Un bois local utilisé pour la construction
S’agit-il des effluves du bois issu des forêts de Maîche utilisé pour construire la charpente du bâtiment ? De l’engagement sans faille des bénévoles tout au long de la progression du projet et des réunions citoyennes qui l’ont jalonné ? De la vision à long terme des partenaires publics et privés ou encore le visage accueillant des salariés ?
Autant de raisons qui font que le visiteur ressent de très bonnes ondes en pénétrant dans les locaux de la recyclerie de cette commune du Doubs de 4 200 habitants, située à une heure de Besançon, de Pontarlier et de Montbéliard.
Avec ses 100 kWc de panneaux photovoltaïques sur le toit, l’édifice à énergie positive, qui sent encore le neuf, envoie des ondes vertes comme les prairies où paissent les fameuses montbéliardes dont le lait donne le comté qui fait la renommée et la richesse de cette région. Il possède aussi toutes les couleurs de la solidarité et de l’engagement.
Ouverture au public le 19 mai
La recyclerie a ouvert ses portes au public le 19 mai en faisant le plein dès la première journée. Pour l’accueillir, Aimé, Virginie, Émilie, Tatiana et leurs collègues étaient à leur poste, affairés au dépôt, au tri, en rayon ou à la caisse et prodiguaient leurs conseils aux clients avides de bonnes affaires. Ils sont arrivés sur proposition de leur conseiller Pôle emploi, de la mission locale ou d’une assistante sociale. Ils sont neuf travailleurs, âgés de 25 à 58 ans, à avoir signé un contrat à durée déterminée d’insertion de quatre mois renouvelable pendant deux ans. Le temps de reprendre confiance en eux, de se former et de rebondir. Car en plus de redonner une seconde vie aux vieux objets, oubliés au fond des grandes armoires franc-comtoises, l’objectif de la structure est aussi de donner la possibilité à des personnes éloignées de l’emploi de remettre un pied à l’étrier. Un accompagnement socio-professionnel est prévu tout au long de la durée de leur contrat afin de les orienter vers un emploi durable.
Après six ans de chômage, je finissais par me dire que la vie n’avait aucun sens.
« Après six ans de chômage, je finissais par me dire que la vie n’avait aucun sens. » Les paroles de Virginie sont puissantes et tranchent avec la douceur de sa voix et son joli sourire que l’on perçoit derrière le masque imposé par les conditions sanitaires. Cette Maîchoise de 37 ans mesure pleinement la chance qu’elle a d’avoir été l’une des premières embauchées.
« Je suis heureuse d’avoir retrouvé un rythme de travail, des collègues avec lesquels je m’entends bien et d’apprendre de nouvelles choses tous les jours. Que l’on me donne ma chance et que l’on me laisse la possibilité de gagner ma vie a pour moi une valeur inestimable. Travailler ici me permet aussi d’être moins dépendante de mes parents car vivre chez eux à mon âge n’est pas une chose facile, ni pour eux, ni pour moi. Le bois qui a servi à construire le bâtiment vient de la forêt située juste derrière la maison que j’habite », explique-t-elle fièrement.
La dimension sociale du projet a d’abord plu aux jurés de l’appel à projets Inclusion & Ruralité, lancé conjointement par l’État et la MSA. Il a pour objectif de susciter l’implantation de structures inclusives en zones rurales isolées. Le suivi opérationnel est assuré par Laser emploi, association MSA qui a pour vocation de promouvoir l’emploi et les services dans les territoires ruraux.
La dimension environnementale et citoyenne a fini de conquérir le cœur des jurés. La création d’une recyclerie sur le plateau de Maîche visant à éviter à 200 tonnes d’objets divers de se retrouver en déchetterie ou pire dans la nature, est une nécessité au moment où nous prenons collectivement conscience de l’impact exorbitant de notre consommation sur les ressources de la planète et où la règlementation sur la gestion des des déchets verdit à grande vitesse.
Petit retour en arrière sur l’origine du projet. La recyclerie est d’abord née de la volonté de la communauté de communes du pays de Maîche et de l’établissement public pour la prévention et la valorisation des déchets dans le Haut-Doubs (Préval Haut-Doubs), propriétaire des locaux et auquel l’association paie un loyer.
Ils ont perçu l’intérêt collectif de créer localement une activité nouvelle qui permet de recycler ou valoriser les objets oubliés dans les placards locaux, en les nettoyant, en effectuant une petite réparation, et en les proposant à la vente. C’est ainsi qu’une étude sur le potentiel de développement d’un tel service sur le territoire débute en 2015. Menée en lien étroit avec les acteurs du réemploi implantés localement, elle démontre la pertinence de la création d’une recyclerie à Maîche, idéalement dans un secteur géographique proche de la déchèterie. Elle a pour vocation de capter plusieurs centaines de tonnes d’objets qui y sont déposés ou collectés à domicile. L’enjeu est de limiter le gaspillage et de diminuer la quantité de déchets, en orientant les objets encore en bon état vers une filière locale de réemploi et revente.
La prospérité du voisin suisse
La particularité du projet est de mixer les considérations environnementales avec une dimension sociale forte en venant combler un trou dans la raquette de l’arsenal de lutte contre la précarité, symbolisé par l’absence d’atelier d’insertion sur ce territoire enclavé et pauvre en transport collectif. Car derrière le paysage de carte postale se cache une réalité moins idyllique. La proximité et la prospérité du voisin suisse, dont la frontière se trouve à seulement quelques dizaines de kilomètres et qui fait la richesse des frontaliers, provoque également un phénomène de « vie chère » qui précarise les plus fragiles et les plus éloignés de l’emploi. Avec un salaire médian de 5 698,55 euros en 2020 (source Insee), les Helvètes ou les Français qui travaillent chez eux ont un salaire deux à trois fois supérieur aux standards tricolores.
Avec un Smic français, on a du mal à vivre correctement ici
Victor Barthoulot, bénévole et trésorier de l’association qui a participé aux réunions citoyennes organisées autour du projet depuis l’été 2019, confirme : « Avec un Smic français, on a du mal à vivre correctement ici. Ce qui m’a fait m’engager est d’abord l’aspect insertion par le travail du projet, et je me suis ensuite passionné pour le recyclage des objets », explique cet ingénieur à la retraite.
« La mise en place de cet appel à projets répond à un triple enjeu : rééquilibrer l’offre d’insertion sur le territoire national, adresser la problématique de l’éloignement à l’emploi et de la pauvreté rurale et participer à la dynamisation et au développement économique des territoires ruraux isolés, souligne Laura Bourdin, chargée de mission au sein du service action sanitaire et sociale à la MSA de Franche-Comté. L’engagement citoyen est fort autour de Re Bon qui va également permettre de créer une vraie dynamique territoriale, avec la création d’ateliers d’échanges de compétences. Cela va beaucoup plus loin qu’un simple projet qui consisterait à récupérer des objets, à les réparer puis à les vendre. »
« La recyclerie fédère autour d’elle et provoque une vague d’enthousiasme de la population locale, des plus jeunes aux plus anciens, qui jouent le jeu du don d’objets, qui fréquentent la boutique ou proposent leurs services en tant que bénévoles, se félicite Jean-Marc Lerat, président de Re Bon, ancien chef d’entreprise et maire d’une commune de 250 habitants, Plaimbois-du Miroir, située à 17 km de là. Ils ont été par exemple plus de 400 à voter pour baptiser l’association. »
« La richesse d’une entreprise, c’est d’abord les femmes et les hommes qui y travaillent, poursuit-il. Nous accueillons des personnes pleines de ressources, qui n’ont souvent besoin que d’un coup de pouce pour se remettre en selle. La preuve, la première d’entre elles a déjà trouvé un travail. Lydie a été embauchée par un atelier de maroquinerie de luxe de la région après une période de formation. Nous avons déjà une deuxième piste sérieuse pour un autre de nos travailleurs dans une entreprise toute proche. »
À proximité de la recyclerie, des troupeaux de montbéliardes, appréciées notamment pour la fabrication de fromages célèbres (comté, morbier, bleu de Gex ou encore mont-d’or). L’autre star locale, le Comtois, est une race de chevaux de trait de taille moyenne, propre à la Franche-Comté.