« Moi, j’ai appris à nager dans un camion. » Il y a moyen que cette petite phrase produise quelques remous dans les cours de récréation à la rentrée. Suscitant la fierté des uns et l’incrédulité des autres : on entend d’ici le petit Archimède s’écrier « Faut pas pousser ! ».
Déserts aquatiques
Incroyable mais vrai ! Aqwa itineris est une semi-remorque qui renferme un bassin à plancher réglable de huit mètres de long sur 2,10 mètres de large. Inventé par le Vaudois Jean-François Buisson, primé au concours Lépine, ce camion-piscine parcourt les routes de France et de Navarre depuis 2019.
Le 19 juillet, il stationne sur le parking de la Maison du Village, à Seugy, dans le Val d’Oise.
« On ne vous l’a pas dit mais aujourd’hui, vous passez le test pour obtenir le diplôme d’aisance aquatique », trompète Thierry Di Castera, éducateur territorial des activités physiques et sportives. Les cinq petits bonnets de bain qui s’égayent dans l’eau turquoise ne semblent pas plus impressionnés que cela.
Après Nucourt en juin, ses bébés nageurs et son aquagym pour les seniors, c’est au tour de la petite commune de Seugy – quelque 1 000 habitants – d’accueillir la structure itinérante. Elle fait partie d’une communauté de communes qui ne possède pas de piscine. « Ce camion, c’est d’utilité publique ! », estime Virginie Ventimiglia, responsable du pôle action sociale au centre intercommunal d’action sociale (Cias) Carnelle Pays-de-France. Après les déserts médicaux, les déserts aquatiques ! Et sans la MSA Île-de-France, qui a mouillé le maillot, l’oasis Aqwa itineris n’aurait pas surgi en pleine pampa. Car c’est le régime agricole qui finance entièrement le coût du service et qui offre la gratuité aux bénéficiaires. « Dans les petits territoires, nous sommes souvent délaissés par les autres partenaires. Si nous n’avions pas la MSA… » Les points de suspension en disent long.
« Si les pieds touchent le fond, c’est perdu ! »
« On tombe en arrière, on nage sur le dos jusqu’à l’échelle [au bout du bassin], on touche la frite avec la main, on repart sur le ventre, on passe sous la perche et on nage la tête sous l’eau pendant cinq secondes. Si les pieds touchent le fond, c’est perdu ; si on touche le bord, c’est perdu ! ».
Thierry, le maître-nageur, est originaire de Guéret, dans la Creuse. Une sous-préfecture dont la piscine est fermée depuis trois ans !
Placés dans une petite bulle sur l’affiche à l’entrée du camion, des chiffres remontent tristement à la surface : entre 2015 et 2018, une augmentation du nombre de noyades de 30 %1. « Aqwa itineris est un complément dans l’apprentissage de la natation. Le bassin est à hauteur d’homme, ce qui me permet d’intervenir sans difficultés. Dans une piscine traditionnelle, les enfants restent souvent accrochés à la goulotte, car dès qu’ils savent qu’ils n’ont plus pied, ils perdent leurs moyens. Ici, le fond est modulable, ce qui est rare. Les enfants travaillent ainsi l’immersion et la synchronisation sans stress. » Ajoutons à cela une eau à 32° C. Il est alors aisé de s’y sentir comme dans un cocon.
Depuis la salle attenante de la Maison du Village, les parents suivent les évolutions des pioupious sur grand écran. « Nous pourrons ainsi refaire les exercices avec lui », se réjouit Delphine Goulam, de Villiers-le-Sec, maman de Naël, sept ans. Elle n’avait pas encore eu l’opportunité de l’inscrire à des cours de natation. « Nous fréquentons la piscine de Beaumont-sur-Oise mais entre toutes les activités extrascolaires, il nous est difficile de trouver des créneaux pour les cours de natation… Ici, c’est pratique », abonde à son tour Marilyne Badaire, maman de Milan, de Saint-Martin-du-Tertre. En huit jours de cours à Seugy, le camion-piscine a fait le plein de 47 enfants de 6 à 11 ans.