Comment définir la mutualité ?

Je définirais le mutualisme non pas comme une théorie mais un mouvement spontané d’individus qui décident de s’associer pour faire face collectivement aux risques de la vie à une époque où les risques sociaux (la maladie, le handicap, la vieillesse…) étaient laissés pour compte. Les individus étaient livrés à eux-mêmes. Cela explique l’émergence du mutualisme. C’est le fait de pouvoir collectivement, solidairement et démocratiquement s’associer pour prendre en charge ces risques sociaux.

Lorsqu’on examine l’histoire, on s’aperçoit que, quelles que soient la collectivité humaine, la civilisation, il y a des réflexes spontanés de mise en commun, d’associations pour affronter les coups du sort. On en a trouvé des traces dans l’Antiquité, en Égypte, en Grèce. C’est cela que j’analyse. Après il y a eu des grands courants de pensée venus cautionner ce mouvement. On a le solidarisme de Léon Bourgeois, [homme politique français de la IIIe République], les doctrines des socialistes utopiques. Ces théories sur la solidarité sont venues conforter ce mouvement mutualiste, mais c’est d’abord un mouvement d’action.

Quels en sont les ressorts ?

La solidarité est peut-être le fondement du projet mutualiste. Les mots d’ordre des mutualistes, historiquement, étaient un pour tous, tous pour un. Ou aimons-nous, aidons-nous. Ce sont les deux slogans visibles sur les bannières des mutuelles des sociétés de secours mutuels. On est totalement solidaire avec celui qui en est victime quel que soit le coup du sort. Et on est tous égaux face à la maladie. C’est très important, c’est le principe pur de solidarité.

Le deuxième principe est la démocratie. D’emblée, des structures démocratiques ont été mises en place. On élit ses représentants, on prend les décisions en commun. La vie démocratique est là encore un élément essentiel de la mutualité. C’est inscrit dans ses statuts. C’est une obligation. Ce n’est pas toujours facile. Plein de choses viennent la fragiliser (2).

Un troisième pilier, également malmené, est à ajouter : la liberté. Depuis la naissance des mutuelles, à la fin du XVIIIe siècle, on est libre de choisir son groupement, d’y adhérer et d’en sortir. C’est un principe fondamental de l’économie sociale et solidaire (ESS). Si vous regardez les organisations de l’ESS, c’est une valeur fondatrice. En association par exemple, vous êtes libre d’adhérer et d’en sortir. En mutualité, ce n’est plus tout à fait vrai. Les textes législatifs ont malmené ce principe-là. Un quatrième pilier doit être rappelé : l’indépendance. Les mouvements mutualistes n’ont pas de lien politique ou idéologique avec les partis.

Le mouvement mutualiste est-il par nature avant-gardiste ?

C’est mon idée. C’est le fil conducteur de mes recherches. La mutualité est là pour innover. Dès le moment où elle ne le fait plus, elle est en danger. Il faut inventer des choses qui vont changer la vie des gens. Pas forcément de manière radicale mais en apportant un petit plus. On se rend compte que, si elle a autant participé à la construction de notre histoire sociale, c’est parce qu’elle a été en amont des problématiques sociales et qu’elle a apporté des réponses adaptées, parfois même avec un côté précurseur, en montrant la voie.

Un exemple, à la fin du XIXe siècle, des mutuelles ont inventé les mutualités maternelles destinées aux ouvrières. On leur a demandé une petite cotisation complétée par une participation patronale. En échange, elles ont eu droit à un arrêt de travail après leur accouchement. Cela n’a l’air de rien mais c’était l’invention du congé maternité qui n’existait pas à l’époque. C’était révolutionnaire.

L’institut Montparnasse, le think tank de l’économie sociale et solidaire

Débats citoyens sur l’éducation à la santé, la protection sociale ou la démocratie sont régulièrement proposés. Les échanges autour de ces questions donnent lieu à une production tantôt littéraire avec notamment la publication d’ouvrages collectifs ou numérique avec la mise au point de podcasts. A découvrir le dernier texte paru en octobre 2023 : La Démocratie renouvelée en Mutualité, Les Petits matins, octobre 2023. Il est téléchargeable sur le site de l’institut.

Photo d’ouverture : © Jean-Michel-Delage