« Quand on mange du miel, c’est comme si on mangeait un paysage. » Si cette phrase pleine de sens est devenue le slogan de Lumière d’abeilles, ce n’est pas pour rien.
Aux pieds des Pyrénées ariégeoises, les butineuses d’Élisa Blanchard et Lucie Hotier, apicultrices, ont à leur disposition les belles prairies fleuries et les forêts verdoyantes du parc naturel régional… Elles y récoltent le nectar qui donnera un miel aux saveurs uniques, une fierté pour ces deux femmes amoureuses de leur métier.
Pour obtenir ce liquide doré à la texture crémeuse, elles usent de quatre principes : le temps, le travail, le respect et une méthode d’extraction ancestrale : la presse.
Une technique douce
Dès le départ, l’idée de presser le miel s’est imposée à elles. Élisa découvre cette technique ancienne auprès de l’apiculteur qui lui apprend le métier.
« En goûtant le miel pour la première fois, on s’est dit que c’était absolument génial. Et il y a beaucoup d’avantages. C’est une méthode très douce. Une centrifugeuse, utilisée couramment en apiculture, fonctionne à 2 000 tours par minute à plein régime. Notre presse fait seulement 4 tours par minute ; ça n’a rien à voir. Ainsi, le miel ne va pas s’éventer, s’émulsifier : les arômes restent à l’intérieur. C’est d’ailleurs très parlant quand on rentre dans une miellerie où une centrifugeuse est en action, ça sent bon le miel. Chez nous très peu. »
Un miel le plus proche possible de ce que les abeilles fabriquent
Autre intérêt important : disposer d’une cire pure en autosuffisance.
« La base du nid, c’est la cire. Dans l’apiculture moderne, on veut gagner du temps, on donne directement de la cire toute faite aux abeilles. Presser permet d’en récupérer 10 % par rapport à la quantité de miel produit, contrairement à une centrifugeuse qui n’en restitue que 2 %. Cette cire-là, on la refond, la refait gaufrer, c’est-à-dire qu’on va refaire des feuilles avec la trame des alvéoles, puis on la restitue aux abeilles dans le corps de ruche. C’est aussi une façon de respecter leur cycle physiologique, en les incitant à bien passer par l’étape de fabrication des rayons. Grâce à cela, nous n’avons jamais acheté de cire à l’extérieur, et celle que nous récoltons n’a que quelques semaines. »
Un investissement qui peut en effet être coûteux, pour une cire dont les conditions de production ne sont pas forcément connues. « Ce corps gras, c’est un peu la mémoire de la ruche, ça capte tout : les bonnes odeurs des fleurs mais aussi la pollution, les pesticides… et on sait qu’entre le miel et la cire, des transferts se font. Jeune et pure, elle n’a ainsi pas accumulé des tas de molécules. On aime cette idée de proposer un miel qui soit le plus proche possible de ce que les abeilles fabriquent. »
Un travail manuel long et fatigant
Installé depuis 2012 à Fabas, petit village de l’Ariège, le couple a démarré avec une vingtaine de ruches, pour arriver dix ans plus tard à 350, avec un rendement de 4 à 5 tonnes par an, soit environ 10 000 pots de 500 grammes. Pour améliorer leur cadence et réduire la pénibilité, les jeunes femmes ont eu besoin de moderniser leur outil de travail. C’est avec cet objectif en tête qu’elles ont participé à l’appel à projets Terres d’idées en 2021.
« Notre presse est solide et fait très bien le boulot, le problème est que lorsqu’elle est à plein régime, il faut être trois autour pour avoir un rythme optimal et aussi efficace qu’une personne seule avec une centrifugeuse. Ce qui n’est pas facile pour nous, raconte Élisa.
La première étape, la découpe des cadres, se fait à la force des poignets. Ensuite, on déchiquette le cadre en morceaux grossiers afin que le miel s’écoule un maximum avant de se retrouver dans la presse. Avec tout ce travail manuel, on se fait mal… et ce n’est pas plaisant parce que c’est très très long. »
4 à 5 tonnes de miel par an
Après d’innombrables heures passées près de la machine au fil des ans, l’apicultrice a réfléchi à comment gagner en efficacité lors de cette phase de préparation, et surtout à moins se fatiguer. L’idée est de mécaniser la manipulation grâce à un bras de levier, décuplant la force, afin de découper les cadres à l’aide d’un emporte-pièce. « Nous sommes pratiquement les seules à faire du miel pressé à cette échelle ; personne ne s’est penché sur ce problème. Il faut donc créer cet outil. »
Grâce à la subvention de 7 000 euros de Terres d’idées, elles ont fait appel à un artisan local avec qui ils construisent ce projet de A à Z, en prenant en compte toutes leurs contraintes et leurs attentes. Un premier prototype est en cours de réalisation et pourra être testé au printemps, pour la prochaine récolte. Elles en profitent également pour réévaluer leur espace de travail en fabriquant une grande table, où ce futur levier viendra s’intégrer, afin que le miel ait le temps de s’écouler d’un cadre à l’autre.
Si la patience est encore de mise, et elles en connaissent un rayon, elles placent dans cette petite innovation de grands espoirs. « Ce que nous aimerions à terme, c’est que d’autres apiculteurs puissent adopter la même méthode et nous rendre plus visibles. Faire la promotion du miel pressé serait beaucoup plus facile à produire ensemble qu’individuellement. Nous faisons du bon miel, il faut que tout le monde en profite ! »
« Qui sait déguster ne boit plus jamais du vin, mais goûte des secrets. » C’est cette promesse empruntée à Salvador Dali qu’Élisa et Lucie entendent offrir en guise d’expérience, attachées à la lenteur et au respect du travail de nos amies pollinisatrices.