Des études plus courtes, un accès à la culture, au numérique, à la mobilité et à la santé plus limité, des inégalités entre hommes et femmes plus marquées… Le portrait de la jeunesse rurale de 2017, que dresse le conseil économique, social et environnemental (Cese) dans son rapport publié le 11 janvier, n’est pas tout rose. Ajoutez à cela une défiance massive envers les politiques et les institutions représentatives qui témoigne d’un « sentiment préoccupant d’abandon », des mots-mêmes de Bertrand Coly, l’un des deux rapporteurs de l’avis.

Une jeunesse « invisible »

Le texte continue de dessiner un tableau un peu sombre de cette jeunesse des campagnes qui souffre en silence. Très documenté, il a débouché sur un avis voté le même jour à l’unanimité sur « La place des jeunes dans les territoires ruraux ». En plus de tirer la sonnette d’alarme sur la situation des 15-29 ans qui vivent en dehors des grands centres urbains, les rédacteurs de l’avis font des propositions pour améliorer le quotidien de cette jeunesse « invisible ».

Une invisibilité favorisée d’abord par le « manque de chiffres qui croisent jeunesse et territoires ruraux », regrette Danielle Even, rapporteure de l’avis. Si les territoires ruraux sont divers — périurbains, littoraux peu denses, montagnes… — ils possèdent des caractéristiques communes : faible densité, importance des espaces naturels et éloignement des services.

Le rapport donne pourtant aussi des raisons d’espérer. De multiples témoignages montrent que de nombreux jeunes sont attachés à leur territoire et souhaitent « vivre et travailler au pays », ce que de meilleurs taux d’emplois semblent confirmer. Ainsi, 59 % des jeunes ruraux ont un emploi contre seulement 49 % des jeunes urbains. Une donnée tout de suite tempérée par le pourcentage plus élevé de jeunes domiciliés dans les cantons ruraux qui ne sont ni en emploi ni en formation : 24,4 % contre seulement 20,8 % des jeunes en zone urbaine.

Les différences entre hommes et femmes sont particulièrement fortes dans les espaces ruraux. Parmi les demandeurs d’emploi de moins de 25 ans en zone de revitalisation rurale (ZRR), 61 % sont des femmes contre 50 % en moyenne en France métropolitaine.

Confiance dans les relations de proximité

Point fort traditionnel des campagnes, la facilité relative de l’accès au logement participe de l’attractivité des espaces ruraux pour les jeunes. Cependant, l’offre de logements de petite taille y est limitée et la pression immobilière élevée en zones touristiques, littorales ou frontalières. L’offre de services de proximité est souvent insuffisante dans les territoires ruraux, où se posent des problèmes d’accès à la prévention et aux soins, en particulier pour les jeunes manquant de moyens financiers.

La couverture numérique progresse, mais des zones blanches subsistent. Les territoires ruraux sont aussi moins bien dotés en services et en équipements culturels, même si des associations y remédient en partie. Les politiques dites « de jeunesse » se limitent souvent dans les faits à la petite enfance, ignorant presque complètement les plus de 16 ans.

Les jeunes des zones rurales ont, plus qu’en ville, confiance dans les relations de proximité, mais se sentent moins concernés par le sort des « personnes lointaines ». La confiance dans les institutions représentatives a fortement baissé parmi eux. Le cumul des mandats, l’âge des élus ou un sentiment d’abandon lié à la fermeture des services de proximité, notamment publics, peuvent y contribuer. Toutefois, le bénévolat y est plus fréquent que dans les villes (18 % contre 13 % en territoire urbain).

« Les nombreuses auditions que nous avons menées nous ont permis de dresser une typologie des jeunes ruraux, poursuit Bertrand Coly. Il y a ceux qui vivent leur ruralité en mode piège — avec une envie d’ailleurs — ceux qui le vivent en mode refuge — qui s’y sentent protégés — et ceux qui vivent la campagne comme le lieu de tous les possibles et qui vont se projeter sur ces territoires. »


Les préconisations du Cese

Pour favoriser la place de tous ces jeunes dans les territoires ruraux, le Cese fait des préconisations articulées sur trois axes : rendre obligatoire une compétence jeunesse territorialisée, créer des campus ruraux de projets et la signature de pactes jeunes ruraux.

Rendre obligatoire une compétence jeunesse territorialisée

Le rapport préconise de rendre obligatoire au sein des communautés de communes une compétence « jeunesse » (16/29 ans). Celle-ci serait inscrite dans le code général des collectivités territoriales. Pour les sages, c’est à l’échelle des bassins de vie que les solutions les plus efficaces doivent être trouvées, en impliquant les acteurs de la société civile et les jeunes eux-mêmes. Le Cese souhaite que les communautés de communes structurent leurs actions « jeunesse » au sein d’un projet jeunesse de territoire. Cela implique de :
– prévoir un cofinancement du projet jeunesse de territoire (État, CAF, collectivités territoriales), sous la coordination du conseil régional ;
– développer la recherche genrée pour mieux comprendre qui sont les jeunes ruraux, fonder le projet jeunesse de territoire sur un diagnostic territorial partagé impliquant des jeunes ;
– favoriser le renouvellement des responsables en milieu rural en incitant positivement à limiter le nombre de mandats dans le temps. Autoriser l’inscription sur les listes électorales jusqu’à un mois avant les échéances électorales. Améliorer l’information sur la délivrance d’une procuration.

Les campus ruraux de projets

Le Cese propose de mettre en place dans les territoires ruraux un espace dédié à l’innovation et à la conduite de projets. Les campus ruraux de projets seraient consacrés à la création d’activités économiques, sociales, de projets citoyens, culturels. Il s’agirait selon les territoires soit de la création d’un lieu, soit de l’exercice de cette mission d’animation et de portage des projets par une structure locale existante.

Le Cese propose également :
– d’allonger à 29 ans la possibilité d’accompagnement des jeunes par les missions locales, avec une « approche globale » ; simplifier, sans en changer, les critères de la Garantie jeunes ; ouvrir aux jeunes le conseil d’administration des missions locales ; prendre en compte dans l’évaluation et la dotation de celles-ci l’accompagnement des jeunes éloignés ;
– de connecter le campus rural de projets aux acteurs et aux partenaires de la création d’activités : chambres consulaires, chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (Cress), associations de développement économique, services économiques des collectivités territoriales ;
– de développer les mobilités européennes pour tous les jeunes et les échanges entre territoires ruraux et urbains, soutenir les dispositifs entretenant les liens entre jeunes en études et territoire d’origine, créer la possibilité de séjourner en milieu rural pour des jeunes voulant s’y installer ;

Les pactes jeunes ruraux

Afin de rattraper les inégalités constatées, le Cese préconise la signature d’un Pacte jeunes ruraux au niveau national, décliné par territoire via les contrats de ruralité. Ce pacte nécessite la mise en place d’un accompagnement au plus près du terrain, qui implique de développer l’itinérance de beaucoup de services. Mais également de :
– favoriser l’égalité femme/homme en formant à cette dimension les acteurs en charge de la jeunesse et les agents de l’orientation scolaire ; prendre en compte la dimension du genre dans les programmes ;
– renforcer dans les territoires ruraux la diversité des filières de formation dans le secondaire ;
– favoriser la mixité des parcours de formation, rendre possible l’accompagnement vers les formations professionnelles et l’enseignement supérieur via des aides sur le modèle des bourses pour l’accès au logement et au transport. Renforcer les internats et les actions du service public régional de l’orientation pour faciliter la fluidité des parcours ;
– repérer les besoins en logement des jeunes en milieu rural (PLH), inscrire dans le plan départemental pour le logement des jeunes les réponses adaptées au territoire, appuyées sur les acteurs de terrain, les aides d’action logement, les résidences sociales jeunes et les dispositifs d’intermédiation locative ;
– inscrire en milieu rural l’apprentissage du code de la route et du permis de conduire dans certaines structures en charge de jeunes ; développer des centrales de mobilité (covoiturage, autopartage) et des plates-formes de mobilités mettant à disposition des véhicules 4 ou 2 roues si possible électriques prêtés ou loués à bas coût. Aller vers la prise en charge financière des transports en commun pour les jeunes ruraux ;
– favoriser la réalisation de bilan de santé en milieu rural avec un recueil de suivi statistique pour évaluer les déterminants de santé de la population des jeunes.