Une partie de foot entre copains au bord d’un étang. Un dribble mal contrôlé. Un ballon qui flotte à la surface de l’eau. Un gamin de 18 ans qui plonge pour le récupérer : Philippe mesure mal la profondeur du plan d’eau. Le geste est aussi anodin que dévastateur. Il brise d’un coup le corps, l’insouciance et chamboule le destin de ce jeune Sarthois. Il atterrit ce jour-là avec fracas dans le monde des adultes par le chemin le plus âpre. Il est tétraplégique et doit s’inventer une nouvelle vie.

Le pôle régional du handicap, établissement institutionnel de la MSA installé à Saint-Saturnin, à une poignée de kilomètres du Mans, dans la Sarthe, est spécialisé dans l’accueil et la rééducation des personnes en situation de handicap moteur. Visite de Handi-Village et de l’Arche.
Philippe : « Je me rends compte que j’ai fait plus de trucs en fauteuil que valide. »

« Je venais d’avoir mon permis. J’allais enlever mon 90 (l’ancêtre du A) et partir à l’armée », se souvient Philippe qui a aujourd’hui 54 ans. « Mon copain m’a sauvé la vie en me portant secours, mais dès le début, je savais que c’était grave. Je ne sentais plus mes jambes. » Il devra abandonner son travail d’arboriculteur et même son rêve de devenir cuisinier. « J’ai longtemps vécu chez ma mère, à Vaas, dans la Sarthe, mais elle vieillit et ne peut plus assumer. Être handicapé dans un petit village, ce n’est pas évident. Il n’y a pas grand-chose pour nous. Ici, tout est adapté. » Ici, c’est Handi- Village, chez lui depuis dix ans, une maison d’accueil spécialisée, située à Saint-Saturnin, à la périphérie du Mans.

La structure créée en 1985 reçoit des personnes comme Philippe, atteintes d’importantes déficiences physiques et qui n’ont plus la possibilité de rester vivre à domicile. Elle est située à quelques mètres seulement du centre de l’Arche, un établissement de médecine physique et de réadaptation spécialisé dans le traitement des affections neurologiques et motrices graves. Deux dispositifs complètent l’offre de soins de cette dernière : l’unité Comète, destinée à la réinsertion professionnelle précoce, et l’équipe mobile de réadaptation, qui peut assurer la continuité de la prise en charge au domicile du patient. Les deux structures, Handi-Village et l’Arche¹, forment le pôle régional du handicap. Si l’une offre un lieu de vie pérenne réservé aux adultes, la seconde vise avant tout une sortie du patient — quelque soit son âge — avec une qualité de vie améliorée et une plus grande autonomie.

Une équipe médicale pluridisciplinaire

« La qualité de la prise en charge et la diversité de l’accompagnement de la personne en situation de handicap font de l’Arche un établissement à part », constate Xavier Pinel, le directeur général du pôle régional du handicap. Grâce une équipe médicale pluridisciplinaire — composée notamment de médecins, d’orthophonistes, de kinésithérapeutes, d’ergothérapeutes, de psychologues, d’infirmières, d’aides-soignants, d’auxiliaires de puériculture, de professeurs d’activités physiques, d’orthoprothésistes et de travailleurs sociaux — le centre accompagne les patients de A à Z pour leur offrir la meilleure chance de réinsertion.

« Au fil du temps, nous constatons une évolution du profil des personnes accueillies, poursuit Xavier Pinel. Moins d’accidentés de la route, mais plus de personnes ranimées ou cérébro-lésées (traumatismes crâniens, accidents vasculaires cérébraux, tumeurs cérébrales) ou atteintes de maladies dégénératives évolutives, ce qui nous oblige à nous adapter et à innover sans cesse. »

En plus de la piscine et des nombreuses salles de rééducation, une pièce équipée en domotique recrée de façon réaliste un espace de vie, avec bureau, lampes, écrans, canapé, volets, autant de matériels adaptables au degré de dépendance du patient. Le tout pouvant être contrôlé par commande oculaire. Un peu plus loin, un simulateur de conduite permet au patient de mesurer par lui-même sa capacité à reprendre le volant. Une autre pièce abrite un équipement 3D façon effets spéciaux de cinéma. Des capteurs placés sur les membres des patients permettent de modéliser leurs mouvements et ainsi de comparer les données à différents stades de la rééducation.

Quel que soit le handicap, la philosophie de l’établissement est — sans minimiser les souffrances et le contexte de vie de chacun — de préparer l’après. Une ambition voulue dès 1973 par les membres de la MSA à l’origine du projet. C’est dans ce cadre que le centre de l’Arche propose aux enfants un maintien de leur activité scolaire. Corentin, 16 ans, en seconde, mais aussi, Louis, en 6e, Nesta en 3e, Enora en CM1 et Ryan en CE1, tous croisés à l’heure du goûter, confirment : « On a moins d’heures de cours qu’à l’extérieur, mais on est en petit comité. Alors, on progresse plus vite. Les heures de cours sont intercalées entre les séances de kiné, d’ergothérapie ou de balnéothérapie. Heureusement, parce qu’après une séance de balnéo, on est à plat. » Roselyne, aide-soignante, est en train de nourrir deux bouts de chou. Le handicap peut toucher à tous les âges de la vie. Maryline, de l’association « Les Blouses Roses », lui donne ce soir-là un coup de main. « Polyhandicapés de naissance ou des suites d’un accident de la vie, ou encore enfants en soins palliatifs, les profils sont divers. Le centre reçoit aussi depuis quelques années des enfants en surpoids pour des séjours de plusieurs mois. »

Un peu plus loin, Pascal, 52 ans, est en pleine partie de pétanque. « Je suis là depuis cinq mois pour soigner mes escarres. Je sors samedi. » Ce Sarthois se déplace en fauteuil depuis un accident de moto il y a 32 ans. « C’est mon 3e séjour ici. Je peux témoigner que l’ambiance est bonne et qu’on peut même se faire des amis. »

Le pôle régional du handicap, établissement institutionnel de la MSA installé à Saint-Saturnin, à une poignée de kilomètres du Mans, dans la Sarthe, est spécialisé dans l’accueil et la rééducation des personnes en situation de handicap moteur. Visite de Handi-Village et de l’Arche.
La moyenne d’âge des résidents de la MAS Handi-Village est de 49 ans.

Retour à Handi-Village. On sonne au numéro 29. Philippe, qui se déplace en fauteuil électrique, nous ouvre la porte de son grand studio grâce à une télécommande. L’appartement coquet et meublé par ses soins est adapté à son handicap. Hyper connecté, Philippe, qui est un homme de son époque, possède deux ordinateurs et un écran géant. « Je suis accro à Plus belle la vie. Je n’ai pas honte de le dire. » S’il assume un goût pour les séries à rallonge, plein de vie, Philippe n’est pas du genre à passer ses journées devant la télé. « Le lundi, j’ai sarbacane avec l’association Handisport Maule. Il faut du souffle, de la précision et de la concentration. » On ajoutera de la détermination.

Une pluie de sourires

Philippe n’en manque pas, il a terminé 1er régional handisport. Ce n’est pas tout. Il pratique le foot fauteuil le mercredi. Il retrouve ses partenaires de bridge le jeudi et le vendredi s’essaie au chant ou à la mosaïque. « Le week-end est plus calme. Je vais chez ma soeur qui habite du côté de Tours et au foot. Je suis supporter du FC Le Mans. J’ai la pêche et surtout la chance d’être ici, mais ma vraie passion est la cuisine. » Philippe, qui a le sens de la compétition, a même gagné un concours avec son très audacieux bavarois au camembert. Il partira aussi aux sports d’hiver en février. Au programme : ski assis et chien de traîneau. « Je me rends compte que j’ai fait plus de trucs en fauteuil que valide.»

Dans la salle commune, Sandrine, 43 ans, ancienne secrétaire de direction, reçoit la visite de sa tante Sylvie, de Micheline, sa grand-mère, et d’une amie. On a lui diagnostiqué une chorée de Huntington, une maladie dégénérative, il y a dix ans. « C’est une maison ouverte et tranquille. De savoir que Sandrine est ici nous rassure, confie sa tante. Elle est d’abord venue pour un moment de répit. Et c’est elle qui a dit un jour : je ne me sens plus capable de rester à la maison. » Elle habite le centre depuis deux ans.

« Ce qui frappe le visiteur lorsqu’il arrive au centre pour la première fois, c’est la pluie de sourires et le climat de bienveillance qui règne, constate Françoise Potier, présidente de l’association du pôle régional du handicap, également élue de la MSA Mayenne-Orne-Sarthe. Ici, le temps s’arrête et j’ai toujours du mal à repartir. »

¹Auxquelles s’ajoutent un Sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile) et un Samsah (service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés).

Le pôle régional du handicap, établissement institutionnel de la MSA installé à Saint-Saturnin, à une poignée de kilomètres du Mans, dans la Sarthe, est spécialisé dans l’accueil et la rééducation des personnes en situation de handicap moteur. Visite de Handi-Village et de l’Arche.
Les familles et l’entourage des résidents ont toute leur place au pôle régional du handicap. – Photos © Alexandre Roger/Le Bimsa