Changer les habitudes alimentaires, favoriser les circuits courts et développer l’agriculture locale ou encore lutter contre la précarité alimentaire… c’est la promesse de la Sécurité sociale alimentaire locale en Savoie (SSALSa) lancée ce mois de juin. Au total, 500 bénéficiaires vont profiter de cette initiative originale. Concrètement, cela se traduit par la dotation mensuelle en Elef’A1, la monnaie locale savoyarde, d’un montant de 90 euros, composée d’une participation des bénéficiaires (variable en fonction de leurs ressources), complétée par la CAF de la Savoie et la MSA Alpes du Nord. Une action pour une alimentation durable et solidaire.

« Nous avons concentré le projet sur une zone périurbaine de Chambéry, la commune de La Ravoire, et le cœur des Bauges, un massif montagneux très rural à l’enclavement prononcé », relate Fabien Champarnaud, directeur de la MSA Alpes du Nord. L’aide alimentaire permettra à ses bénéficiaires de dépenser le montant alloué dans les fermes et les commerces partenaires. Elle est financée pour les adhérents du régime agricole par la MSA à hauteur de 50 000 euros pour l’année.

Accéder à une alimentation de qualité

Pour percevoir cette aide alimentaire, des critères ont été définis par les institutions. Du côté de la MSA, elle s’adresse aux familles avec au moins un enfant, aux jeunes de 18 à 25 ans ou encore aux retraités bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Quant à la CAF, elle concerne les familles avec au moins deux enfants.

« J’ai reçu un SMS de la MSA qui m’expliquait que je pouvais être bénéficiaire », explique Yves Tramier. Pour ce professeur d’éducation physique et sportive dans un lycée agricole, ce coup de pouce est le bienvenu. La famille a déjà pour habitude de privilégier les circuits courts et les produits bio et, selon ses ressources, elle percevra la plus faible dotation, à savoir 30 euros – pour un abondement de 60 euros de sa part. Qu’à cela ne tienne ! « On s’est dit que ça nous ferait 2 kg de fromage comme du margériaz ou du beaufort en plus chaque mois ! », plaisante-t-il.

Pour lui, adhérer à ce projet est une manière d’amener une vraie réflexion sur le sujet de l’alimentation et de ses répercussions sur la santé publique en général. Car une bonne santé passe aussi par notre manière de manger et, surtout, par l’activité. Le professeur de sport en sait quelque chose ! Un levier qu’il estime simple à mettre en place avec les bons moyens.

Soutenir les agriculteurs

Pour les agriculteurs du territoire, ce dispositif est prometteur. « La qualité, c’est la santé ! », martèle Gilles Cicero, paysan-boulanger à la ferme des Barraques, à Challes-les-Eaux. Cet habitué de la vente directe, gérant d’un magasin de producteurs et adhérent à Terre de liens2, y croit, la solidarité alimentaire doit être démocratisée. « Les initiatives telles que la SSALSa sont de vraies mesures pour amener les gens à mieux manger. Si elles se généralisaient, ça pourrait changer la face du monde agricole et avoir des répercussions sanitaires positives, puisque beaucoup de maladies sont issues d’une mauvaise alimentation », estime-t-il. Elle permet aussi d’attirer des publics différents.

« On va pouvoir ouvrir nos portes à des personnes que nous n’avons pas forcément l’habitude de voir. Pour certains, cette rencontre sera l’occasion de découvrir les techniques de production et l’histoire des produits. » Lui-même bénéficiaire, le but n’est pourtant pas pour lui de générer plus de revenus mais bien de soutenir les agriculteurs. « C’est une des nombreuses gouttes qui vont aider l’agriculture locale. Les consommateurs deviennent des acteurs du territoire. » Adhérer à ce dispositif est donc aussi un acte militant.

70 producteurs de Savoie et à proximité participent au projet. « Il a l’avantage de soutenir le pouvoir d’achat des agriculteurs en plus de proposer des productions locales. Avec ce dispositif, on injecte 500 000 euros de fruits et légumes de saison par an dans le bassin de Chambéry », note Fabien Champarnaud.

Monnaie locale

Pour fonctionner, la SSALSa s’appuie sur La Monnaie autrement, association qui a mis en place l’Elef. Chaque bénéficiaire et professionnel partenaire télécharge une application sur laquelle il paie et reçoit les paiements pour les achats.

« La monnaie locale de Chambéry existait déjà, explique Fabien Champarnaud. L’utiliser nous permet de simplifier la gestion et, surtout, de flécher les achats et les partenaires, de savoir qui dépense combien et à quel endroit. » Les producteurs sont payés en Elef, qu’ils « peuvent réutiliser dans les magasins pour des biens et services, chez les coiffeurs ou les artisans, etc. ou bien les transformer en euros moyennant une commission de 2 % », ajoute le directeur de la MSA.

Quentin Degrange, agriculteur à la ferme de la Goettaz, au Bourget-du-Lac, a déjà pour habitude d’utiliser ce système dans son magasin de vente directe à la ferme. « Ça fait longtemps qu’on utilise l’Elef. Pour moi, ce système est un véritable atout : il soutient les agriculteurs, garantit une alimentation de qualité aux consommateurs, et s’inscrit pleinement dans une logique d’économie circulaire. » Tout comme Gilles, il adhère à cette proposition par conviction. « Un tel projet touche à la fois aux valeurs écologiques, agricoles et de consommation. » Aujourd’hui testée dans ces deux territoires, l’expérimentation pourrait s’étendre à d’autres secteurs dès l’année prochaine.

(1) Monnaie citoyenne de Savoie, complémentaire à l’euro (mais qui n’a pas vocation à le remplacer) et 100 % locale. Elle peut être dépensée auprès de professionnels locaux adhérents au réseau La Monnaie autrement, sélectionnés pour leurs valeurs écologiques et sociales. L’Élef’A est sa version consacrée à l’alimentation. Plus d’infos sur : elef73.org.

(2) La foncière Terre de liens achète des fermes pour réduire les difficultés d’accès aux terres agricoles. Elles sont ensuite louées à des fermiers et des fermières qui y développent une agriculture biologique, paysanne et de proximité.

Expérimentation d’un modèle solidaire 

Dans le cadre de sa stratégie MSA 2030, l’institution expérimente un modèle solidaire pour rendre l’alimentation durable en circuit court plus accessible. Le projet « Alimentation solidaire et durable » vise à garantir aux familles allocataires un accès à une alimentation locale tout en assurant un revenu stable aux agriculteurs. En proposant une avance de trésorerie aux agriculteurs, l’objectif est double : sécuriser leur revenu et renforcer la souveraineté alimentaire.

Ce projet allie santé, innovation sociale, ancrage territorial et solidarité. Il prolonge les paniers solidaires expérimentés pendant la crise du Covid et s’inscrit en continuité de l’Appel à manifestation d’intérêt Solidarités alimentaires de 2024. Les caisses locales de la MSA sont invitées à candidater en binôme avec les CAF de leurs territoires au plus tard le 20 juin.