Le partage de la prévention par les acteurs en première ligne sur cette question est nécessaire à voir les chiffres concernant le suicide. Il y aurait 10 000 morts par suicide par an, un nombre qui dépasse celui des décès par ­accidents de voiture. La France est le pays d’Europe où l’on se suicide le plus, après la Belgique. Pourtant silence radio sur un fléau encore tabou. 


Geneviève Rocques-Darroy, présidente du collectif d’associations PSMP, et sa vice-présidente Fabienne Faure, psychologue clinicienne.

Faire connaître le phénomène, tel est l’enjeu de la manifestation. Et d’entrée de jeu, une séquence définitions s’impose [cf. encadré]. Les maîtresses de cérémonie, ­Geneviève Rocques-Darroy, présidente du collectif d’associations PSMP, et sa vice-présidente Fabienne Faure, psychologue clinicienne, débutent la journée par l’un des objectifs assignés à la manifestation : «Informer». Au fil des trois tables rondes qui auront lieu jusqu’à 16 h, s’y ajoutent la volonté de «former» et celle de «relier». Une triade d’actions indissociables à déployer partout en Occitanie, et un programme à la hauteur d’un «Plaidoyer pour une prévention partagée», appel et thème cette année de la campagne nationale.

Information

« Le suicide n’est pas la recherche de la mort en soi. » Geneviève Rocques-Darroy rappelle ce fait au public en nombre dans la salle. « La personne engagée, ­explique-­t-elle, dans une crise suicidaire, est en prise avec une souffrance de plus en plus envahissante. Son seul objectif est d’échapper à cette souffrance. » Durant ce ­processus de 6 à 8 semaines, «à tout moment, on peut intervenir », déclare-t-elle. L’intervention d’un tiers est importante. Il s’agit d’aider la personne en souffrance à sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve enfermée. La séquence information commence fort. Elle réaffirme l’importance de la ­prévention. «Elle est possible, efficace et indispensable. Elle est l’affaire de tous », défend ­Geneviève Rocques-­Darroy. Et la baisse enregistrée en Occitanie est là pour le prouver, même si ce n’est pas le cas des personnes très âgées dont les chiffres restent préoccupants, selon la ­présidente. Au total, 750 suicides en 2015 et 24 300 tentatives de suicide en 2017 ont été ­recensés. Le taux standardisé de ­suicides y a baissé de 16 à 14 pour 100 000 habitants, entre
2000 et 2015 ­(données de PSMP). Le mérite en revient à la mobilisation des acteurs de proximité, chacun à son niveau, chacun selon son expertise. Une chaîne d’intervenants bien rôdés aux techniques de prévention.

Une chaîne de prévention

Les tables rondes donnent un aperçu du travail fourni par les acteurs sur le terrain, offrant chacune débat et échanges entre interlocuteurs de milieux et de structures différentes. Le premier rendez-vous de la matinée, dédié aux formations pour la prévention au suicide ainsi qu’à l’impact de ces formations sur les pratiques détaille certains programmes du plan d’action de l’ARS ­Occitanie, déployé sur 13 départements, plan qui figure dans la feuille de route nationale de santé mentale. La priorité est donnée aux jeunes dont le taux de suicide est trop élevé. Geneviève Rocques-Darroy le souligne : « C’est la 2e cause de décès des 15-24 ans après les accidents de la route. » L’ARS augmente le nombre de maisons des adolescents (MDA) et de points d’accueil réservant écoute et accompagnement aux jeunes en difficulté, en situation de souffrance ou de rupture sociale.


Marie-Ange Carpy, responsable du développement de services sur le territoire, et Joëlle Dupuy, psychologue du travail.

Autre opération soutenue par l’ARS Occitanie, l’organisation d’un programme de formation prévention du suicide à l’attention des professionnels en contact avec des personnes à risques suicidaire. L’association MSA Services de la MSA Midi-Pyrénées Sud en a la charge dans le cadre de son partenariat avec l’ARS. Marie-Ange Carpy, responsable du développement de services sur le territoire, détaille les trois formations dispensées portant sur trois types de fonctions : intervenant de crise, évaluateur et sentinelles. L’intervenant de crise est un professionnel soignant clinicien « ayant une pratique régulière de la prise en charge ». L’évaluateur désigne le corps médical amené à évaluer la crise suicidaire et établir l’entretien clinique. La sentinelle peut être un citoyen ou un professionnel ayant des prédispositions à l’entraide.

Pour toute demande de renseignement concernant le dispositif de formation
sur la région Occitanie, adresser un mail
à formationmps@msa-services.fr

La 2e table ronde, consacrée à la prévention de la récidive suicidaire, a mis les projecteurs sur la tentative de suicide (TS), montrant l’urgence d’y apporter une réponse adaptée. « Le risque de récidive après un passage à l’acte suicidaire est important : il est de 40 % », signale Fabienne Faure. C’est tout le travail de la postvention qui consiste au recontact des primosuicidants. Le programme VigilanS met en œuvre cette veille de 6 mois. Il se met d’ailleurs en place dans toutes les régions de France après avoir fait ses preuves en Haut-de-France. Une carte ressource avec un numéro d’appel est remise au patient, sitôt sorti des centres hospitaliers ou des centres de crise. Coup de téléphone, sms ou cartes postales lui manifestent de ­l’intérêt, de l’attention, entretiennent le lien. Si menu soit-il, ce fil qui relie peut sauver. Et relier participe à la restauration du désir de vivre, une dimension forte de la prévention qui se construit en même temps que la prise en charge de la souffrance psychique. Fabienne Faure insiste sur cette valeur du lien : « être ensemble et travailler ensemble sur la prévention du suicide, c’est une opportunité pour réinterroger les liens que nous avons les uns avec les autres… C’est aussi travailler ensemble à contrer ce qui défait nos liens et nos régimes de solidarité. C’est travailler pour aller à rebours de ce qui individualise, isole, catégorise voire exclut les personnes. C’est retrouver des attitudes de prévenance les uns envers les autres qui sont parfois des gestes simples mais qu’on peut avoir oublié. C’est aussi réinterroger la façon dont nous voulons ensemble faire liens et prendre soin les uns des autres. »

Faire lien

Le cinéma s’empare de la question
du mal-être des paysans

Le cinéma se saisit du mal-être des agriculteurs pour en parler. A voir deux films Au nom de la terre d’Edouard Bergeon (Interview à lire ici) sorti en salles en septembre 2019 et Cyrille agriculteur 30 ans 20 vaches du lait du beurre des dettes de Ricardo Marconi (notre critique).

La 3e table ronde dédiée à la prévention du suicide au travail est également affaire de lien. L’agriculture, secteur fortement touché par le mal-être, illustre la thématique. Agnès Mano et Sylvie Beaufils, responsables d’action sociale MSA Midi-Pyrénées Nord, ont présenté le dispositif santé en milieu agricole, crée en 2011. Son principe : détecter les situations les plus fragiles en s’appuyant sur les réseaux constitués par les élus de la MSA et les professionnels qui interviennent au niveau des exploitations agricoles : les conseillers agricoles des chambres d’agriculture, les contrôleurs laitiers, les compta­bles. Une cellule pluridisciplinaire d’évaluation et de suivi chapeautée par des experts, propose d’accompagner les personnes sur un plan social, professionnel, médical, psychologique. Agnès Mano en indique le fonctionnement : «Elle a pour but de faire un 360 degrés sur la situation : Qui est la personne ? D’où vient-elle ? Quelles sont ses ressources ? Célibataire ou pas ? Son entourage. Quelles sont ses difficultés ? Son lien avec l’activité ? S’agit-il d’un chef d’exploitation, d’un ­salarié ?…» Le plan d’action personnalisé qui en est issu comprend aussi bien la prévention que la postvention. Une réponse adaptée au milieu agricole dont Agnès Mano rappelle la spécificité : «Les agriculteurs présentent un facteur de risque supplémentaire, c’est le fait de ne plus pouvoir être acteur de sa situation. Il y a les crises sanitaires, climatiques. Le prix du blé varie ou celui du lait n’arrête pas de changer. Ils se sentent en perte de maîtrise de quelque chose, avec en plus une image pas très bonne de leur profession. Ils se sentent dénigrés, vus comme des pollueurs. Cette dimension est aussi à prendre en compte dans l’évaluation de leur situation que nous faisons pour voir comment ils se situent, eux, par rapport à leur image. Il faut savoir que cette population est aussi à risque parce qu’il y a moins d’échappatoire. Souvent, la vie professionnelle et personnelle sont liées, très imbriquées voire fusionnées.»

Et la mobilisation de la MSA ne s’arrête pas là. Les groupes de parole mis en place depuis 2016, raconte Sylvie Beaufils, entendent « prendre en charge de façon la plus précoce possible le mal-être, les émotions que suscitent certaines situations. » Une libération de la parole et un temps d’échange qui permettent aussi de tisser des liens.

Pour en savoir plus sur la prévention
de la MSA, découvrez notre dossier complet Prévenir le mal-être