« Construisons ensemble l’avenir de nos territoires ». Le leitmotiv de la journée a rythmé les discussions, animées par un chef d’orchestre connaisseur : Axel Othelet, directeur de l’association Citoyens et territoires Grand Est. À l’exemple des chartes avec les aînés qui ont mis au diapason les acteurs du territoire depuis plusieurs années. Conseils régionaux, départementaux, maires, communautés de communes, bénévoles, travailleurs sociaux, Familles rurales, Fédération des centres sociaux, Agrica, Cpam, Mutualité française, ARS, Secours catholique, Générations mouvement et diverses associations… Ils sont venus nombreux en ce début de printemps — plus de 140 personnes — pour parler de développement social local (DSL).
Cette démarche globale et participative d’intervention sur un territoire implique en effet tous ses acteurs, y compris les habitants, premiers bénéficiaires des actions mises en place. « Le développement social local, c’est construire ensemble, susciter l’initiative, pour répondre à des besoins attendus et exprimés, en s’appuyant sur la connaissance de ceux qui vivent sur leur territoire, explique Hubert Bruneel, directeur de la MSA Marne Ardennes Meuse, à l’ouverture de la rencontre. Une méthode souple et adaptable aux réalités locales. Pour nous, dont c’est le métier de faire vivre au quotidien la solidarité, cœur de la cohésion sociale, c’est une façon concrète de traduire nos valeurs mutualistes. Une solidarité qui peut concerner tous les âges, tous les moments de la vie et qui se décline au plus près des personnes. C’est le pari gagnant de l’intelligence collective au service de tous. » Tout un programme.
« On a le sentiment qu’on peut faire bouger des montagnes »
Et des initiatives, il y en a. Cette rencontre est l’occasion de faire le bilan des trois actions développées ces dernières années autour des chartes pour les seniors en Marne Ardennes Meuse, de montrer ce qui marche, les freins, et de progresser. Dans la Meuse, par exemple, la charte territoriale des solidarités avec les aînés « Entre Aire et Meuse » (2 600 habitants), lancée en 2013, a fait naître de nombreuses idées. Après enquête pour déterminer les besoins des seniors, 39 projets ont été mis en œuvre : ateliers numériques, sorties en groupes, dépistage du diabète, ateliers du bien vieillir, service de transport pour personnes à mobilité réduite… En 2016, notamment, « Les plaisirs du mardi » ont proposé des ateliers ou des événements dédiés au bien-être tous les premiers mardis de chaque mois. Ils se poursuivent aujourd’hui dans la nouvelle communauté de communes De l’Aire à l’Argonne, fusion d’Entre Aire et Meuse et Triaucourt-Vaubecourt (2017).
Des activités qui ont suscité une grande adhésion, permettant de rompre l’isolement, de créer du lien social et de prendre soin de soi. Gaëlle Nicolay, pédicure-podologue à la maison de santé de Pierrefitte-sur-Aire, y a participé : « Cela m’a permis de rencontrer quelques futurs patients et de me rendre compte qu’il y avait une réelle demande dans le secteur. Ces seniors peuvent ainsi découvrir des spécialités auxquelles ils n’ont pas accès et retrouver l’envie de se prendre en charge d’une façon plus globale. Ce sont des événements comme ceux-là qui nous permettent d’échanger et de faire avancer la prise en charge des patients. »
Des retours d’expériences concrets
Dans les Ardennes, la charte « Attigny Tourteron », lancée en 2015, a permis la mise en place d’une grille d’évaluation des risques pour l’aménagement de l’habitat et d’une formation avec un ergothérapeute pour les salariés qui l’utilisent. Parallèlement, une action pour développer du portage de produits locaux à domicile, souhait exprimé par les habitants, a tourné court après le désistement des producteurs, se transformant alors en transport de seniors vers les marchés locaux. Du côté de la Marne, les bénévoles de la charte « Le Pass’âge du Perthois-Bocage et Der » ont créé un « Guide Malin », afin de faire connaître les artisans et les commerces de leurs communes. Édité à 3 000 exemplaires, il a été remis en main propre aux commerçants et distribué dans les boîtes aux lettres des habitants.
Après ces retours d’expériences concrets, les participants ont échangé tout l’après-midi en forum ouvert. Ils ont établi dix thématiques et des petits groupes de discussions se sont créés. Formation des jeunes, mobilité, actions de proximité…, les sujets sont variés et les débats vont bon train. À gauche, on parle familles : « Nous avons changé de tactique, raconte un travailleur social : au lieu d’organiser des réunions où l’on pense que les gens vont venir, et que ce n’est pas le cas, nous allons vers les parents, directement à la sortie de l’école parfois. En impliquant les directeurs d’école, ça fonctionne bien. » « Quand les familles sont impliquées, elles aident à porter la parole auprès des élus, confirme une autre participante. Si un problème est détecté et qu’on implique les parents pour trouver une solution, ça redonne un souffle qui peut engendrer d’autres actions. »
À droite, on réfléchit à la meilleure façon de rompre l’isolement et de prendre en compte toutes les difficultés du travail social. Comment savoir ce dont les personnes isolées ont besoin, sans générer des attentes nouvelles et ne pas penser à leur place ? Comment convaincre les plus isolées, sans trop entrer dans leur vie personnelle ? Comment redonner l’envie, alors qu’on a l’impression qu’elles ne veulent rien et ne demandent rien ? Un élément de réponse revient souvent : le temps, qui manque souvent pour ces professionnels débordés. Toucher l’entourage des personnes et faire marcher le bouche à oreille est aussi important. S’ils sont passionnés par leur travail, une certaine frustration de ne pas pouvoir faire plus se ressent dans les échanges. Mais, surtout, les professionnels sont friands des partages d’expériences et de bonnes pratiques.
Bénédicte Madelin, militante associative et membre du collectif « Pas sans nous », est venue témoigner de sa longue expérience en développement social dans les quartiers populaires : « Avec le DSL, on a le sentiment qu’on peut faire bouger des montagnes. Et ça fait du bien. Ça redonne du sens au travail social qui est de plus en plus axé sur de l’accompagnement individuel. Cela veut dire aussi qu’il faut changer de regard sur les habitants. Ils ne sont pas le problème. Ils sont une partie de la solution. De mon expérience, je tire le constat suivant : quand on les interroge, les habitants parlent des mêmes sujets que les pouvoirs publics, mais pas de la même manière, et ils n’ont pas les mêmes priorités. Et ça, c’est fondamental pour l’efficacité d’une politique publique. Dans notre système, nos traditions administratives et politiques très centralisées, nous avons tendance à marcher avec une seule patte. Or, la démocratie marche sur deux pattes. »
Pascale Chevallot, présidente de la Communauté de communes Perthois Bocage et Der, confirme les bonnes pratiques qu’engendre cette coopération territoriale globale : « La charte nous a obligés à changer nos façons de penser, à diminuer nos procédures et à revenir sur le quotidien des habitants. » Une démarche qui n’est pas prête de s’essouffler, puisque les communes s’engagent désormais dans une nouvelle étape : les chartes avec les familles. À suivre.