Lorsqu’on demande à Rose, agricultrice spécialisée dans les mousses, ce qui l’a incitée à contacter le numéro vert 0800 104 042 plutôt que sa caisse de MSA pour trouver une solution à son problème de règlement de cotisation annuelle, sa réponse tombe, pleine d’évidence : « Parce que c’est pour les femmes ! »

Cette simple explication pourrait mettre un point final à cet article. Elle synthétise et démontre à elle seule le bienfondé de l’expérimentation entreprise par la MSA du Languedoc. Mais cette brièveté ne rendrait pas compte du travail engagé par les différents acteurs de ce projet. Ce serait aussi passer un peu vite sur une problématique prégnante mais trop peu souvent abordée : quelle est la place des femmes en milieu agricole et rural ? Cette question, Émilie Razier, conseillère en économie sociale et familiale de métier, et Estelle Rouvière, assistante sociale de formation, toutes deux chargées de développement social territorial à la MSA du Languedoc, se la posent en permanence.

Un groupe constitué de sept femmes

Pour preuve, l’idée de créer une ligne téléphonique dédiée aux femmes est apparue à Estelle entre deux déplacements. « Nous étions en voiture avec Christophe Boulanger, responsable du service d’action sanitaire et sociale. Nous discutions de ce que nous pouvions faire pour les femmes en milieu agricole. J’avais déjà en tête de créer un lieu ressource qui serait d’abord virtuel et permettrait à la fois de répondre à un besoin d’écoute et de rompre avec un certain isolement que les femmes peuvent connaître. En considérant la complexité de leur travail en exploitation, le manque de temps que ça génère et des horaires parfois décalés, nous réfléchissions à ce qui serait le plus accessible. »

Pour qu’elle prenne corps, qu’elle soit réalisable, il faut qu’elle corresponde à la réalité du terrain, aux attentes et aux demandes. C’est à ce moment-là qu’Émilie entre en jeu, et soumet le projet au groupe qu’elle suit. « Il est constitué de sept femmes, trois salariées (aides à domicile) et quatre exploitantes, qui ont toutes suivi la démarche Avenir en soi. Elles se sont reconnues dans la thématique de la place, du rôle, de la fonction de la femme en milieu agricole et rural. Elles ont alors souhaité continuer à se rencontrer, poursuivre leur travail de réflexion et ont créé le groupe Avenir en nous. Nous nous sommes revues régulièrement pendant deux ans pour élaborer les objectifs de ce collectif. Et quand je leur ai exposé le projet de ligne téléphonique, elles m’ont dit que c’était utile, voire nécessaire, de créer du lien entre les femmes et un lieu d’écoute. »

Un lieu d’écoute

Validation faite par les principales intéressées, le projet peut devenir expérimentation. Il est officiellement lancé le 8 mars lors de la journée internationale des droits des femmes en présence de Stéphanie Canovas, déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité femme-homme de l’Hérault.

Dans les faits, la campagne d’information a démarré le 14 avril en fin de matinée par un envoi d’e-mail aux personnes concernées du département.
À 14 h, Estelle et Émilie répondent à leur premier appel. « J’ai reçu un courriel où est indiqué un numéro réservé aux femmes. Je suis une femme, c’est mon numéro, j’appelle ! » sont les premières paroles qu’elles entendent au bout de la ligne. Les permanences ont lieu le lundi matin de 9 h à midi et le jeudi après-midi de 13 h 30 à 16 h 30. Entre le 14 avril et le 2 mai, les deux jeunes femmes ont déjà reçu une quinzaine d’appels.

« Il y a eu beaucoup de réactivité et des situations très différentes. La porte d’entrée concerne généralement l’accès aux droits (les cotisations, les indemnités journalières…) mais nous pouvons aussi avoir des situations urgentes de type aide alimentaire. Ce matin, c’était une personne dont la retraite n’était pas versée depuis trois mois. Dans un premier temps, nous écoutons bien sûr. Mais derrière, nous tentons de répondre à la problématique. Soit directement, quand c’est possible, soit en questionnant ou orientant vers les services internes ou les partenaires. »

Prendre le temps d’écouter et s’intéresser à la situation de ces femmes est véritablement la clé du succès de cette ligne comme l’explique Rose : « C’est rare que les gens prennent le temps d’écouter. J’ai eu la chance d’être mise en relation avec deux personnes qui l’ont fait et ça, c’est exceptionnel ! Non seulement elles m’ont aidée à résoudre mon problème mais elles m’ont aussi posé des questions. Elles se sont intéressées à mon parcours, m’ont demandé comment ça se passait. »

Si l’objectif principal de cette ligne est d’être un lieu d’écoute, le second est d’apprendre à mieux connaître les femmes qui l’utilisent en réalisant un diagnostic territoire grâce à une base statistique. « Nos entretiens, détaille Estelle, sont assez longs, environ 45 minutes. Après avoir répondu à la demande initiale, nous nous intéressons au parcours de vie de ces femmes : Pourquoi sont-elles devenues exploitantes ou aides à domicile ? Quelles sont leurs attentes professionnelles, personnelles, par rapport à la MSA ? Quelles sont les difficultés rencontrées face à ces attentes ? Pour réaliser le diagnostic, nous avons construit une grille d’entretien qui nous guide. Nous leur expliquons notre projet et sollicitons leur accord bien sûr. Elles sont toutes emballées. Il n’y a pas de refus d’utiliser les statistiques, au contraire, elles sont enthousiastes de contribuer à cette démarche. »

Journée d’étude pour et sur les femmes en milieu rural et agricole

Les perspectives qu’offre le recueil de ces données sont nombreuses. Il met tout d’abord en lumière un réel besoin de se retrouver. « Il y a la volonté d’avoir des espaces de rencontre, des lieux de regroupement où ces femmes pourraient échanger sur leur quotidien à la fois personnel et professionnel, justifie Émilie. Le groupe Avenir en nous est situé sur les Hauts-Cantons et elles ont déjà commencé à réfléchir aux réseaux associatifs qui pourraient les accueillir sur des temps donnés. Par rapport à la ligne téléphonique, il pourrait très bien y avoir des liens avec le milieu associatif et avoir des points d’ancrage. »

Si la ligne n’en est encore qu’au stade de l’expérimentation, nos deux initiatrices ont déjà en tête de nombreux développements. Le premier consiste à élargir la démarche aux départements du Gard et de la Lozère. Une journée d’étude pour et sur les femmes en milieu rural et agricole est envisagée en collaboration avec Stéphanie Canovas.

Des contacts sont également pris avec l’observatoire de la femme sur le département de l’Hérault pour une ouverture sur la ruralité avec une forte implication de la MSA. Il est aussi question d’une exposition itinérante permettant une communication et une valorisation par le milieu artistique et culturel de la place de la femme en milieu rural.

Mais Émilie et Estelle ne veulent pas trop en dire. Apparemment adeptes de l’adage « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », elles se concentrent sur l’existant, la ligne téléphonique, et le besoin immédiat de leurs interlocutrices.

« Nous leur indiquons qu’elles ont la possibilité de nous rappeler et qu’il n’y a pas un nombre limité d’appels. L’une des femmes nous a dit qu’elle se sentait plus légère parce qu’elle avait pu parler de certaines choses. Elles sont très valorisantes par rapport à la création de cette ligne. Elles verbalisent le fait qu’elles en avaient besoin, que c’est bien d’avoir créé ça. »