Une bulle, on peut la coincer, s’y réfugier ou y inscrire ses pensées et ses paroles.
On peut tout aussi bien s’y trouver enfermé, coincé, exclu du monde extérieur, comme pris au piège derrière ses parois diaphanes, alors semblables aux murs d’une cellule :
– Tu as fermé les volets ? , demande Paul.
– Non, pas encore, nous avons le temps, lui répond Denise
– Tu ne crois pas qu’il faudrait fermer les volets ?, l’interroge-t-il moins de dix secondes après.
– Je vais m’en occuper, ne t’inquiète pas, le rassure Denise.
– Ah, bon, tu vas t’en occuper… On pourrait fermer les volets, non ? Ce sera fait, tu ne crois pas ?, renchérit Paul.
Ce dialogue durera près de 1 minute. Denise, la soixantaine, fixe l’objectif qui la filme avec son mari. Plus besoin de parole, son regard en dit suffisamment long, le fragile sourire qu’elle adresse à la caméra aussi. Le spectateur y lit une certaine détresse, de la résignation ainsi qu’une tendre exaspération.
La scène pourrait prêter à rire, être un sketch que l’on intitulerait « Dialogue de sourd » ou « En boucle ». Mais l’on comprend rapidement qu’elle résume simplement le quotidien de Denise. La bulle dans laquelle elle est enfermée et dont elle est désormais prisonnière s’est formée lorsque la maladie d’Alzheimer de Paul, son mari, s’est déclarée.
« C’est ce que je dois faire, il faut accepter », confie-t-elle le regard perdu dans ses pensées. Avec le temps, tout s’accumule. Ce que l’on arrivait à prendre avec le sourire il y a encore quelques mois devient par instant objet d’exaspération, de tension nerveuse. Et le pire, avoue Denise, « c’est quand on se sent poussée à bout par la personne que l’on aime ».
Denise est «une aidante». Selon la définition, « un aidant est une personne qui accompagne une personne fragilisée par l’âge, le handicap et/ou la maladie ». Et pour être plus précis, c’est une proche aidante, c’est-à-dire qu’elle apporte son aide non professionnelle à une personne de son entourage proche.
11 millions d’aidants, et moi, et vous, et nous…
En France, ils sont plus de 11 millions dans son cas ; 64 % d’entre eux ne le savent même pas. Pourtant, ce rôle, qu’ils tiennent parfois au quotidien, a un impact certain sur leur vie. C’est d’ailleurs ce que met en lumière la représentation proposée lors de la conférence théâtrale organisée par la MSA Picardie et intitulée « Je l’aide mais j’ai besoin d’air ».
Écrite à partir de témoignages d’aidants d’Amiens, la pièce synthétise l’ensemble des difficultés qu’engendre le rôle d’aidant : impact sur la vie familiale, sur la vie professionnelle, sur la santé, sur le moral, sur la relation aux autres, sentiment d’être seul face aux problèmes, sensation de perdre pied mais refus d’être assisté… C’est toute une vie qui se voit bouleversée. La pression psychologique est d’autant plus forte que, pour l’aidant comme pour l’extérieur, s’occuper d’un proche en difficulté est normal.
Mais lorsqu’on entend Denise lâcher : « on ne parle plus de ce qui est la vie, j’avais fait mon deuil », on ne peut décemment pas affirmer que cette non-vie est une normalité.
Quand les aidants ont besoin d’aide
Avec une prévision de 4,8 millions de personnes de 85 ans et plus à l’horizon 2050, il est certain que nous serons tous confrontés à cette situation un jour ou l’autre. À l’heure actuelle, 76 % des aidants sont âgés de moins de 65 ans et 52 % sont actifs. Cela signifie que ces personnes doivent concilier une vie de famille, leur emploi et leur rôle d’aidant. Parfois placé en position de précarité dans un état proche de l’épuisement, il n’est dès lors pas étonnant qu’un pourcentage certain de ces aidants partent avant leur aidé.
Cette problématique de l’épuisement est accentuée par le fait que nombre d’entre eux ne se reconnaissent pas aidant et ne sollicitent pas d’aide extérieure. C’est ainsi que peu à peu, la bulle se referme sur eux. Tout à leur rôle, ils s’oublient bien souvent eux-mêmes.
Depuis septembre 2018, la MSA Picardie tente de percer ces bulles et d’en proposer une bien plus légère, davantage cocon que prison et synonyme d’évasion. Une bulle d’air en somme.
L’objectif est d’apporter du soutien aux aidants. Ce qui n’est pas évident de prime abord ; la population rurale cultive une certaine forme de renfermement sur soi et ne va pas instinctivement au contact des organismes pour avoir de l’information.
Détecter, évaluer, accompagner
La première étape est donc de faire connaître le service Bulle d’air à travers le territoire. Conférence théâtrale, intervention lors de forum senior ou dans des groupes de travail, présentation sur les territoires ruraux et urbains, la MSA Picardie est sur tous les fronts.
La deuxième étape consiste à détecter les cas d’épuisement chez les aidants (les auxiliaires de vie et les infirmières à domicile sont alors d’une aide précieuse) afin de les approcher, de faire sauter les verrous psychologiques et de les accompagner dans une démarche d’aide au répit. C’est la partie la plus compliquée.
Pour que l’aidant prenne du temps pour lui, et donc accepte qu’une tierce personne s’occupe de son aidé, « il faut franchir le pas et arriver à faire confiance », comme l’explique Denise dans le film de présentation de cette conférence théâtrale. Si cela semble un petit pas pour l’homme, c’est un pas de géant pour l’aidant.
Ce premier pas est encouragé par le fait que le choix aidant/aidé doit se faire naturellement. « C’est très déculpabilisant », affirme Denise qui, rassurée, laisse son mari l’espace de quelques heures entre les mains de l’aidante professionnelle tandis qu’elle sort retrouver « une respiration à l’extérieur ».
La MSA Picardie multiplie les occasions de tendre la main aux aidants en finançant et en accompagnant les Cafés des aidants, en mettant en place des parcours d’aidants avec la Mutualité française, en organisant des forums autour de la santé des aidants ou, accompagnée par l’Agirc-Arrco et l’association française des aidants en soutenant une plateforme de répit en complément de Bulle d’air.