L’odeur d’huile et de métal flotte dans l’atelier. Des éclats de voix et des rires se mêlent aux ronronnements des moteurs. Yohann Maillard, encadrant technique, a troqué le bleu de travail d’un grand constructeur automobile pour celui de La Routourne.
« J’ai passé vingt ans en concession, dont sept comme chef d’atelier. La pression, les chiffres, les horaires… À la fin, tu n’es plus qu’un numéro », se souvient-il. Aujourd’hui, en cette fin d’été ensoleillé, sous le ciel ardennais, il répare toujours des voitures mais aussi des trajectoires de vie.
Tremplin vers l’emploi et l’estime de soi
Chacune de ses interventions a dorénavant une dimension pédagogique. « On prend le temps, on explique, on répète les gestes. Pour certains, il s’agit de retrouver un rythme, de réapprendre à se lever le matin. Pour d’autres, c’est un premier salaire qui redonne de l’autonomie », se félicite Yohann. Ici, l’atelier devient un tremplin vers l’emploi, mais aussi vers la confiance et l’estime de soi.


Le transport solidaire, activité historique de la structure, reste aujourd’hui le cœur de l’action de l’association. « Des salariés en insertion accompagnent, sur rendez-vous, des habitants du bassin de vie en difficulté de mobilité », précise le directeur de La Routourne, Romain Discrit. Chaque année, ce sont entre 5 500 et 6 000 trajets qui sont effectués : rendez-vous médicaux, entretiens d’embauche, formations ou encore sorties culturelles.
La priorité est claire : éviter que des personnes renoncent à se soigner faute de moyens de transport. « L’accès aux soins est au cœur de notre mission. Mais nous n’acceptons pas les bénéficiaires disposant d’un bon de transport prescrit par leur médecin, afin de ne pas concurrencer les artisans taxi locaux », précise le directeur.
Garage solidaire et ateliers pédagogiques
Dans la continuité de cette activité, La Routourne a développé un garage solidaire et un service de location et parfois même de vente de véhicules à prix accessibles. Les voitures proviennent de dons : elles sont réparées et remises en circulation pour un public qui n’a pas les moyens d’en acquérir ou d’en louer une sur le marché traditionnel.
Une Clio offerte par la MSA illustre parfaitement ce modèle. D’abord utilisée pour le transport solidaire, elle sera ensuite remise en état avant d’être vendue à une personne en situation précaire. « Nos bénéficiaires n’ont pas les ressources nécessaires pour acheter ni entretenir une voiture. Nous leur offrons une alternative fiable, accessible et durable », souligne Romain Discrit.

À quelques mètres de là, l’atelier vélo offre une seconde vie aux bicyclettes récupérées en déchetterie. Dirigé par Hippolyte Leroy, ancien champion de France de monocycle, il accueille également des ateliers pédagogiques à destination des écoles, mêlant exercices de maniabilité, sensibilisation à la sécurité routière et initiation aux petites réparations.
Pour les enfants, c’est un apprentissage de l’équilibre et de la confiance. Pour les adultes, la location ou l’achat de vélos retapés rend la mobilité plus accessible. L’activité, d’abord artisanale, s’est structurée autour de cet animateur diplômé. En 2024, 850 enfants ont été sensibilisés. Seniors et résidents de maisons de retraite ont aussi bénéficié du programme.
Avec la voie verte qui longe désormais la ville, le vélo devient un outil de transition écologique et un moteur pour le tourisme local. « Voir un gamin repartir avec son vélo remis à neuf, sourire aux lèvres, ça n’a pas de prix », confie Hippolyte.
Tour d’horizon des services
- Transport à la demande : rendez-vous santé, emploi, formation, culture ou loisirs, pour seniors, jeunes et bénéficiaires de minima sociaux.
- Livraisons à domicile : produits du drive fermier, colis alimentaires de la Croix-Rouge, des Restos du Cœur, et boutiques locales.
- Atelier vélo : revalorisation des vélos de déchetterie, location et vente, éducation à la pratique du vélo (850 enfants accompagnés en 2024).
- Garage solidaire : réparations, ventes et locations de véhicules à tarifs progressifs selon les revenus.
- Insertion professionnelle : 50 personnes accompagnées sur l’année, avec formation et qualification dans les métiers du service et de la mécanique.
- Jardin pédagogique partagé : apprentissage de la culture de légumes pour salariés en insertion et élèves du pôle scolaire Dora-Levi.
- Animation du territoire : festival solidaire, événements sportifs et culturels, dont la Grande Traversée de l’Argonne (VTT et canoë).

Des parcours diversifiés
À La Routourne, chaque parcours compte. Bernard, 54 ans, ancien cariste en situation de handicap, retrouve un poste adapté après quatre ans d’inactivité. Sylvain, 24 ans, a obtenu son brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa) et passe son permis de conduire. Thibault, 28 ans, s’essaie à l’entretien des vélos mais rêve d’un emploi en déchetterie ou dans une usine locale. D’autres enchaînent stages et formations, parfois jusqu’au CDI. « On voit des gens arriver chez nous la tête baissée et repartir confiants, avec un vrai projet pour la suite », se félicite Agnès Bazelaire-Haudecoeur, présidente de l’association.
« Chaque trajet, chaque vélo, chaque réparation automobile contribuent à recréer un maillage social. L’ancrage local et la confiance mutuelle de tous les acteurs impliqués sont essentiels. Chacun sait que l’autre tiendra ses engagements. Ici, la mobilité devient un outil d’insertion, et l’insertion, un moteur pour la vie locale. Sur ce territoire isolé, on ne peut réussir qu’ensemble », confirme Gina Laplace, agent de développement social à la MSA Marne Ardennes Meuse.
Chaque année, 50 à 60 personnes en parcours d’insertion franchissent les portes de La Routourne. Près de 60 % d’entre elles rebondissent vers un emploi, une formation ou une alternance.


Photos : Alain Lantreibecq
Bientôt une épicerie solidaire itinérante
L’appel à projets Inclusion & Ruralité, lancé par la MSA, vise à soutenir les initiatives locales qui créent de l’emploi et du lien social dans les campagnes.
Dans les Ardennes, La Routourne a frappé fort : primée dès sa première participation en 2022, elle a récidivé lors de la deuxième édition. « Cette double reconnaissance montre que notre projet n’est pas qu’une belle idée ponctuelle, mais une solution durable », se réjouit Romain Discrit.
Avec les premiers financements, l’association, d’abord abritée au sein du centre social de Vouziers FJEPCS La Passerelle, a pu développer son transport à la demande, équiper son garage solidaire, créer un atelier vélo et salarier entre 50 et 60 personnes en insertion chaque année.
En 2025, le deuxième prix ouvre de nouvelles perspectives : la création d’une épicerie solidaire itinérante de produits locaux. À ce stade, l’activité repose sur le drive fermier de Vouziers, regroupant une vingtaine de producteurs du secteur.
« Nous voulons que l’épicerie itinérante devienne un projet collectif, en associant producteurs, associations et habitants, pour offrir à chacun un accès facilité à l’alimentation et renforcer le lien social », précise Agnès Bazelaire-Haudecoeur.
Plus d’infos sur : inclusion-ruralite.msa.fr