Lundi 29 mars, 20 heures. La vaccination est au cœur de la bataille. Une semaine plus tôt, Emmanuel Macron martèle, à Valenciennes : « Il faut vacciner au maximum, tous les jours, matin, midi et soir… ». Sans ménager sa peine : le chef de l’État demande même d’immuniser les week-ends et les jours fériés. Après les doutes sur le vaccin AstraZeneca et les approvisionnements limités en nombre de doses, changement de braquet. Annonce de grosse artillerie à venir : vaccinodromes, etc. !

Fruit d’un travail en partenariat

Se retrouvent autour de la table ce lundi soir, dans une salle à proximité de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) de Grindelle, à Châteaudun : Bertrand Joseph, médecin généraliste, président de la CPTS Sud 28 (255 acteurs de santé répartis sur trois communautés de communes), Didier Huguet, pharmacien, vice-président, et Sylvie Mathiaud, chargée de mission à la MSA Beauce Cœur de Loire, mise à disposition de la CPTS en tant que coordinatrice.

Selon Bertrand Joseph, les CPTS sont des MSP sans les murs, avec des couloirs qui représentent des voies de communication. Parmi ces couloirs, le réseau social Jamespot facilite la coordination des 255 professionnels de santé sur le périmètre de la CPTS Sud 28.

La discussion s’ouvre sur le projet de santé de l’association, mais s’oriente rapidement sur l’adaptation des missions de la CPTS depuis le début de la crise sanitaire. Dès mars 2020 – et sur un périmètre qui concerne près de 55 000 habitants et autant de patients potentiels – tout commence par la mise en place de cinq centres de consultation et d’orientation dédiés aux suspicions de coronavirus, implantés dans les anciens chefs-lieux de canton du sud du département : Bonneval, Brou, Châteaudun, Cloyes-les-Trois- Rivières, Orgères-en-Beauce. À l’issue de l’auscultation, les patients sont hospitalisés ou retournent à domicile, munis de fiches de surveillance et d’information. Le dispositif permet notamment de désengorger les urgences de l’hôpital.

Deuxième acte, en août et septembre : quatre centres de dépistages gratuits – éphémères et grand public – pratiquent des tests virologiques RT-PCR à Châteaudun et Saint-Denis-les-Ponts. Troisième acte, en novembre, avec l’ouverture d’un centre de prélèvement dans la capitale du Dunois pour des tests PCR et antigéniques, réalisés par une vingtaine de professionnels de santé (700 à 1 000 analyses par semaine).

Quatrième acte, mercredi 20 janvier 2021 : ouverture d’un centre de dépistage salle Léo-Lagrange, un site mis à disposition par la ville de Châteaudun. Les initiatives se font toutes sur demande et/ou avec l’appui de l’ARS Centre-Val de Loire. « La CPTS ne fait rien toute seule : tout cela est le fruit d’un réseau de partenaires », s’accordent à dire les trois acteurs. On ne tardera pas à le vérifier sur le terrain.

Mardi 30 mars, 8 h 50. Salle Léo-Lagrange, comme tous les matins, Didier Huguet est attendu comme le Messie. Tous les yeux sont rivés sur la sacoche isotherme qu’il apporte : c’est elle qui contient les doses de vaccin quotidiennes, régulées par les dotations de l’ARS. 216 primo-injections sont prévues aujourd’hui. Les patients ont tous plus de 70 ans, avec ou sans facteurs de comorbidité. Le plus âgé affiche 98 printemps.

Depuis janvier, le centre vaccinait avec Pfizer-BioNTech, ensuite pendant quatre semaines avec Moderna pour les primo-injections et Pfizer-BioNTech pour les rappels, puis de nouveau avec Moderna pour les primo-injections et les rappels. Particularité de la CPTS : elle propose aux médecins généralistes de vacciner leurs patients de plus de 60 ans souffrant d’une ou plusieurs comorbidités sur des créneaux dédiés. Les flacons d’AstraZeneca sont donc remis à disposition du centre.

Toute cette gestion est assurée par Didier Huguet, qui, en bon pharmacien, se livre régulièrement à des comptes d’apothicaire et connaît bien ses tables de multiplication. « Les flacons du vaccin développés par Pfizer permettent de prélever sept doses, ceux de Moderna, 12 doses. Le premier doit être reconstitué après dilution de chlorure de sodium ; le second ne nécessite pas de reconstitution mais doit être décongelé avant utilisation. »

Premier aperçu d’une organisation tirée au cordeau mais qui nécessite des ajustements successifs. « Une véritable petite entreprise », déclare Sylvie Mathiaud.

10 heures. Dès l’ouverture du centre de vaccination en janvier, la CPTS fait le choix de rapidement bloquer les prises de rendez-vous sur Doctolib, le service en ligne. « C’est vite devenu ingérable, explique Bertrand Joseph. Saturé, le site était inaccessible. Par ailleurs, nous voulions réserver l’accès à la population de l’arrondissement de Châteaudun. » Sans compter les difficultés d’usage ou d’accès à Internet chez les personnes âgées.

Avec le concours de la municipalité, il est décidé d’utiliser les ressources du bureau informations seniors (BIS) pour créer un centre d’appels téléphoniques sortants et entrants (numéro dédié) et de prises de rendez-vous sur place. Cette structure œuvre à partir des listes des administrés en âge d’être vaccinés fournies par les communes du territoire. Elle organise le planning des injections.

Salle Léo-Lagrange, le dialogue s’instaure avec deux élus du cru : Alain Heslouin, référent Covid-19 de la communauté de communes du Bonnevalais, et Jean-Yves Panais, ancien agriculteur, maire de Saint-Denis-Lanneray. Dans cette commune nouvelle de quelque 2 300 habitants, sur les 250 personnes de plus de 75 ans, 150 sont désormais vaccinées.

Les rendez-vous des résidents de la CDC du Bonnevalais sont regroupés sur des journées flash, ce qui permet à Alain Heslouin d’organiser les transports vers Châteaudun en bus scolaire. À Saint-Denis- Lanneray, Jean-Yves Panais utilise les ressources des cars Rémi pour lever les freins à la mobilité. « Nous devons travailler tous ensemble », reconnaît l’édile.

« Grâce ou à cause du Covid-19, la CPTS s’est rapprochée des élus locaux, estime Sylvie Mathiaud. Et les professionnels de santé ont appris à se connaître. » C’est à ce moment-là que Bertrand Joseph, quelque peu soucieux, lance : « Nous avons 62 inscriptions en trop ! » Un ajustement avec le BIS va s’avérer nécessaire.

11 heures. La machine de guerre est bien rôdée : depuis le début de la crise sanitaire, la CPTS est épaulée par des militaires, la sécurité civile. Parmi les compétences de cette force : la gestion des risques nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques (NRBC). Deux jeunes sapeurs-sauveteurs accueillent le public : gestion des flux, vérification des rendez-vous, aide au remplissage de la fiche de renseignements qui indique notamment le nom du vaccin et le numéro de lot, orientation vers le médecin généraliste (consultation).

Quatre autres, des stagiaires, sont formés à vacciner par les infirmières des deux lignes de vaccination – « Depuis le 11 mars, un décret autorise différents professionnels, dont les sapeurs-sauveteurs, à injecter les vaccins », souligne le colonel Vincent Tissier, qui commande l’unité d’instruction et d’intervention de Nogent-le-Rotrou – puis en fin de parcours, deux sapeurs-sauveteurs se chargent de la saisie des informations sur le site ameli.fr.

« Ce service en ligne développé rapidement par l’assurance maladie fin décembre 2020 assure le suivi de la couverture vaccinale des ressortissants de tous les régimes de protection sociale », explique Floriane Frua, responsable du département des frais de santé à la CPAM 28. Le patient repart avec une fiche imprimée qui fait office de carnet de santé et sur laquelle figure la date du rappel, accompagnée d’une notice d’information sur les effets secondaires.

Midi. Au BIS, à quelques encablures du centre de vaccination, c’est l’heure du recomptage. Mise à plat des plannings : « Je savais qu’on allait au bouillon cette semaine, on ouvre trop de créneaux », lâche le Dr Joseph, qui gère encore très bien ses émotions mais qui sait devoir faire face à une tension additionnelle les jours où il consulte au cabinet de la MSP.

Ajustements successifs. Autour de lui, entre autres, quatre coachs sportifs, mis à disposition par la municipalité, chargés de la gestion du centre d’appels, et deux assistantes de la CPTS. On croise les fichiers des uns et des autres : on tient l’explication des 62 inscriptions supplémentaires ! Et on trouve une solution illico : ces personnes sont vaccinées le 10 avril.

Un système de partage de fichiers dans le cloud est envisagé. Mais avec la montée en charge des prochains jours, Bertrand Joseph envisage de rouvrir les rendez-vous sur Doctolib. Le centre va de nouveau vacciner avec Pfizer. Il est prévu de créer un poste de reconstitution du vaccin salle Léo-Lagrange.

La semaine prochaine, trois lignes de vaccination permettront d’accueillir 400 patients par jour et un centre de dépistage antigénique ouvrira ses portes. C’est en gagnant des batailles qu’on finit par gagner la guerre.

Jacques-Biet, Vaccination : course contre la montre en Eure-et-Loir
Jacques Biet, directeur adjoint de la MSA Beauce Cœur de Loire et directeur délégué de l’ARCMSA Centre-Val de Loire.

Témoignages

« La désertification médicale progresse en Centre-Val de Loire : entre 2017 et 2020, l’Eure-et-Loir a perdu 24 médecins généralistes (différence entre le nombre total d’installations et de départs). Depuis dix ans, le conseil d’administration de la MSA Beauce Cœur de Loire a soutenu une douzaine de projets de MSP portés à la fois par des professionnels de santé et par des collectivités locales. L’accompagnement possède un volet méthodologique, à travers la création d’un poste de chargée de mission qui intervient en appui sur l’ingénierie médico-sociale, un volet médical, et un volet financier, par l’attribution d’une subvention de 30 000 € par projet, prise sur les fonds de l’action sanitaire et sociale.

La MSA veille à intégrer des axes de prévention dans les projets de santé des MSP : éducation thérapeutique du patient, promotion des campagnes de vaccination, etc. À Sancerre, nous avons été précurseurs dans l’expérimentation du forfait diététicien et psychologue, ou forfait psy/diet, aujourd’hui généralisé. Avec la MSP de Châteaudun, nous avons développé l’activité physique et sportive adaptée (Apsa). Elle fait l’objet d’une évaluation indépendante menée par l’observatoire régional de la santé (ORS). Quant à la CPTS, elle sait faire preuve d’une grande capacité d’adaptation. Elle dispose d’une confiance sans faille de notre part et de la part de l’ARS. »

Philippe Vigier, député de la 4e circonscription d’Eure-et-Loir, biologiste, membre de la commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale.

« L’Eure-et-Loir est le dernier département de France en matière de densité médicale [elle s’élève à 59,5 médecins généralistes pour 100 000 habitants, contre 88 pour 100 000 habitants en moyenne nationale-NDR]. En 2018, j’étais le rapporteur du projet de loi visant à garantir l’égal accès aux soins de tous les Français sur l’ensemble du territoire et sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale. Dans ce texte figuraient notamment deux propositions : prévoir le maillage de tout le territoire par des CPTS et mettre à la disposition de chacune d’entre elles un animateur chargé de l’ingénierie initiale du projet et du fonctionnement de la structure. Avec le dossier médical partagé, les CPTS sont le passage obligé dans l’amélioration de l’organisation et de la coordination des soins. La CPTS Sud 28 est la seule structure de ce type à avoir été auditionnée par la commission d’enquête parlementaire. Elle est exemplaire. Elle possède une connaissance parfaite du tissu médical local. J’ai beaucoup de respect pour ceux qui la pilotent au quotidien, qui décloisonnent les relations entre la médecine de ville et l’hôpital et qui entretiennent un réseau de professionnels de santé grâce, notamment, à une plateforme collaborative en ligne. Ils donnent le meilleur d’eux-mêmes avec altruisme et professionnalisme. »