Le 1er octobre 2020, le programme Petites villes demain était lancé à Barentin, en Normandie, par la ministre de la Cohésion des Territoires, Jacqueline Gourault, et Joël Giraud, tout récemment nommé secrétaire d’État à la ruralité (cf. son interview). Trois milliards d’euros répartis sur six ans sont alloués aux projets de revitalisation d’un millier de localités de moins de 20 000 habitants. C’est l’une des mesures phares de l’agenda rural lancé en septembre 2019 par l’ancien Premier ministre Édouard Philippe. Trois régions Centre-Val de Loire, PACA et la Réunion sont les premières à bénéficier du dispositif.
Santé, éducation, jeunesse, maisons Frances services… le plan permet de soutenir l’économie et le tourisme, en développant notamment les petits commerces et les lieux de convivialité comme les cafés et les restaurants (grâce à la création de nouvelles licences IV), autant d’actions destinées à favoriser le mieux vivre dans les coins les plus reculés de France.
La surprise du programme Petites villes demain
« C’est une vraie bonne surprise, se réjouit Dominique Dhumeaux également maire de Fercé-sur-Sarthe. On était convaincu que très peu de communes de moins de 3 500 habitants seraient choisies. Finalement ce n’est pas du tout le cas. On a près de la moitié des communes de moins de 3 500 retenues. C’est excellent. Ce sont des centralités qui devaient être accompagnées. Nos villages de 600 habitants ont besoin de ces centralités pour les aider à se développer et à accueillir les services. Si on va en Haute-Saône, 600 habitants, c’est un bourg-centre ; en Sarthe, c’est un petit village. »
L’autre « belle nouvelle, selon Dominique Dhumeaux, c’est la définition du rural par l’Insee même si on est au milieu du gué malgré tout. On est passé de 4 millions d’habitants en monde rural à 21 millions. Lors des auditions effectuées pour la rédaction de cet agenda, on s’est rendu compte que de nombreuses communes n’étaient pas dans les radars de l’État. Beaucoup de politiques publiques censées toucher les territoires ruraux n’allaient pas jusqu’au bout et bon nombre d’entre eux étaient un peu les parents pauvres de celles-ci. Le fait de redéfinir au travers de l’Insee que la ruralité concerne non plus 4 millions mais 21 millions de personnes change forcément tout pour les futures politiques publiques. On parle d’un tiers de la population, cela oblige le législateur à revoir sa méthode et à être plus attentif au périmètre rural. »
La vigilance sur ce sujet particulier reste de rigueur. « On est au milieu du gué dans le sens où le prisme de l’attraction avec le territoire urbain est tout de même gardé, à travers le nombre d’habitants d’une commune qui vont vers la ville pour y travailler », estime Dominique Dhumeaux qui participe au CIR, ayant été l’un des rédacteurs du rapport de l’agenda, bien avant son adoption. Certes la nouvelle définition de la ruralité permet d’opérer un rééquilibrage entre campagne et ville dans les politiques d’aménagement du territoire très orientées ces trente dernières années vers le développement des métropoles. Mais « un travail est encore à faire sur ce sujet car il n’y a pas que l’attraction de la métropole ou de la grande ville de la ruralité à travers l’emploi qui doit servir de base : il y a aussi la santé, l’école, les loisirs, la culture ; donc la 2e étape, c’est de retravailler sur ces différents critères ».
La problématique de la santé
D’autres sujets laissent Michel Fournier comme Dominique Dhumeaux sur la réserve. Tous deux sont unanimes sur la question de la santé. « Les étudiants en médecine en fin de cursus devaient effectuer leur stage dans des déserts médicaux ou des territoires qui le sont. Cette mesure-là n’est pas encore mise en place réellement, se désole Michel Fournier, maire des Voivres, dans les Vosges. Or l’absence de présence médicale est l’un des premiers soucis de nos concitoyens. » Un besoin que la pandémie a rendu criant sinon visible. « La santé est une bombe à retardement, prévient de son côté Dominique Dhumeaux. Et les centres de santé ne règlent pas le problème. Et le problème, c’est qu’il n’y a plus de médecin. Dans un département comme le mien, la Sarthe, aujourd’hui 80 000 habitants n’ont plus de médecin traitant. On sait que dans trois ans, la moitié n’en aura plus. »
« Il faut être attentif »
Autre sujet qui mérite une nouvelle ampleur, aux yeux de ces élus, l’accompagnement des jeunes sur les territoires. « Pour qu’il y ait une vraie égalité des chances, il faut mettre en place les moyens. Il faut que les étudiants puissent, s’ils en ont les capacités et l’envie, atteindre des études supérieures et ne pas être bloqués par deux phénomènes qui sont : ″Ce n’est pas pour moi″ ; ″Je ne peux pas parce que c’est trop loin″. On ne peut pas ne pas traiter ces deux sujets en même temps. Ce n’est pas possible. Il y a un début de prise en compte. Sur la question des médecins, on sait bien qu’il y en a moins à la campagne parce qu’il y a très peu de jeunes issus du milieu rural qui accèdent aux études de médecine. Il y a un lien : c’est évident. De la même manière pour avoir des techniciens dans la gestion des eaux ou des architectes urbanistes issus du milieu rural, il faut leur permettre lorsqu’ils en ont envie, en sortant du collège et qu’ils ont 16 ans, d’atteindre des études supérieures en mettant à leur disposition les outils à travers des campus connectés, à travers des internats… »
Déjà 33 campus connectés permettent depuis la rentrée 2020 à ceux qui le souhaitent de mener des études supérieures à distance dans des espaces de travail dédiés. L’initiative est chapeautée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Mais rapporté aux 101 départements français, le nombre de ces lieux labellisés est loin d’être suffisant pour le vice-président. « Il y a encore d’énormes progrès ; mais nous sommes sur la bonne voie. C’est ce discours que le gouvernement devrait avoir sur ces sujets-là. Or on est souvent dans une séquence de communication ; le sujet est présenté comme ficelé, terminé. »
« Il y a une inégalité profonde encore même s’il y a une reconnaissance par rapport à l’agenda rural de la ruralité ou une nouvelle définition de la ruralité ; il y a encore une inégalité profonde entre les territoires et cela n’est plus acceptable » a déclaré le président de l’AMRF, Michel Fournier, également maire de Voivres, dans les Vosges.
Besoin de classes avec des effectifs restreints
Autre problématique relevée concernant la scolarité des jeunes ruraux. « Nous demandions dans l’agenda la préservation dans les écoles à plusieurs niveaux d’une classe avec des effectifs restreints. Une classe à deux niveaux c’est très positif ; cela tire les plus faibles vers le plus haut et permet aux enfants qui ont des facultés d’avancer un peu plus vite. Mais avec des classes à trois ou quatre niveaux comme c’est le cas dans les écoles rurales, ce n’est pas possible. Cela demande énormément de travail pour l’enseignant qui n’a aucune possibilité d’accompagner différemment les élèves en difficultés. Là-dessus, regrette Dominique Dhumeaux, jusque-là le ministère de l’Éducation nationale fait la sourde oreille sur ces propositions. »
L’approche globale du développement des territoires reste donc encore à améliorer, à ajuster et à peaufiner. La bataille en faveur de la ruralité est loin d’être gagnée. « Il faut être attentif et ne pas croire que la messe est dite et que tout va pour le mieux dans le meilleur du monde dans les territoires ruraux parce que l’agenda rural a fait le job. » Sur le terrain persiste un certain décalage. « Les lettres de cadrage des préfets sur l’agenda rural ont été signées le 20 décembre. Elles sont arrivées dans les préfectures régionales début janvier alors qu’il a été annoncé par le Premier ministre en septembre 2019. Je suis sûr, affirme le vice-président de l’AMRF que sur les 35 000 maires et quelques de France, les trois quarts ne savent même ce qu’il y a dans l’agenda rural. »
Premier gouvernement à s’occuper des campagne
Malgré ces points noirs, Dominique Dhumeaux reconnaît au gouvernement « d’être le premier à s’occuper des territoires ruraux. Quand on regarde l’histoire de France depuis trente ans, c’est la première fois qu’on s’y intéresse de cette manière-là, d’une manière transversale sur l’ensemble des sujets. C’est la première fois qu’il y a un secrétaire d’État à la ruralité… » Il est même fier de participer à ce chantier national. « Cet agenda rural est à l’initiative de notre ancien président de l’AMRF, Vanik Berberian. C’est lui qui réclamait une loi sur la ruralité. Sans lui, on n’en serait pas là. C’est une belle réussite. Et une fierté. »
Les principales dates
• 29 mars 2019. Lancement de la mission Agenda rural, composée notamment de représentants d’associations de maires dont le vice-président de l’AMRF et de parlementaires.
• 26 juillet 2019. Remise du rapport «Ruralités : une ambition à partager» à Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Il contient 200 propositions.
• 20 septembre 2019. Le Premier ministre annonce au congrès de l’AMRF l’agenda rural «Nos campagnes, territoires d’avenir». Il reprend 181 recommandations du rapport.
• 18 novembre 2019. Décret de création de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), opérationnelle au 1er janvier 2020.
• 20 février 2020. Premier comité interministériel aux ruralités (CIR).
• 26 juillet 2020. Nomination de Joël Giraud comme secrétaire d’État en charge de la ruralité.
• 14 novembre 2020. Deuxième comité interministériel aux ruralités.