trop, après ça ne fait plus rire.
Au-delà de la QVT, ces conditions reflètent plusieurs enjeux économiques pour l’entreprise, notamment sur la productivité, lorsqu’on risque des troubles de l’attention susceptibles de générer des accidents du travail, ou pire. L’image de l’entreprise peut également être affectée par les salariés qui se débrouillent, dans les jardins des clients par exemple. Il y a enfin un problème de sécurisation des chantiers si l’employé doit s’éloigner. »
« Paysalia a été un test. Cela nous a permis de voir comment ce sujet était perçu et nous avons bien constaté que c’était difficile d’intéresser les professionnels », confie Fanny Devoghelaere, conseillère technique à l’Unep. L’Union nationale des entreprises du paysage, coproducteur du salon, représente les 29 100 entreprises françaises du secteur. « Nous-mêmes avons été sensibilisés par l’étude du Docteur Lopez et nous avons compris que c’était un vrai problème. Mais nous commençons seulement à y travailler. C’est encore un non-sujet dans la plupart des entreprises. Aujourd’hui, nous faisons principalement de la vulgarisation de la réglementation auprès de nos adhérents. Les contacts s’établissent peu à peu et nous souhaitons à terme développer avec la MSA des interventions en région pour faire venir le sujet à eux. »
Toute une réflexion à mener
Des solutions simples et adaptées aux situations et aux budgets existent, comme ces toilettes sèches qui s’installent partout, pour moins de 120 euros. Une solution testée par Green Style, entreprise de 80 salariés basée à Pierre-Bénite, en banlieue de Lyon. « Nous nous sommes aperçus que la protection sous forme de tente n’était pas pratique pour les jours de vent notamment, explique Joëlle Gaudin, assistante RH santé-sécurité chez Green Style. La deuxième solution envisagée serait d’autoriser les salariés à se rendre dans un café à proximité. Mais il faudrait établir des règles pour éviter les abus et les accidents. »
L’entreprise, elle aussi sensibilisée par l’action de la MSA Ain-Rhône, a engagé sa réflexion de façon préventive. « C’est une question de bien-être et d’hygiène importante. Nous en avons parlé à chaque réunion du CHSCT en 2017, mais c’est toute une réflexion à mener. Ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Il n’y a pas de problème pour les équipes de créations d’espaces verts, dont les chantiers durent plusieurs semaines ou mois, où nous installons nos propres bases de vie. Si besoin, nous en louons. Mais il se pose pour les équipes d’entretien, qui font parfois jusqu’à huit chantiers différents dans la journée. Là, c’est souvent la débrouille et nous ne voulons pas non plus dégrader l’image de l’entreprise. Nous avons également pensé à acheter des cabines, mais il faut prendre en compte son transport sur le camion, à côté des tondeuses, broyeurs, souffleurs, tronçonneuses, débroussailleuses… Ce n’est pas évident et l’entretien doit aussi être envisagé. Nous n’allons pas demander aux salariés de s’en occuper. Tout cela représente un coût. Des aides financières seraient les bienvenues ! »
Une autre entreprise de la région, Parcs et Sports, a édité un plan de la métropole lyonnaise où figurent les toilettes publiques, mis à disposition dans les véhicules des équipes.
Avec ses 3 910 entreprises paysagistes, l’Auvergne-Rhône-Alpes est la 2e région du secteur. Environ 210 personnes seront tout de même passées sur le stand MSA à Paysalia, qui évoquait également l’hygiène des mains. Une question qui reste difficile à aborder, mais qui fait son petit chemin dans les esprits, et des idées dans les tuyaux (sans mauvais jeu de mots) qui pourraient profiter à d’autres professions d’extérieur, comme les maraîchers.