Eric Chenut, président de la Mutualité française, est intervenu sur le sujet du mutualisme lors des Journées nationales de la MSA. – © Jean-Michel Delage/CCMSA Image

Qu’est-ce que la mutualité pour vous ?

Éric Chenut : Pour moi, la mutualité est avant tout une vision commune. C’est la capacité que nous donnons à des femmes et des hommes venant d’horizons différents de pouvoir écrire et vivre ensemble, de pouvoir développer leur libre-arbitre et leur esprit critique pour penser individuellement et collectivement. Si on remonte à son origine, la mutualité est née au XIXe siècle quand on a pensé à mettre en commun des ressources pour s’extraire de l’aléa et ainsi se protéger face aux risques dont on ne pouvait assumer seuls les conséquences. Le mutualisme, c’est donc faire ensemble ce que l’on ne peut pas faire seul.

Comment êtes-vous arrivé à la tête de la Mutualité française ?

Je suis tombé dans le mutualisme il y a 30 ans. J’étais étudiant en droit à Nancy. C’était des années compliquées avec l’émergence de l’épidémie du Sida. En participant à une action de prévention à la fac, j’ai découvert qu’il y avait des élus. Cette forme d’engagement concret, le fait d’avoir les « mains dans le cambouis », me correspondaient bien. Quand je m’intéresse à une chose, j’ai besoin de savoir comment ça marche donc je soulève le capot. J’ai mis une main, un bras et je suis tombé dedans en prenant différents engagements au fil du temps. 

Comment peut-on agir ensemble ?

Déjà en étant soi-même. L’engagement et le mutualisme passent par le vivre ensemble, la collaboration. Mais l’individualité, les différences et le commun ne sont pas antinomiques, au contraire. Par l’action collective, on peut renouer avec les valeurs du pacte républicain et développer l’universalisme.

Notre raison d’être à la Mutualité française est de construire ensemble les solidarités de demain. Je viens d’une famille d’agriculteurs, je connais donc assez bien le monde agricole. La MSA donne la capacité aux femmes et aux hommes qui mutualisent leur force au quotidien de pouvoir y jouer un rôle.

Qu’ils soient élus ou salariés, tous contribuent à faire bouger les lignes. En cela, le projet de la MSA en termes de proximité, de participation et d’innovation rejoint le nôtre. Nous avons la conviction que, seuls, nous n’y arriverons pas.

Enfin, pour agir, entreprendre et innover, il faut se donner la possibilité de se tromper. On doit tenter de faire des choses utiles pour celles et ceux que l’on protège et qui nous font confiance.

Où en est le mutualisme aujourd’hui ?

La santé et la protection sociale ont beaucoup bougé ces 30 dernières années et des dérives sont apparues. Réforme après réforme, on s’est éloignés d’une forme de citoyenneté sociale. Et pourtant, la sécurité sociale était fondée sur ce principe, tout comme la mutualité. Un système par répartition repose sur la confiance.

« Je suis solidaire de celles et ceux qui en ont besoin et quand moi-même j’en aurai besoin, j’ai la garantie que d’autres l’assumeront. »

Petit à petit, on a désarmé les réalisations qui pilotaient le système pour lui donner une direction de plus en plus technocratique, sans remettre en cause certaines aptitudes ou dépenses. On arrive à un fonctionnement qui coûte très cher et on procède à des arbitrages comptables court-termistes qui sont plus générateurs d’inégalités.

Comment, alors, tendre vers un système équitable ?

Pour que ça fonctionne dans la durée, il faut réinterroger le système et reposer une vision à moyen et long terme, redonner un espace aux parties prenantes : organisations de santé, associations de patients, professionnels de santé, collectivités locales, assurance maladie, mutuelles, etc.

L’État doit jouer son rôle sans décider de tout, mais plutôt en fixant les grands principes et garantir leur application tout en faisant confiance aux acteurs et aux opérateurs. Nous avons besoin d’être des citoyens pleins et entiers et d’avoir voix au chapitre.

À lire : L’émancipation, horizon de nos engagements mutuels

Éric Chenut, éditions de l’Aube

Parcours

Éric Chenut a participé à la fondation en 2000 de La Mutuelle des étudiants (LMDE), il en sera le premier président de 2000 à 2001. Puis il rejoint la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), d’abord au niveau régional puis comme administrateur national.

Il est également administrateur du groupe VYV, membre du Conseil de surveillance de la Fondation de l’Avenir. Administrateur depuis 2014 au sein de la Mutualité Française, il en devient le président en 2021. 

Photo d’ouverture : © Jean-Michel Delage/CCMSA Image