Imaginons une nouvelle version du célèbre Monopoly, où il ne s’agirait plus de placer un ou plusieurs hôtels rue de la Paix, pour mettre sur la paille ses adversaires, mais un habitat regroupé pour le bien-être des aînés. De nouvelles règles qui conviendraient parfaitement à Tilhouse, commune de 220 habitants à proximité de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées.

Ancienne agricultrice, Marguerite, dite Antoinette, dite Nénette, a 88 ans. Ce matin, en attendant son infirmière, elle apparaît dans la salle commune de la résidence La Marotte. « De coup de foudre, je n’en ai eu aucun comme celui-là », concède l’octogénaire, un brin malicieuse. Elle se souvient de son sentiment quand son petit-fils lui présente les différents appartements. Elle peut même choisir l’élu de son cœur : un lumineux studio adapté de 35 mètres carrés avec une cuisine et une salle de bain séparée.

Comme elle doit s’aider d’un déambulateur, elle apprécie spécialement un environnement propice à la marche. « Mon précédent logement, à Hèches [à treize kilomètres de Tilhouse], comportait différents niveaux. D’un côté ça descendait… Et ce qui descend, remonte ! », poursuit-elle en badinant. Ici, elle se sent comme chez elle. Pas étonnant : c’est son mari qui a dessiné les plans de la maison il y a près d’un demi-siècle !

Passons par la case départ

C’est au tour de Marthe, 86 ans, d’avancer d’une case. Nantaise d’origine, craquante comme un Petit Beurre au sortir du paquet, elle fait souvent le tour du village. « Je me suis bien acclimatée à Tilhouse », confirme-t- elle. Elle est accueillie tous les dimanches chez son fils, qui habite La Barthe-de-Neste, à huit kilomètres de là. Son mari est placé en maison de retraite. Le loyer des studios de La Marotte est compris entre 405 et 470 euros, ce qui représente un coût moindre pour le logement d’une personne âgée autonome.

Joëlle Abadie, maire de Tilhouse, et Marthe, une résidente de La Marotte. – Photos © Franck Rozé/le Bimsa

« Avec Nénette et Josette [la troisième résidente], on ne sait pas toujours quoi se dire mais on passe du bon temps ensemble », glisse Marthe. Nénette, qui adore cuisiner, n’a pas son équivalent pour régaler la maisonnée de beignets qui sont sur toutes les lèvres. Des activités se tiennent régulièrement dans la salle commune (belote, scrabble, goûters, tricot…). Parfois, les résidents de la Marpa des Baronnies, située à Bourg-de-Bigorre, viennent tailler une bavette. Parfois, c’est la Marpa qui invite les locataires de la Marotte aux ateliers gym et mémoire. Aujourd’hui, ce sont les petits de la maison des assistantes maternelles qui viennent faire résonner de leurs pépiements les murs de la salle commune.

Cerise sur le beignet, le deuxième étage de l’immeuble se répartit en un logement T4 initialement dédié à une famille « bienveillante » — actuellement occupé par un jeune couple, Louise, originaire de Benqué, et Guillaume, pompier volontaire à Capvern — et un appartement d’appoint meublé pour l’accueil temporaire des familles des résidents, « ce qui a bien plu aux financeurs », selon les dires de Joëlle Abadie, la maire de Tilhouse. « Avec Louise, Guillaume et les autres résidentes, nous sommes unis comme les cinq doigts de la main », confie Nénette. Sans oublier le chien du jeune couple, Iker, devenu la mascotte de La Marotte.

Caisse de communauté

Par quel truchement s’exerce leur bienveillance ? Par un partage de valeurs, dont la solidarité et le respect mutuel, et par une présence qui contribue à proposer un cadre sécurisant aux résidents : en jetant un œil ou deux matin et soir, et en acceptant d’être le premier numéro contacté pour les résidents bénéficiaires d’une téléassistance, le cas échéant. Verdict de Nénette, qui, on l’aura compris, n’a pas la langue dans la poche de sa robe de chambre bleu ciel : « Ils sont bien gentils et très discrets ».

Mais comment en sont-ils arrivés là, à tant de bien-être ? Revenons à la case départ (sans l’espoir de toucher 20 000 francs cependant). Les plus de 60 ans représentent environ 43 % de la population totale de Tilhouse. « En 2010, trois personnes âgées de la commune ont quitté leur domicile pour prendre un logement en Marpa », relate Joëlle Abadie. Isolement, sentiment d’insécurité, retraites modestes, logements vétustes ou inadaptés… Les seniors prennent la tangente.

De là commence à poindre ce qui deviendra une marotte, avant de devenir La Marotte, dans la tête de la municipalité : il faut doter Tilhouse d’une alternative aux possibilités de logement existantes. Une première idée abandonnée en direction d’un accueil familial, puis une seconde, la bonne : ce sera de l’habitat regroupé. En 2011, grâce à ses fonds propres, au prêt à taux zéro de la Carsat et à des réserves parlementaires, entre autres, Tilhouse acquiert une ancienne maison d’habitation de plainpied en centre-ville. Une fois rénovée par l’architecte Michel Giron, elle devient la résidence La Marotte.

Tirez une carte « chance »

C’est certes aller un peu vite en besogne car, de l’aveu de Joëlle Abadie, « Il faut du temps pour mûrir un projet comme celui-là ». Après force réunions associant notamment les Tilhousais, les autres parties prenantes (MSA, Carsat, le département…), les premiers locataires ne prennent possession des lieux qu’à la fin de l’été 2016. La communauté de communes des Baronnies est gestionnaire des logements depuis la fin des travaux de rénovation.

Mélanie Legodec, travailleur social à la MSA

Concernant le projet social, la municipalité, les habitants et leurs partenaires tirent une carte « chance » à partir de 2015, sur laquelle on pourrait lire : « Mélanie Legodec, travailleur social à la MSA Midi-Pyrénées Sud, vous accompagne : conservez cette carte aussi longtemps que vous le pouvez. »

Bonne pioche ! Il suffit d’entendre les compliments adressés à Mélanie par Joëlle Abadie, ou sa maman, Janine, présidente de l’association locale Familles rurales, ou par… Nénette, pour s’en convaincre (il n’y a pas de mal à se faire du bien). Mélanie, un peu gênée tout de même, relativise : « Il y avait déjà beaucoup de ressources et d’énergie, et l’envie de travailler ensemble. Juste un besoin de recadrage vers des objectifs bien posés. » Avec comité de pilotage, etc.

Et maintenant ? Hé bien, la partie est loin de s’achever. Cet été, pendant une semaine, les ados de Tilhouse ont défriché, avec l’association Villages accueillants, l’ancienne volière située sur le périmètre du terrain de La Marotte. Des idées d’aménagements extérieurs comme lieux de vie partagés prennent forme. La création d’un espace de jeux et d’un jardin intergénérationnel, entièrement financée par la MSA Midi-Pyrénées Sud et la CCMSA dans le cadre de l’appel à projets « sites habitat 2017 », en fait partie.

Finalement, c’est un peu comme avec le Monopoly : on sait quand ça commence, on ne sait pas quand ça finit.


Avant, après…