À 7 heures, sa camionnette jaune est déjà prête. Laurence Mortez se rend d’abord à la cuisine centrale de La Bastide-de-Sérou où l’attendent les plateaux du jour. « J’arrive au bureau à 6 h 45. Je charge la voiture, les bacs de glace et je pars. Il faut une vingtaine de minutes pour atteindre la cuisine centrale, puis au moins quarante pour livrer la première personne. Ma tournée dure entre 4 et 4 h 30, selon l’envie des papis et mamies de bavarder. »

Mission de portage de repas

Depuis mars, c’est son nouveau quotidien. Auparavant elle assurait la distribution du courrier et des colis sur le secteur Mazères-Saverdun, en bordure de la Haute-Garonne. « Lorsque j’ai su que ce poste se créait, j’ai aussitôt candidaté. » Cette nouvelle mission fait suite à la cession de la presta­tion par la communauté de communes à La Poste.

Ce jeudi 16 octobre, elle ne livrera que 7 per­sonnes sur les 14 inscrites. Certaines sont hospita­lisées ou séjournent chez des proches. La plupart des destinataires sont âgés de 80 ans et plus et sont souvent accompagnés par des auxiliaires de vie, des infirmières et des aides-soignantes. Beaucoup vivent seuls, d’autres en couple, mais tous par­tagent une réalité : l’autonomie qui s’effrite.

Laurence Mortez, factrice, livre chaque matin des repas pour la communauté de communes du Couserans-Pyrénées, dans les Pyrénées ariégeoises. Elle récupère les plateaux-repas concoctés à la cuisine centrale de La Bastide-de-Sérou, en Ariège.
Laurence Mortez, factrice, livre chaque matin des repas pour la communauté de communes du Couserans-Pyrénées, dans les Pyrénées ariégeoises. Elle récupère les plateaux-repas concoctés à la cuisine centrale de La Bastide-de-Sérou, en Ariège. © Fatima Souab

La première livraison se fait à Montardit. La maison est plongée dans un silence complet. Laurence gare son véhicule, ouvre le coffre, prend un plateau à la main et pénètre à l’inté­rieur : ici, les portes sont laissées ouvertes. «Il y a là une dame qui dort. J’entre doucement pour ne pas la réveiller. Un jour, elle m’a fait peur. Je ne m’attendais pas à la voir. C’est la seule fois où je l’ai vue. »

Elle dépose le plateau dans la cuisine. Elle en profite pour jeter un œil autour. Rien à signaler. « Un volet fermé, une anomalie… le moindre signe inhabituel nous alerte. En cas de doute, on appelle les pompiers. »

Des vieux isolés dans les territoires ruraux

Au fil de la tournée, elle ne voit pas tous les bénéficiaires. Plusieurs restent au lit, inca­pables de se lever seuls ; ils attendent les infir­miers et les aides-soignantes, qui les aideront à se mettre debout, à s’alimenter et à effec­tuer leur toilette. « Au début de la mission, je livrais une centenaire que je ne voyais jamais. Elle dormait tout le temps. Je mettais le plateau dans le frigo. Un jour sa fille m’a informée de son décès. C’est le risque du métier. »

À Barjac, le bénéficiaire suivant n’est pas là. « Il m’avait prévenue. Il s’est rendu à l’hôpital de jour pour participer à des activités. Il suit aussi un atelier pour gérer son diabète. » L’homme s’ap­prête à quitter le village. « Une assistante sociale lui cherche un logement dans la ville la plus proche. Ici, il est éloigné de tout. »

Entrer chez les gens n’a rien de nouveau pour cette factrice originaire de l’Aude qui a com­mencé ainsi il y a trente ans. Elle s’en souvient encore. C’était au cours d’un job d’été dans un village. « J’étais très timide. J’ai été obligée d’aller vers les autres. Comme souvent, il n’y avait pas de boîtes aux lettres, je remettais directement leur courrier aux habitants. » L’expérience l’avait convaincue de passer le concours de La Poste. Puis elle a travaillé à Paris. En 2002, Laurence s’est installée dans l’Ariège, à Crampagna, un village de 952 habitants.

Un métier de contact

Elle renoue ainsi avec les fon­dements de son métier. « Je prends davantage le temps de discuter même si je ne peux pas rester une demi-heure avec chacun. Je retrouve le lien social qui était à la base de mon travail. J’ai le sentiment d’être utile. Certains n’ont pour seuls contacts avec l’extérieur que le facteur et l’infirmière. Ici, à l’isolement s’ajoute la solitude. »

Le portage de repas lui fait aussi du bien. Son genou au ménisque abîmé souffre moins et elle dort mieux. « Avant je descendais 400 fois par jour de voiture, parfois pour livrer des radia­teurs de trente kilos, des matelas… J’ai­mais ce que je faisais, mais je devais ménager mon corps. J’ai de l’arthrose partout. Je vieillis aussi. »

Laurence traverse discrètement la vie de ses bénéficiaires. « Ça leur fait du bien, dit-elle simplement. S’il n’y avait pas le système des plateaux-repas et l’accompagnement apporté par le corps médical et les aides-soignants, beaucoup seraient obligés d’aller en maison de retraite. »

Paul Bouin attendait ce jour-là la factrice sur le pas de porte de sa maison. Il avait du mal à fermer ses volets. Laurence a accepté de lui donner un coup de main.
Paul Bouin attendait ce jour-là la factrice sur le pas de porte de sa maison. Il avait du mal à fermer ses volets. Laurence a accepté de lui donner un coup de main.

Messagère de l’autonomie

Certains bénéficiaires l’attendent pour papoter quelques minutes, d’autres pour un petit coup de main. Ce matin-là, à Sainte-Croix-Volvestre, Paul Bouin, gêné par ses volets qu’il n’arrive pas à fermer, l’at­tend devant sa porte. Il se tient à son déambulateur.

Laurence rabat les volets pour lui. La veille, elle l’avait surpris en train d’essayer de décrocher, à l’aide d’une perche, un nid de frelons morts suspendu au toit de sa maison. Il n’avait pas craint la chute. Elle s’en était alors aussitôt occupée. « Ce n’est pas mon rôle, mais c’est humain. »

Une aidante pour les aidants familiaux

Stéphanie Bély, aide-soignante, s’est spécialisée dans le soutien aux aidants familiaux. « J’interviens à Fabas et aux alentours, explique-t-elle. Il y beaucoup de demandes de la part des familles. Les aidants sont en souffrance. On ne peut pas les laisser seuls à se débrouiller. Il faut leur permettre de souffler pour mieux s’occuper ensuite de leur proche » Elle travaille en collaboration avec le cabinet d’infirmiers installé à la mairie de la commune. Ce sont les infirmières qui ont indiqué à Simon Bavard qu’il pouvait bénéficier d’une aide-soignante. « C’est l’exemple type. Après la chute de sa femme, il était obligé de rester enfermé. C’est souvent le cas des aidants qui deviennent sédentaires et se coupent de toutes vie sociale. Grâce à ce soutien, ils peuvent sortir à nouveaux. » 

D’autres sont particulièrement attachants, comme Simon Bavard, 81 ans, toujours plein d’énergie, le cœur soutenu par un stimulateur cardiaque. Cet agriculteur à la retraite vivant à Fabas a eu mille vies et exercé une multitude d’activités : éleveur, maire, expert en assurance, délégué à la Mutualité sociale agricole (MSA)…

Boute-en-train et inépuisable en anec­dotes, il dégaine toujours une blague. Un vrai pince-sans-rire. « On ne s’en­nuie jamais avec lui, sourit Laurence. J’aime boire le café en sa compagnie car il raconte plein d’histoires. C’est pour ces rencontres-là que j’aime mon métier. »

Simon Bavard, grande personnalité de Fabas, une commune rurale de 353 habitants dont il a été longtemps le maire, se félicite du passage de cette factrice particulière qui assure un service de portage des repas. Pour ce retraité de 81 ans et sa femme, son passage est essentielle.
Simon Bavard, grande personnalité de Fabas, une commune rurale de 353 habitants dont il a été longtemps le maire, se félicite du passage de cette factrice particulière qui assure un service de portage des repas. Pour ce retraité de 81 ans et sa femme, son passage est essentielle.

Un besoin des autres

Simon prend soin de sa femme immobilisée dans un fauteuil après une double fracture des hanches. « Il faut toujours quelqu’un pour l’aider, indique-t-il. Des infirmières viennent la laver tous les jours et lui prodiguer des soins. » Une aide-soignante dédiée aux aidants familiaux accompagne Simon depuis quelques semaines, ce qui lui permet de vaquer à ses activités en toute tranquillité.

Car l’intrépide de 81 ans continue d’être expert judiciaire en dégâts de gibier pour le compte de la fédération des chasseurs de l’Ariège. L’idée est d’indemniser les agri­culteurs qui subissent des dégâts dans leurs champs. « J’évalue, j’étudie et je fais signer un dossier pour l’indemnisation. C’est plus une occupation qu’un travail. »

Entre confidence et autodérision, il reconnaît : « J’ai eu peur de me retrouver dans une cuisine toute la journée à ne rien faire. Là, je vois du monde. En plus, ma diabétologue me demande de faire tra­vailler la tête et mon cardiologue de pra­tiquer de la marche. J’ai interdiction de m’affaler devant la télévision. »

Simon ne tarit pas d’éloges sur le portage de repas. « Pour les per­sonnes âgées, c’est un repère. La por­teuse est passée ou non. Pour Madame, par exemple, c’est essentiel. »

Des plats copieux

Les plats proposés tiennent compte des habitudes alimentaires des bénéficiaires. Chaque plateau-repas comprend un potage, une entrée, un plat principal (viande, poisson ou pâtes), un fruit et un fromage. Tout est confectionné par la cuisine centrale de Communauté de communes Couserans-Pyrénées, qui mise sur les circuits courts. Le vendredi des plateaux pour le samedi et dimanche sont proposés. « Certains n’en veulent pas ; d’autres ne prennent que le plateau du samedi, car ils reçoivent de la famille le week-end, précise Laurence Mortez. Les personnes seules les acceptent tous. » Pour bénéficier de ce service les personnes intéressées doivent passer par la mairie et la communauté de commune.