« Un marché par ici. Ça me surprend de voir ça ! ». Jean-François Dussous s’avance d’un pas timide, mais avec un sourire non dissimulé, sur le stand de fruits et légumes installé Grand rue. Lui, qui passait par là au volant de son véhicule utilitaire relié à une remorque, a bien fait de s’arrêter. En plus d’avoir bavardé quelques minutes, il fait la découverte d’une alléchante moutarde maison fabriquée par une ferme maraîchère de Saint-Saturnin-du-Bois, et repart avec le pot à l’heure du déjeuner. « J’habite le village voisin où il n’y a aucune commodité, confie-t-il. Je connais juste de nom les agriculteurs du coin, c’est l’occasion de goûter leur production. »

Alimentation et lien social

Laurence Valette, fidèle au rendez-vous de Marsais, trouve la démarche cohérente et nécessaire. « On sait tout de suite d’où viennent les produits, on échange entre riverains, soutient-elle. À mon sens, ce type d’action est à imiter dans chaque commune ! »

Ces conversations impromptues illustrent à point nommé la mission que s’est donné le projet itinérant « Popote & Papote » : créer à la fois un point de vente solidaire, pour parler alimentation, et un point de rencontres pour tisser du lien social en zone rurale. Le principe même du marché traditionnel.

Prisé des touristes pour son littoral, le département de la Charente-Maritime possède un arrière-pays bucolique et agricole. Si l’activité économique est davantage trustée par le bord de mer, des habitants se bougent pour faire vivre le reste du territoire.

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Anne Texier, animatrice, présente la démarche aux passants – ici à Marsais en Charente-Maritime – et propose des conseils culinaires.

Porté par le jardin de Cocagne Arozoaar, chantier d’insertion situé près de La Rochelle, et ses partenaires1, le projet a vu le jour fin 2024. « Son objectif est d’organiser des mini-marchés là où il n’y en a jamais eu et où les commerces de proximité manquent », explique Marie-Amour Kpetehoto, coordinatrice du projet d’accessibilité alimentaire.

Collecte fermière

Des ventes de pommes, fraises, salades, poireaux, mais aussi d’œufs, de pains et d’autres produits en bocaux ont ainsi lieu chaque semaine dans les communes de Breuil-la-Réorte, Saint-Mard, Saint-Saturnin-du-Bois et Marsais, identifiées comme prioritaires.

« Dans l’idée de rapprocher producteurs et consommateurs, les denrées vendues proviennent intégralement des villages concernés, indique Anne Texier, animatrice. Nous effectuons une collecte matinale dans les fermes du secteur puis nous installons le marché dans les municipalités impliquées à tour de rôle. » Le tout grâce à un fourgon floqué « Popote & Papote » qui permet de transporter les récoltes du jour et le matériel nécessaire au marché.

Les légumes frais sont collectés le matin chez les producteurs partenaires.

Plus qu’un simple achalandage de légumes et fruits de saison, l’idée est de permettre au plus grand nombre d’accéder à une alimentation de qualité, peu importe ses moyens. « La précarité alimentaire est l’affaire de tous, y compris, voire plus que jamais, à la campagne où les problématiques de mobilité et d’isolement demeurent, souligne Marie-Amour Kpetehoto. À travers le projet, notre mission intrinsèque est de repérer, renouer le dialogue et remobiliser les personnes hors de tout radar institutionnel, notamment celles qui ne sont pas inscrites auprès du service public pour l’emploi. »

Tarifs dégressifs

« Ce n’est pas facile d’aller au-devant de cette population décrite comme “invisible”, de manifester notre intention et d’instaurer un lien de confiance, mais nous espérons que les mini-marchés soient vecteurs d’intégration sociale », livre Anne Texier.

Pour attirer le public, les protagonistes de cette belle aventure ont imaginé des tarifs adaptés, dégressifs, qu’ils veulent accessibles à tous les porte-monnaies. Le tarif « marché » est fixé par le producteur et lui assure une juste rémunération. Le tarif « + 20 % » permet aux clients qui le souhaitent de soutenir le projet en payant un surplus. Et le tarif « - 50 % » est proposé aux personnes ou familles se trouvant dans une situation financière délicate. Aucun justificatif de revenu n’est demandé.

« Le coût des produits locaux ne doit pas être perçu ni constituer un obstacle à l’alimentation, précise Sophie Ruaud, intervenante sociale auprès du centre intercommunal d’action sociale (CIAS) Aunis Sud. Il faut changer les regards sur ces a priori et faire découvrir, partager et transmettre le goût du bien manger. » Ainsi, les marchands ambulants solidaires n’hésitent pas à faire déguster leurs mets et dispenser quelques recettes ou conseils nutritionnels.

Trois tarifs sont proposés aux clients qui payent en fonction de leurs revenus.

Repas partagés

Sur les routes du lundi au vendredi, le petit camion de Popote & Papote ne fait pas que des marchés. Marie-Amour Kpetehoto et Anne Texier consacrent une partie de leur temps à animer l’arrondissement via des ateliers culinaires, de pâtisserie et de jardinage, lotos gourmands, repas partagés ou encore visites de ferme. « Tous nos événements sont gratuits et ouverts à tous, rappellent-elles. Le but est toujours le même : ouvrir la discussion et les échanges pour resserrer les liens. »

Soutenu par la MSA des Charentes, « Popote & Papote » organise également des journées dédiées à la santé avec des professionnels (bilans, consultations). Des animations sont aussi orchestrées dans les écoles, accueils de loisirs et établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Papoter pour mieux s’alimenter.

(1) Le Centre d’animation et de citoyenneté (CAC) de Surgères et le Centre intercommunal d’action sociale (CIAS) de la communauté de communes Aunis Sud.

35 structures accompagnées en France

Créé par la MSA, le programme « Inclusion et Ruralité » vise à accompagner pendant trois ans le développement de structures d’insertion par l’activité économique qui contribuent notamment à la résilience alimentaire des territoires ruraux. Parmi les 35 lauréats de la deuxième promotion de 2024, on dénombre 28 ateliers chantiers d’insertion, une association intermédiaire, cinq entreprises à but d’emploi et une régie de territoire. 

inclusion-ruralite.msa.fr