Il est 8 heures à la maison familiale et rurale de Saint Germain-Lespinasse. Les adolescents sac sur le dos se rassemblent, discutent, déambulent nonchalamment sous le préau avant les cours. Dans les cuisines de l’établissement, l’ambiance est fondamentalement différente. On y sent de l’appréhension mêlée à une certaine excitation. Dans quelques minutes, trois étoiles vont venir consteller les lieux et les yeux de la cheffe Fatima Camara Yachou, hôte du jour. Pour l’heure, elle gère la pression sans se départir de son sourire.
Soudain, le voilà. Il fait son entrée, non comme un artiste mais en toute modestie par une porte dérobée. Lui aussi a le sourire généreux, à l’image de sa cuisine. Il prend le temps de saluer chaque personne avant d’étaler sa trousse de couteaux et de s’atteler à la tâche. Fatima a l’œil qui frise en voyant son mentor, le chef Michel Troisgros, investir son espace de travail. Ensemble, ils vont mettre en place les ingrédients nécessaires à l’élaboration des deux recettes revisitées par le chef trois fois étoilé : un pounti et un bœuf mironton.
D’ici une petite demi-heure, ils les réaliseront avec des élèves de la MFR. En attendant, il offre sa première leçon : attention, concentration et préparation sont les maîtres mots d’une parfaite exécution. Les leçons suivantes sont l’engagement et la transmission. Ces valeurs sont à l’origine de sa venue à la MFR.
Dans les années 1980, « le bonheur [était] simple comme un coup de fil », en 2022, nouvelle technologie oblige, obtenir la participation de Michel Troisgros à cet événement organisé dans le cadre de l’action alimentation a été simple comme un e-mail.
De passage à la maison familiale, l’idée s’est imposée à Michel Patin, élu MSA et trésorier de la MFR, quand il a vu des élèves de Bac pro technicien, vente et alimentation réaliser une recette. La thématique « Les adolescents d’aujourd’hui sont les consommateurs de demain » et sa mise en pratique – leur faire cuisiner des plats sains à base de produits locaux et accessibles – lui ont semblé alors évidentes.
Pour que cette démarche marque les esprits, « il fallait une locomotive, et elle ne pouvait être que proche. Évidemment, nous avons pensé à Michel Troisgros », explique Michel Patin. Dominique Raboteau, directeur adjoint en charge de la vie institutionnelle à la MSA Ardèche Drôme Loire, se dit alors qu’il n’a rien à perdre en lui adressant un e-mail. Et, en moins de temps qu’il n’en faut pour monter une mayonnaise, il se retrouve dans les bureaux du chef qui adhère au projet et commence à réfléchir aux recettes qu’il va réaliser avec les élèves.
Des élèves que nous retrouvons à présent en cuisine par groupes de cinq ou six participant aux différentes étapes de l’élaboration d’un pounti et d’un bœuf mironton. Michel Troisgros les accueille avec bonhomie et son éternel sourire. Tout en les incitant à mettre la main à la pâte, il s’intéresse à leur cursus, fait des ponts entre leur apprentissage et sa pratique, leur explique chaque geste, chaque terme technique. Fatima, qui s’affaire à ses côtés, ne perd pas une miette de ces précieux conseils.
D’autant plus qu’une semaine plus tard, ce n’est pas pour une vingtaine de convives qu’elle reproduira seule avec son équipe ces recettes mais bien pour les 120 élèves de la MFR. La pression, loin de diminuer, s’accroît quand le chef promet d’être présent mais en tant que dégustateur cette fois-ci. Attentif aux personnes qui l’entourent, Michel Troisgros s’en aperçoit. Tandis qu’en salle, les élèves et les invités savourent le fruit de leur travail, il félicite sa seconde de cuisine, la met à l’honneur, l’embrasse.
Il se plie très volontiers ensuite à la séance photo avec chacun des élèves, des professeurs et des élus. Après avoir consacré trois heures de son temps à cette action, Michel Troisgros, rangeant ses affaires, continue de délivrer son message plein d’humilité :
« Je suis là par passion de la cuisine et de la transmission. Il faut prendre le temps de montrer, de parler, d’échanger et de donner de la joie. En le faisant, je prends du plaisir et ça m’éveille. Ça me permet de mieux réaliser ce que je fais. C’est comme si je m’écoutais dire et me voyais faire, ce qui me permet de progresser. »
Les élèves repartent en ayant reçu un cours de cuisine et une leçon de vie. Toque basse l’artiste !
Recette du pounti, par Michel Troisgros
Pour 10 personnes, soit un moule à génoise de 26 cm de diamètre et de 5 cm de hauteur.
INGREDIENTS
• 250 g de noix de veau
• 250 g de poitrine de porc fumée
• 200 g de vert de blettes (préalablement blanchi)
• 200 g de côtes de blettes (préalablement cuites)
• 2 gros oignons
• une noix de beurre
• 30 g de menthe fraîche
• 20 pruneaux d’Agen dénoyautés
L’APPAREIL
• 4 œufs
• 80 g de farine
• 5 g de levure chimique
• 200 g de lait
• sel fin
• poivre blanc (au moulin)
MISE EN PLACE ET CUISSON
• Passez la noix de veau au hachoir (équipé de la grosse grille).
• Découpez la poitrine de porc en dés et faites-la revenir avec un filet d’huile. Ajoutez le hachis de veau. Réservez.
• Épluchez les côtes de blettes. Faites-les cuire à l’eau avec une pincée de sel et un jus de citron.
• Découpez les côtes en bâtonnets.
• Lavez puis émincez en lanières le vert de blettes.
• Ciselez les oignons. Faites-les revenir avec une noix de beurre, ajoutez le vert de blette. Cuisez une petite minute.
• Effeuillez et hachez la menthe fraîche.
PRÉPARATION DE L’APPAREIL
• Dans un grand bol, mélangez au fouet les œufs, la farine et la levure. Incorporez le lait, puis les deux viandes, la menthe, le mélange oignons-vert de blettes et les blettes.
• Assaisonnez de sel et poivre.
CUISSON
• Beurrez généreusement au pinceau le moule à génoise.
• Garnissez-le de l’appareil jusqu’à mi-hauteur du moule. Répartissez les pruneaux et complétez avec le restant de l’appareil.
• Enfournez 30 minutes dans un four (en position ventilée) préchauffé à 180 °C.
• Attendez que le pounti soit froid (ou tiède) avant de le démouler sur un plat.