Ils étaient 100 la première année, 130 la deuxième. Voici 170 gilets jaunes réunis pour cette troisième édition.

Huit heures du matin. La salle des fêtes située en cœur de bourg connaît une affluence inhabituelle à cet horaire matinal. 28 groupes représentant autant de chantiers se forment dans un joyeux brouhaha. Chaussés de bottes ou de baskets, les habitants de cette commune sarthoise de 1 059 âmes, située à quinze minutes et à un seul feu rouge du Mans, ont tous bravé le brouillard pour venir écouter Éric Bourge, leur maire, passer en revue son armée de bonne volonté.

« La Guierche joue aujourd’hui humblement son rôle d’ambassadrice de la journée citoyenne. Cette action est une réponse au pessimisme ambiant, aux dépenses publiques contraintes des collectivités locales et au manque de communication entre les habitants de nos communes rurales », présente l’édile. Un constat réaliste et plus que jamais d’actualité fait dix ans auparavant par Fabian Jordan, le maire de Berrwiller, une commune alsacienne proche de Mulhouse, à l’origine du concept.

Amélioration du cadre de vie

Le principe : chaque année, le temps d’une journée, les habitants d’une commune ou d’un quartier se mobilisent bénévolement pour réaliser des projets qu’ils ont eux-mêmes proposés (amélioration du cadre de vie, rénovation d’équipements, valorisation de l’histoire et du patrimoine, contribution aux projets associatifs, culturels…), dans des lieux symboliques utiles à tous. Elles sont aujourd’hui 1 000 communes en France à faire de la politique autrement, en misant sur l’intelligence collective et l’envie de faire ensemble de leurs concitoyens. La plus petite ne compte que vingt habitants. Loin, très loin de la plus grande : 180 000.

La MSA, particulièrement sensible à l’implication des habitants sur leur territoire, soutient cette action dans le cadre de son partenariat avec l’observatoire décentralisé de l’action sociale (Odas).

Certains projets sont ambitieux, comme la pose d’un pont réalisé entièrement par des habitants du village.

Pas de temps à perdre. Jean-Pierre, 59 ans, et James, 61 ans, se sont tout de suite mis à la tâche. Les deux hommes font connaissance en même temps qu’ils peignent un panneau invitant les automobilistes à réduire leur vitesse à l’entrée des « Beaux jours », quartier situé à la sortie de la commune. Presque voisins, ils possèdent tous les deux une résidence secondaire dans un hameau tout proche, mais ne se connaissent pas. « Je trouve ça normal de donner un peu de temps pour la commune, confie Jean-Pierre. Ça permet aussi de nous rencontrer. Il faudrait que ça devienne une journée nationale. »

Un peu plus loin, Yves et Marianne, mari et femme, respectivement 60 et 57 ans, mettent également la main à la pâte. Elle est employée d’immeuble. Il est chauffeur. « On est en train de construire un abri pour les petits vélos des enfants de la maternelle », explique Marianne qui jette un regard inquiet en direction du tas de bois empilé et appelé à se transformer en refuge pour deux-roues. Le montage de l’abri ressemble à un casse-tête géant. Heureusement, ils forment une équipe très efficace avec Kevin, 32 ans, professeur de mathématiques, et Anthony, 44 ans, responsable qualité.

Véronique, 48 ans, la présidente du syndicat intercommunal à vocation scolaire, donne également un coup de main. « Vous avez prévu des agrafeuses ou des grosses pointes ? », interroge Yves en cherchant un outil à l’arrière de sa 205 rouge, dont il a transformé le coffre en caverne d’Ali Baba pour bricoleur. L’expertise de ce « bricol’tout » ne sera pas de trop ! La journée permet également de partager des compétences.

« Les gens ne se disaient plus bonjour dans le village », regrette Jacky, jeune retraité de 62 ans, affairé à créer une allée pour permettre aux enfants de l’école de se rendre jusqu’aux jeux de plein-air, en évitant la case gadoue. « J’adore cette journée car, grâce à elle, on fait enfin connaissance de personnes qu’on croise presque tous les jours. » Il est accompagné de Michel, le coiffeur à la retraite, et de Dominique, électromécanicien également retraité.

Certains projets sont ambitieux, comme la pose d’un pont, réalisé entièrement par des habitants du village ; d’autres, éco-responsables, comme la fabrication de nichoirs pour hirondelles ou d’un très confortable hôtel à insectes. M. et Mme Bourdon sont très attentifs à la qualité de l’accueil… À La Guierche, ils seront dorénavant reçus avec égard.

Une bergerie pour loger moutons et chèvres

Un projet est plus particulièrement attendu par les enfants de la commune : l’aménagement d’une bergerie pour loger moutons et chèvres qui serviront à l’entretien des espaces verts, une tonte garantie sans moteur thermique. Utiles à tous, le débroussaillage et le défrichage des abords d’un cours d’eau feront le bonheur des pêcheurs et des promeneurs du dimanche.

Aline et Véronique s’activent du côté de l’atelier numéro 27. Pas question qu’un seul détritus ne traîne dans les rues à la fin de la journée. « Je trouve La Guierche de plus en plus propre, constate Véronique. On avait récolté onze sacs l’an passé. On sera plutôt autour de cinq cette année. » La preuve que le message est bien passé.

En se rendant d’un chantier à l’autre, on croise Yves et… Yves. L’un transporte l’autre, plus âgé, dans sa voiture : deux calèches et autant de voitures électriques ont été affectées au transport des anciens du village.

« L’atelier numéro 3 me tient particulièrement à cœur, explique le maire. L’atelier solidarité consiste à aller chercher les anciens de la commune pour leur faire découvrir l’ensemble des chantiers. » Odette, 89 ans, même si elle se déplace à l’aide d’une canne, a donné de son temps, en désherbant un jardin près de l’église. Cela ne l’empêche pas de rejoindre sa copine Thérèse, 85 ans, pour profiter d’un tour de calèche. Thomas, Nicole, Christian et Danièle tiennent les rênes de Brise et Isaura, deux magnifiques Cob normand qui n’ont pas ménagé leur peine pendant toute la journée.

Un peu plus loin, ils sont une dizaine à peindre, poncer et redonner une deuxième jeunesse à une bâtisse appelée à devenir la nouvelle bibliothèque municipale. Les compétences de Gérard, 65 ans, et son diplôme dans le bâtiment sont mises à contribution.

George, 93 ans, a toujours un bon coup de râteau

« Donner un coup de main est naturel pour moi », explique l’ancien pompier. Il coordonne une équipe qui se donne à fond : Émilie, en charge de la culture dans l’équipe municipale, Karine et Suzie, sont en train de décoller le papier peint. Gisèle a la tête dans les parterres de fleurs. Elle se bat avec le liseron. Elle est sur le point de gagner la bataille. « Cette journée permet de rassembler les habitants du village dans un but commun. On partage des idées et des astuces pour se faciliter la vie », confie l’ancienne employée de chez Orange et as du jardinage. Florian, 20 ans, Thomas, 25 ans, Léa, 9 ans, et Martine, 69 ans, ont les mains dans le terreau. Grâce à eux, l’opération fleurissement est un succès.

C’est outil en main que l’on rencontre, George, 93 ans. Le doyen des hommes de la commune a toujours un bon coup de râteau. Même l’averse qui gronde ne décourage pas cette figure locale. Frédéric, agriculteur, n’a pas hésité à mobiliser tracteurs et engins agricoles de son exploitation pour que le nouveau chemin de promenade et son petit pont situés en bordure de la Sarthe soient fin prêts au terme de la journée.

La commune ne peut pas tout faire

« On cherchait un projet permettant d’associer la population, le personnel municipal et les élus dans une démarche de co-construction, lorsque nous nous sommes rendu compte que ce que l’on voulait faire ici existait déjà dans une commune alsacienne. Nous avons contacté Fabian Jordan, le maire de Berrwiller, qui nous a aidés à monter cette journée citoyenne à La Guierche. Nous en sommes maintenant à la 3e édition et le succès est fort chaque année. Nous sommes un village attractif, notamment pour les jeunes. Il possède une halte TER et se trouve à seulement quinze minutes du Mans. 80 % des habitants travaillent au Mans. Nous essayons de conserver un équilibre entre maintien des exploitations agricoles et nouveaux habitants. Avec une journée comme celle-là, les gens se réapproprient leur commune. Ils font connaissance avec les nouvelles têtes. Cela crée une dynamique positive. On fait tomber les barrières. À ceux qui sont un peu renfrognés et disent qu’ils payent déjà assez d’impôts, on leur explique gentiment que ce ne sont pas les agents techniques qui vont fabriquer des nichoirs à oiseaux. Il faut parfois savoir un peu bousculer ses habitudes. Ce qui est fait pendant cette journée, c’est uniquement du plus. De la même façon, elle nous permet de développer des projets innovants, comme l’éco-pâturage qui va permettre d’entretenir les espaces publics grâce à des chèvres et des moutons. Les économies générées grâce aux deux précédentes éditions ont également permis de financer la construction d’un terrain multi-activités qui, sans cela, n’aurait pas vu le jour. »

Didier Lesueur, directeur général de l’observatoire décentralisé de l’action sociale (Odas)

« Les maires et les élus locaux sont les mieux placés pour permettre aux gens d’apprendre à se connaître. Il y a dix ans, on a découvert l’initiative du maire alsacien Fabian Jourdan, qui expliquait : « Je ne me satisfais pas de l’indifférence croissante de mes concitoyens les uns envers les autres. » Il invente la journée citoyenne. Les activités sont un prétexte pour se parler, s’apprivoiser. On découvre des talents. Cette journée, c’est la liberté de participer ou de ne pas participer. L’égalité : quelles que soient ses capacités, on va tous enfiler un gilet jaune pour faire la même chose que ses voisins. La fraternité, c’est une construction, quelque chose qui se cultive mais ne se décrète pas. On permet avec ce genre de journée de mettre un contenu palpable sur la devise républicaine. »

Jean-Louis Sanchez, délégué général de l’Odas

« Cette journée nous montre que la France n’est pas un pays fatigué, mais une nation pleine de ressources. C’est toute la société qui est en mouvement. Quels que soient leur appartenance politique, leur religion, leur profession ou leur âge, les gens se retrouvent pour regarder dans la même direction. Elle a également la faculté de faire ressurgir les invisibles, ceux qui n’ont pas habituellement la parole dans l’espace public. Ce qui leur permet de prendre confiance dans leur valeur. On voit bien ici que si la liberté et l’égalité sont l’affaire de l’État, la fraternité, elle, est bien l’affaire du local. »

Photos : © Alexandre Roger/le Bimsa