Il y a fait ses premiers pas et y fait les tous derniers en tant qu’éleveur. Sur la terre de ses aïeux, Francis Guilbert a grandi, s’est installé et a étoffé l’élevage de bovins. À 67 ans, l’agriculteur – tout comme sa femme Brigitte, 64 ans – tire sa révérence. Le couple prend sa retraite à l’issue d’un long cheminement pour transmettre son exploitation agricole, le fruit d’une vie de travail.

Dernière ferme laitière du village

L’heure est au déménagement. Au coin du feu qui crépite, assis à table au milieu de leur longère presque vide et parée de cartons, les éleveurs repassent l’histoire. Un demi-siècle passé à l’ouvrage dans leur ferme, ce n’est pas rien. « Nous avons repris l’élevage en octobre 1982, soulignent ceux qui étaient alors conjoints collaborateurs. Il comptait une vingtaine de vaches. Nous faisions la traite à la main et au pot. » Une structure familiale que les Guilbert vont entreprendre de moderniser pour la faire vivre.

Priorité à l’époque pour eux : « Améliorer la qualité du lait et le volume, tout en gardant un troupeau de taille moyenne car nous sommes limités en foncier agricole. » Ils adhèrent dans cette optique à un organisme de contrôle laitier et à un Geda (groupement d’études et de développement agricole), afin d’obtenir des conseils au fil des années et d’échanger avec des confrères. Les époux choisissent par ailleurs l’entraide avec une ferme voisine pour les travaux des champs.

Des avancées qui leur permettent la construction d’une stabulation et d’une salle de traite en 1990. Le cheptel passe alors à 40 têtes, puis à 55 depuis 2015. « En travaillant correctement, et sans compter nos heures, nous nous en sommes sortis. Nous avons traversé les crises de la filière, comme celle de la vache folle », lance Francis Guilbert, en regardant dans le rétro. « Nous avons fait tout cela avec l’ambition de transmettre un jour notre exploitation, poursuit Brigitte. C’est la dernière ferme laitière du village, il est important que la production perdure dans nos campagnes. Toute une économie locale en dépend. »

Un dernier passage dans la salle de traite… Durant la période de passation, le couple s’est attelé à traire les vaches, laissant la partie alimentation des animaux au repreneur de la ferme.

« Transmettre notre savoir-faire »

Les propriétaires de l’impasse du Blanc se sont mis en quête de successeurs à la fin de l’année 2021. Malgré les mesures d’anticipation qu’ils ont prises, leur parcours témoigne de la difficulté que représente la cession d’une exploitation. « Nous avons fait estimer les bâtiments, la maison, et mis en vente dans la foulée », expliquent les paysans, en arpentant l’immense cour de ferme pour se rendre aux étables. S’en est suivi « un défilé » de simples intéressés ou de potentiels repreneurs. « Des discussions étaient entamées avec quelques-uns d’entre eux mais n’ont pas abouti, indiquent-ils. Notre idée initiale était d’installer un ou une jeune et de transmettre notre savoir-faire. La Chambre d’agriculture a même organisé une visite sur place, mais ça n’a pas marché non plus avec les porteurs de projets présents. »

Face à leurs animaux, devant les enclos qu’ils ont aménagés de leurs mains, Brigitte et Francis Guilbert conçoivent que la reprise d’une ferme laitière aujourd’hui est complexe. « C’est un engagement risqué à plusieurs niveaux, observent-ils. Les marchés, la conjoncture, l’aspect sanitaire, la météo : tout est instable. Il faut avoir un projet clair et batailler dur lorsqu’on veut s’installer en agriculture. » « Il est surtout nécessaire d’aimer les animaux et de se familiariser avec eux, insiste Brigitte, qui a biberonné et soigné chaque veau né ici. Proximité, surveillance et attentions au quotidien sont vitales pour la prospérité d’un élevage ». Si son cœur bat encore pour ses « filles », comme elle appelle ses vaches, le moment de battre en retraite est arrivé pour la sexagénaire et son mari.

Pour Francis Guilbert, la réussite d’un élevage, en particulier lors d’une reprise d’exploitation, repose
sur un travail attentif au quotidien, notamment sur l’aspect sanitaire.

Décrocher pas à pas

Au bout de trois années de démarches, la ferme a finalement trouvé un repreneur. Il s’agit d’un agriculteur d’une commune voisine. « En attendant de quitter les lieux et durant la passation, nous avons levé le pied. Nous nous concentrions uniquement sur la traite matin et soir, et laissions l’acquéreur gérer l’alimentation du bétail. L’idée était de décrocher pas à pas, et non de façon trop brutale. »

Une manière de tourner progressivement la page de l’élevage pour Francis et Brigitte Guilbert, qui s’y sont donnés corps et âmes. Les retraités ont posé leurs valises non loin de là, dans une plus petite demeure de Monchy-Breton. «Qu’est-ce qu’on va faire de ce temps libre ? Décompresser, un peu de jardinage, aller à la mer… et profiter de nos trois enfants et de notre petite-fille. » Des plaisirs simples pour écrire une nouvelle histoire.

Trois clés pour réussir une transmission

Brigitte et Francis Guilbert tirent les leçons de leur parcours pour une transmission maitrisée. Leurs conseils :

  • S’assurer d’avoir au préalable l’accord de tous les propriétaires fonciers pour céder sa ferme à un tiers.
  • Anticiper les démarches administratives avec les organismes dédiés à la transmission-installation et à la retraite (Chambres d’agriculture, MSA…).
  • Créer une relation de confiance avec le repreneur et l’accompagner dans son projet.