« Je relève le bas de mon pantalon pour marquer les gens », prévient Vincent Bertrand, agriculteur de 46 ans à Bouvellemont, petit village ardennais. Et ça fonctionne. À la vue des deux prothèses qui ont remplacé à jamais ses jambes, les regards des élèves de 1re conduite et gestion de l’exploitation agricole du lycée de Saint-Laurent, dans les Ardennes, se font mi-gênés mi-interrogatifs.
La journée avait pour thème : « Cohabiter avec une ligne ». Elle s’est déroulée fin septembre sur une parcelle agricole près de Rethel, dans les Ardennes. Sept ateliers pratiques ont été proposés à des lycéens et des exploitants. La MSA Marne Ardennes Meuse, avec la fédération des Cuma (coopératives d’utilisation de matériel agricole) et la chambre d’agriculture des Ardennes, poursuit ainsi son action de prévention des risques sous les lignes électriques. Initiée il y a quelques années avec Enedis (ex-ERDF), elle s’est concrétisée par la signature d’une convention dans les Ardennes.
Le témoignage de Vincent Bertrand a été l’un des moments forts de cette journée. Comme presque tous les jours, il a enfilé sa cotte de travail. La voix posée, le discours clair, le regard à la fois franc et déterminé de ceux qui sont revenus de loin, des personnes qui ont traversé l’enfer et pris du recul sur la vie. Partis travailler à deux avec la Cuma des Crêtes dans les Ardennes l’après-midi du 20 mai 2009, il est le seul à pouvoir rendre compte de ce qui s’est passé ce jour-là.
« J’ai fait l’erreur de sortir de ma machine »
« Je suis là pour témoigner parce que malheureusement je me suis fait avoir. Je le fais d’abord en mémoire de mon collègue disparu. » Vincent Bertrand est l’une des deux victimes de l’accident qui a eu lieu à Vaux-Montreuil dans les Ardennes. En cause : la goulotte de son ensileuse qui a accroché une ligne à haute tension de 20 000 volts traversant le champ sur lequel il récoltait de l’herbe.
Sa vie a basculé au moment où ses jambes sont entrées en contact avec le sol. Il a été électrisé. Derrière, le chauffeur du tracteur, devant la vision du corps de Vincent gisant à terre, s’est précipité à son secours. Il a subi le même sort. Transportés tous les deux à l’hôpital, leur état sera jugé très sérieux. Vincent sera brûlé au deuxième et au troisième degré sur un tiers de la surface de sa peau. « J’ai fait l’erreur de sortir de ma machine. J’ai servi de fusible entre l’ensileuse et le sol. Enfin, tout ce que je vous raconte, c’est ce qu’on m’a dit ensuite. En vérité, je n’ai aucun souvenir de l’accident. »
Son collègue ne sortira jamais de l’hôpital. Pierre est mort un mois plus tard, il avait 62 ans. Pour Vincent, le long combat pour la survie commence, ainsi que sept semaines de souffrance au centre des grands brûlés de Metz. Il subira une première amputation, huit jours après, puis une seconde un mois plus tard. « Aujourd’hui, mes prothèses me permettent de vivre à peu près normalement. » Il a fait le choix courageux de reprendre son métier d’agriculteur et se déplace régulièrement pour témoigner et transmettre le message que le danger est réel mais qu’avec des gestes de prévention simples, on peut éviter l’accident. Pourtant, pendant sa très longue convalescence, il s’est posé la question : vais-je pouvoir rester agriculteur ? Il aurait pu se contenter d’une pension d’adulte handicapé, mais ce passionné a choisi de s’entêter malgré les mises en garde. Il conduit aujourd’hui un tracteur aménagé, a arrêté l’élevage laitier et s’est à contrecœur séparé de ses deux salariés pour recentrer ses activités sur ses 90 hectares de céréales.
«J’essaie de me battre pour faire changer les mentalités»
« On peut travailler en toute sécurité sous les lignes électriques à condition d’en comprendre le danger. J’essaie de me battre pour faire changer les mentalités car malheureusement beaucoup de chauffeurs ne connaissent pas le gabarit de leur machine, ni la hauteur de la ligne qui les surplombe. Oui, je suis un miraculé. J’ai eu la chance que mon cœur, mon cerveau et mes poumons tiennent. » La veille de son intervention devant les jeunes, une ligne a été couchée par une benne levée sur un silo à betteraves à Tagnon dans les Ardennes, à seulement quelques kilomètres de là, sans faire de victime. Plus dramatique, le même mois, deux accidents mortels ont été à déplorer à Quimper dans le Finistère et à Toul en Meurthe-et-Moselle.
Pour ne plus en arriver là, la convention MSA/Enedis, signée dans les Ardennes, prévoit une aide au financement des détecteurs de lignes sur les ensileuses et les moissonneuses. Ils alertent le conducteur par un signal sonore et visuel lorsque leur engin agricole s’approche à moins vingt mètres d’une ligne électrique. « Dans tous les cas, vous pouvez solliciter la MSA ou Enedis », prévient Eric Perrin, conseiller en prévention des risques professionnels à la MSA dans le secteur des Ardennes. « Si vous avez un doute, demandez une vérification de la hauteur précise de la ligne qui passe au-dessus de votre champ. Cela peut conduire à un rehaussement celle-ci et dans certains cas particuliers, à son effacement. Nous faisons confiance aux repérages de l’agriculteur car il est en prise directe avec le terrain, c’est bien lui qui passe le plus souvent sous les lignes électriques et qui peut constater qu’elles ont baissé. »
Pour aller plus loin :
Electricité Prudence, gardons nos distances