Cyprien Avenel est chargé de mission analyse stratégique, synthèses et prospective, à la direction générale de la cohésion sociale du ministère des Solidarités et de la Santé. Auteur de Les Nouvelles Dynamiques du développement social (2017), il est intervenu lors d’une journée spéciale DSL organisée par la MSA Marne Ardennes Meuse.
Une stratégie nationale
Le développement social représente de plus en plus une nécessité stratégique portée par les acteurs nationaux. C’est inédit. S’il n’est pas nouveau, notamment pour la MSA, il a acquis aujourd’hui un regain de pertinence pour nos politiques publiques, car le contexte de notre société française a radicalement changé en peu de temps, révélant un certain nombre de limites des politiques sociales traditionnelles. L’idée s’est imposée progressivement qu’il fallait faire autrement, penser, élaborer et appliquer une nouvelle réponse sociale. Cela suppose de réinterroger les postures professionnelles, les pratiques et la façon de concevoir et mettre en œuvre les politiques publiques.
Après la tenue des états généraux du travail social, en 2015, un plan d’action interministériel a été mis en place, ainsi qu’un groupe de travail sur le DSL. Le décret du 6 mai 2017 apporte une définition réglementaire, qui tente de restituer une complémentarité entre l’accompagnement individuel et l’intervention collective, dans une perspective de développement social rural. Il y a aujourd’hui des stratégies de concertation nationale, notamment pour la politique de la ville et la lutte contre la pauvreté. Le développement social est donc une réponse aux défis sociaux d’aujourd’hui. Son but est de répondre aux besoins des populations, différents selon les territoires et les situations individuelles ou familiales.
Le travail social morcelé
Le constat est là : la France est marquée par une fragmentation sociale et des inégalités qui sont de plus en plus territoriales. Et le champ social, par essence, est confronté en première ligne à la brutalité de ces inégalités. Depuis près de quarante ans, on constate une sorte de massification des problèmes socio-économiques, ainsi qu’une diversification croissante des populations concernées par l’action sociale.
De manière générale, le travailleur social a été confronté à une intensification des tâches, notamment administratives, qui se sont empilées les unes avec les autres, à l’image de nos dispositifs. Il est ainsi de plus en plus associé à une image d’exécution de dispositifs, de mesures, plutôt qu’à la créativité, voire même à l’accompagnement, le cœur du métier. La crise économique, qui accroît de façon industrielle les demandes et les attentes, enferme ainsi le travail social dans une logique de réparation, mission fondamentale, mais au détriment d’une approche préventive qui est plus émancipatrice. On est de plus en plus dans un système de guichet, avec une tension forte en termes de résultats chiffrés.
Ce qui entraîne une perte de sens de la mission et laisse aux travailleurs sociaux un relatif sentiment d’impuissance et de solitude. Un malaise se crée, lié à l’écart entre les valeurs auxquelles ont été formés les professionnels et la réalité des pratiques du quotidien. On constate également une perte d’attractivité très nette des organes de formation des métiers du travail social. Processus accentué par la bureaucratisation rampante du secteur, l’empilement des dispositifs, ce qui ne permet pas une politique sociale structurante sur le territoire. Nos politiques sociales sont morcelées.
Redonner du sens
Les solidarités, moteur du développement économique et du bien vivre ensemble. »
Il faut redonner un vrai projet politique au travail social pour redonner du sens à la mission. Et il y a un lien direct entre le sens et l’efficacité : réintroduire du sens dans le travail social est devenu, je pense, l’une des conditions fondamentales de son efficacité. Le défi va être de réarticuler le cœur de métier en France dans une perspective de développement social qui inclut tous les acteurs du territoire. Les expériences menées par la MSA démontrent que le développement social, et le décloisonnement qui en découle, est une vraie stratégie territoriale. Celle-ci consiste à agir sur l’environnement des individus et sur l’individu avec son environnement. N’agir que sur l’individu l’enferme dans ses problématiques individuelles.
L’idée est de réintégrer l’environnement économique et social des personnes dans les réponses apportées par le travailleur social. C’est une conception plus transversale, de telle sorte que l’action sociale, très sectorisée, verticale et dans la réparation, est plus préventive et plus participative. Et ce n’est pas contradictoire avec une approche individuelle. Il ne faut pas confondre développement social et travail social collectif. Le DSL remet au centre du jeu les élus dans le portage politique et stratégique des projets collectifs territoriaux, ainsi que dans le pilotage de l’action publique locale dans lequel la réponse est portée. Cela engendre une mise en synergie des politiques sociales avec l’ensemble des politiques publiques.
Les réponses apportées sont ainsi plus adaptées aux spécificités de chaque territoire et s’appuient sur la mobilisation de leurs ressources et pas seulement de leurs problèmes. C’est valable notamment lors du diagnostic de territoire : il s’agit de ne pas faire simplement le portrait des difficultés qui s’accumulent, car avoir un regard négatif sur une personne engendre des comportements réellement négatifs. Les solidarités, le social, sont encore majoritairement des gros mots, la vision d’un coût, d’une charge. Il faut les remettre à leur véritable place, comme moteurs du développement économique et du bien-vivre ensemble. C’est une affaire de portage politique, dans lequel le travail social peut être le fer de lance du DSL, ce qui repositionne les travailleurs sociaux dans une mission qui n’est pas seulement un modèle clinique. Le social est un gain pour la société, un esprit dynamique de construction du bien commun local.